Tshibindi, Tshibawu, Lupemba chez les Luba
LE SENS DU TSHIBINDI, DU TSHIBAWU, DU LUPEMBA CHEZ LES LUBA
Nous allons aborder quelques thèmes sociaux du Kasaï. Nous espérons que nombre d'entre nous qui en savent plus, sinon autant que nous, nous aiderons à parfaire notre savoir. Ils nous enrichirons ainsi sur notre culture. Un peuple sans identité, c'est un tonneau vide. Il ne fera que beaucoup de bruits inutiles et n'aura jamais de fondement, ni d'ancrage. La culture est le fondement de toute nation.
LE TSHIBINDI:
Hébreux 13:4: Que le mariage soit honoré de tous, et le lit conjugal exempt de souillure, car Dieu jugera les impudiques et les adultères.
« Mukaji, nkaseba ka kabundi. Ka batu baka somba kudi bantu babidi to ». Toute femme est faite pour un homme. Il ne peut y avoir place pour deux hommes dans le lit d'une femme, dit ce proverbe luba.
J’ai assisté un jour à un échange entre « tshitantchistes », c'est-à-dire les riches du Kasaï. Un des mes oncles paternels, pendant longtemps président sportif de l’Union Infanterie Sanga Balende de Mbuji-Mayi, Albert Muana Nkesa Muanza, avait reçu ses pairs chez lui. Il faut dire que ces messieurs avaient une façon propre à eux seuls d’aborder et de voir certains thèmes de la vie…J’entendis un d’eux défier les autres. Nous avons tous de belles maisons, dit-il aux autres. Mais personnes ne se promène avec sa maison sur son dos comme un escargot. Et si quelqu’un passe là, dans la rue et qu’il voit nos voitures, qui dira-t-il qu’il est le plus riche d'entre nous ? Sans doute moi, car j’ai la voiture la plus chère. « Tchjiens, dji Mumunt lekela bilela », s’énerva Mukendi Fontshi wa Tshilengi…(Mumunt= Mukendi Ntumba). Et Wa Tshilengi releva vite ce défi à sa manière. Il regarda l’outrecuidant Mumunt, comme seul sait le faire un DV pur jus…Il dit à ses pairs : pour savoir qui est le plus riche d’entre nous, nous allons attacher les billets de « dji zaïres » bout à bout jusqu’à Lubumbashi au Katanga. On verra bien qui va tomber en panne sèche « billetaire » en cours de route…Une fois qu’ils avaient fini de consommer leur « tshibelabela », et quelques Tembo plus tard, ils levèrent le camp. Ils trouvèrent un gamin en train d’admirer leurs belles limousines. Le pauvre enfant était en train de caresser avec sa main une des voitures. Le propriétaire de la voiture s’avança courroucé vers le petit… « we...kaniema. Tatueba indjividji. Mema mulenga dibela dia mamueba, si tatueba udi ungipata ne muela's ». Hé importun, si je touche au sein de ta maman, ton père sortira sa machette pour m’attaquer lui dit-il. Et de continuer sur le même ton « le prix de ma voiture, c’est 1 million de fois la dot de ta maman. Ne touche plus à ma belle limousine »…
Nous donnons cet échange inter « tshitantchiste » pour souligner la ligne rouge que constitue la femme mariée chez les Luba. D'une manière générale, une femme mariée est sacrée partout et pour tous. Toucher à la femme d'autrui, c'est avaler la vésicule biliaire d'un crocodile, dit-on chez les Luba. Donc du poison. Une femme mariée qui « franchit la dot » et commet l'adultère, commet ainsi un crime. La société traditionnelle au Kasaï est sans compromis à ce sujet. Ainsi, il y a plusieurs mécanismes de contrôle, de vérification de la pureté et de la fidélité de la femme mariée au Kasaï. Le plus connu de tous et le plus implacable est celui de la cérémonie aux ancêtres. Le tribunal des ancêtres est le plus juste. Les ancêtres voient ce que nous ne pouvons voir. Ils entendent ce que nous ne pouvons entendre et surtout ils savent ce que nous cachons. Lors de cette cérémonie, on invoque les esprits des ancêtres de la famille du mari. Ensuite, une femme saine d'esprit et de corps, irréprochable selon les coutumes est chargée de préparer les offrandes aux ancêtres. Ne peut se présenter à l'autel des ancêtres qu'une femme conforme et « capable » de relever ce défi de pureté. Une femme ayant commis un adultère qui se présenterait à cet autel, sait ce qui l'attend: la mort. Il arrive souvent, lors des vacances au Kasaï, nos mamans, méfiantes de nos épouses, les fassent passer par ce détecteur de mensonge...Elles préviennent toujours des risques...Et il n'est pas rare de voir quelques femmes avouer leur adultère. Mieux vaut avouer au tribunal des hommes que d'aller affronter le tribunal des ancêtres. Il arrive que les femmes refusent d'aller dans les villages de leurs maris à cause de cette terrible épreuve. Mais on dit en français, qui se sent morveux, se mouche...Celles qui n'ont rien à se reprocher, y vont volontières et le coeur léger.
