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Publié par DÉPARTEMENT D’ÉTAT USA

Poursuivant la publication des documents déclassifiés du Département d’État Américain sur la RDC fournis par le Dr Jeremy Rich de l’Université de Marywood des USA, nous proposons à nos lecteur un document rare, plein de révélations, sur l’origine des conflits au sein de l’Armée Nationale Congolaise ANC, conçu par les services américains en 1969.

Ce document rédigé entièrement en anglais a requis un certain temps pour sa traduction en français. Nous nous sommes efforcé de n’ajouter ni de retrancher aucun mot. Nous conserverons sa version d’origine en anglais.

Messager

Congo-Kinshasa : Les sources des conflits au sein de l’Armée Nationale Congolaise (ANC)

UN DOCUMENT DÉCLASSIFIÉ DU DÉPARTEMENT D’ÉTAT USA

Du 3 juillet 1969.

 

 

 

« Y a-t-il un pays où l’armée est plus unifiée ou mieux organisée ?  Je ne le pense pas. »

Raymond DeSchrijver

Ministre pour les Affaires Congolaises

Bruxelles, mars 1960

Ce document traite de la signification politique de l’armée congolaise et de la façon dont la politique interne de l’armée aide à déterminer son rôle au sein du régime Mobutu.

 

SOMMAIRE 

 

Les fondements du régime.  La force est un élément essentiel dans la politique congolaise. Dans un pays déchiré par les antagonismes ethniques et régionaux, assailli par de problèmes économiques graves et une administration faible et souvent corrompue, il ne pouvait en être autrement. La force du régime Mobutu est son incontestable usage de l’Armée Nationale Congolaise (ANC) comme un instrument de coercition, appliqué brutalement et parfois sans discernement. Du point de vue de la politique nationale congolaise, l’armée a été un instrument politique efficace, bien qu’inefficace. Mais c’est aussi un support incertain pour le régime. Si l’armée semble se contenter d’exercer ses énergies politiques à travers Mobutu, elle n’est en aucun cas un spectateur passif.

L’Anatomie du conflit.  Les observateurs de la scène congolaise lèvent trop souvent la main pour tenter de définir la dynamique politique de l’Armée. Les forces qui opèrent au sein du corps fermé d’officiers, presque cloisonné, pour cristalliser l’assentiment ultime de l’ANC ou son opposition à une politique donnée ne sont pas clairement comprises. Mais l’Armée ne constitue pas entièrement une énigme. Beaucoup de ses conflits internes sont liés à la turbulence des premières années de l’indépendance, et certains provenant de l’histoire coloniale. L’entière structure de l’Armée est influencée par les allégeances ethniques et truffée de préjugées tribales.

Certaines parties de l’armée se sentent aliénées en raison de la loyauté et de l’animosité régionales. Les politiciens cherchent à créer des cliques privées au sein du haut commandement, et des querelles personnelles parfois rôdent juste sous la surface. Les officiers subalternes et intermédiaires les mieux formés aimeraient remplacer les plus âgés. Et au sommet, les deux généraux de l’ANC se disputent le futur commandement.

Forces et faiblesses. Ces conflits internes permettent à Mobutu de manipuler les différentes branches de l’Armée et de maintenir son contrôle du pays. Mais la volatilité de la politique militaire est aussi le plus grand danger pour Mobutu, et ce que l’armée tolérera est presque toujours une variable dans l’équation politique congolaise. Par exemple, en octobre 1968 l’Armée n’avait pas accepté l’amnistie politique promise au leader rebelle Pierre Mulele par le ministre des Affaires Etrangères Justin Bomboko, et Mulele fut exécuté. Mobutu reconnaît que sa force dépend du soutien de l’Armée et cette prise de conscience, combinée à sa connaissance de la politique interne de l’armée, doit souvent lui procurer des moments de réflexion.

L’héritage de la Force Publique--- Le tribalisme.

Un érudit a caractérisé la précédente Force Publique, comme étant « unilingue, hétérogène ethniquement, hautement centralisée dans sa structure, avec de solides liens internes et une perspective nationale ». L’administration coloniale belge pense que le mandat de sept ans d’enrôlement dans des camps isolés du milieu tribal a tellement brisé les amarres traditionnelles du soldat qu’il est sorti du service militaire en tant que personne détribalisée. Dans certaines parties du Congo des villages fin-de-terme furent construits pour des soldats démobilisés qui refusèrent de retourner dans leurs coins d’origine. Il n’est pas surprenant que certains récents observateurs ont conclu que le long service militaire a produit une nouvelle affiliation « tribale » — une loyauté envers l’armée congolaise qui l’emportait.

Cette conclusion est probablement exagérée. Certains soldats ont peut-être été arrachés à leurs coutumes traditionnelles, mais un fort sentiment de loyauté tribale persiste. La Force Publique avait non seulement dû soumettre des tribus hostiles, mais, à plusieurs reprises, combattre la rébellion dans ses propres rangs. Presque chaque fois que cela s’est produit, le déséquilibre tribal dans l’unité affectée a été considéré comme la cause principale. Suite aux révoltes de Luluabourg en 1895, celles de l’expédition de Dhanis en 1897, et de Boma en 1900, le règlement militaire requis un minimum de représentation de quatre tribus dans chaque peloton.  Après l’introduction de cette règle, il n’y eut plus d’importants soulèvements dans la Force-Publique, Jusqu’à la mutinerie