L'adultère est communément appelé « tshibindi » au Kasaï. Il constitue la honte et le déshonneur sublime. Les conséquences d'un tel acte sont incommensurables et incalculables. Ces conséquences vont de la mort des enfants jusqu'à celle du mari. En effet, d'après les ancêtres, c'est l'homme le chef de famille. Il incombe donc à celui-ci d'imprimer la discipline nécessaire à son foyer. Il en est le garant de sa bonne conduite et du respect aux règles du mariage par sa femme. C'est pour cela que les sanctions commencent par les enfants en guise d'avertissement pour s'étendre jusque chez l'homme. Nul ne sait comment fonctionne ce tribunal de la coutume. Dans la culture luba, le fait de toucher, même l'épaule d'une femme mariée est considéré comme un adultère. Parler avec un inconnu aussi est assimilé à un adultère. Quand à l'adultère physique, c'est la rupture irrémédiable, la mort et l'enfer. Ainsi l'adultère constitue l'infraction culuturelle et morale abominable et irréversible par excellence. Ses conséquences vont du divorce à la mort en passant par toute sorte des maladies. L'adultère, chez les Luba, est appelé « tshibindi ». Donc le tshibindi est l'infraction au contrat du mariage. Cette infraction est considérée comme telle lorsqu'elle est commise par l'épouse. Cette qualité d'épouse est validée par la dot. Celle-ci constitue le lien entre l'homme et sa femme avec leurs familles. La dot constitue le lien entre l'homme, sa femme et la société des vivants. Surtout la dot constitue le sceau sur le contrat du mariage signé entre l'homme et sa femme devant les ancêtres. Donc le « tshibindi » est une infraction devant ces trois juridictions. Et chacune d'elles a ses sanctions envers cet acte.
LE TSHIBAWU :
Lévitique 20:10: Si un homme commet adultère avec une femme mariée, s'il commet avec la femme de son prochain, l'homme et la femme adultères seront punis de mort.
Dans la culture luba, si le verdict sur l'adultère ou le tshibindi est impitoyable, il existe pourtant une jurisprudence. Nos ancêtres ne sont pas de monstres insensibles et impitoyables. Leur souci permanent est la cohésion, la stabilité et la paix dans les familles. Dans la gestion d'une situation d'adultère, chez les Luba, il existe un étroit couloir de pardon et de nouvel engagement pour une épouse adultère. La mise en place de ce couloir de pardon est strictement encadrée. Ce couloir de pardon est totalement sous contrôle de la famille du mari « adultéré » et du mari lui même. La mise en place du rituel de purification de l'épouse adultère est strictement réglémentée par les coutumes luba. La femme soumise à ce rituel est dite « mukaji muena tshibawu » ou la femme de la sanction « tshibawu ». Ce rituel est accompli par les femmes agées et pures du clan du mari. Pour le faire, il faut satisfaire les conditions suivantes: le mari doit être prêt et d'accord pour pardonner à sa femme; la famille du mari « adultéré » doit aussi être prête à pardonner. Ces deux conditions doivent impérativement être réunies pour enclencher les rituels du « tshibawu ». De fois, il y a des situations kafkaïennes...le mari, dans l'amour de sa femme, veut pardonner, mais sa famille ou un des ses membres influents refuse catégoriquement d'accorder le pardon. Donc, si ces deux conditions ne sont pas réunies, il n'y a que la seule voie de la répudiation qui reste. Si le mari s'entête à garder une femme souillée et coupable d'adultère, il aura à faire, dans ce cas là, au tribunal des ancêtres...Parmi ces conditions de pardon, la plus importantes est la situation des enfants. C'est cette condition qui priment sur toutes. Supposons que le mari et sa famille acceptent de pardonner l'épouse adultère. L'étape suivante, sera l'entrée en lice des femmes agées et pures du clan pour les rituels du « tshibindi » ou purification d'une épouse suite à un adultère. Ces rituels sont exécutés très tôt, à l'aube, selon un déroulement défini par ces femmes et selon des étapes définies par les coutumes ancestrales luba. Ici, nous ne jugeons pas nécessaire d'entrer dans la description de ces rituels. Nous soulignerons seulement que le fait de commettre une faute demande réparation. Et qu'un deuxième pardon n'est jamais à l'ordre du jour en cas de récidive.
Dans l'entendement de la communauté congolaise, il y a une certaine confusion dans la compréhension et l'interprétation du terme « tshibawu » et de son concept. Nous en profitons pour rectifier et dire que « tshibawu » est un ensemble de rituels de réhabilitation et de purification d'une épouse adultère. On entend souvent les Kinois dire « eh keba, epayi ya Baluba, tshibawu ezali. Soki obali Muluba sala keba... » C'est une confusion. Il faut dire « eh keba, epayi ya Baluba, tshibindi ezali. Soki obali Muluba sala keba... » Donc il y a une inversion et une confusion entre l'acte répréhensible « tshibindi » et sa correction « tshibawu ».
LE LUPEMBA
Génèse, 27:31-34: Il fit aussi un mets, qu'il porta à son père; et il dit à son père: Que mon père se lève et mange du gibier de son fils, afin que ton âme me bénisse ! Isaac, son père, lui dit: Qui es-tu ? Et il répondit: Je suis ton fils ainé, Esaü. Isaac fut saisi d'une grande, d'une violente émotion, et il dit: Qui est donc celui qui a chassé du gibier, et me l'a apporté ? J'ai mangé de tout avant que tu ne vinsses, et je l'ai béni. Aussi sera-t-il béni.
Génèse, 27:38-40: Esaü dit à son père: N'as-tu que cette seule bénédiction, mon père ? Béni moi aussi père ! Et Esaü éleva la voix, et pleura. Isaac, son père, répondit, et lui dit: Voici ! Ta demeure sera privée de la graisse de la terre. Et de la rosée du ciel, d'en haut. Tu vivras donc de ton épée, Et tu seras asservi à ton frère; Mais en errant librement ça et là, Tu briseras son joug de dessus ton coup
Lupemba: argile de couleur blanche. Cette argile est utilisée dans diverses cérémonies dans presque toutes les tribus du Congo, notamment les Luba. Les hommes, comme les femmes s'en badigeonnent selon les manifestations rituelles. Les « mua Mulopo » sont parmi les grandes consommatrices de cette argile.
Chez les Luba, les pères doivent faire des cérémonies de bénédiction pour leurs enfants à leur majorité. Ces cérémonies concernent souvent les garçons. Le jeune doit signifier son entrée dans le monde des adultes par un acte de bravoure visible par toute la communauté. Son père suite à cet acte, prendra note de la maturité de son fils et de sa capacité de s'assumer. A partir de cet instant, il est apte à demander la bénédiction de son père pour que les augures et les ancêtres lui soient favorables dans toutes ses entreprises. Seul son géniteur est habilité à lui donner cette bénédiction, et pas un autre. C'est une cérémonie que le père prépare selon les coutumes luba. Il exécute celle-ci seul avec son fils et prononce des paroles appropriées aux ancêtres. Ensuite il balise le chemin du futur pour son fils. Il enduit celui-ci de l'argile blanche, le « lupemba ». Il enduit son fils de cette argile à des endroits particuliers et précis. Une fois le rituel fini, il annoncera à toute la famille la bénédiction ainsi accordée à son fils. Il n'est pas rare que les cancres et les crétins se voient retoqués par le père. En effet, si le père estime qu'il a engendré un abruti, il ne perdra pas son temps à faire cette cérémonie. Comme dans la bible, c'est alors que parfois les mamans s'en mêlent et demandent au père de bénir le cafard...Et souvent, le père demande l'acte solennel posé par le fainéant afin qu'il le bénisse...Dans l'ancien temps, l'acte pour réclamer le « lupemba » de son père était par exemple un fait de bravoure à la chasse, à la pêche, à la guerre. Tout comme la sagesse et la manière de se conduire dans la famille. De nos temps, les choses ayant évoluées, les résultats académiques, une entreprise réussie, l'obtention du bac sont assimilés aux actes donnant accès au « lupemba » paternel. Ainsi, quand notre Claude Kangudie obtint son bac, eut-il droit à son « lupemba » paternel...Moment d'émotion intense. Etre reconnu par son père comme adulte pouvant désormais lui succéder, c'est une exaltation sublime et suprême. Donc le « lupemba » est une lampe remise par le père à son fils afin de lui éclairer le chemin de la vie.
De nos jours, dans l'entendement du Congolais de Kinshasa, on entend souvent dire « buakela nga lupemba » ou « pesa nga lupemba »...ce qui est une grande confusion. Nous pensons que par ces formules, on veut juste demander un souhait de bonne chance et de réussite à une personne. Si nous devons transposer cette demande à la culture luba, elle est sera traduite par ce qu'on appelle « kuela mata panshi ». Cette pratique consiste à accorder ses meilleurs voeux et souhaits à toute personne de son choix. C'est une partique générale pouvant être faite par n'importe qui, contrairement au « lupemba » qui est soumis à une relation filiale...Le lupemba est un feu vert sacré, pour la vie, donné par un père à son fils.
CLAUDE KANGUDIE
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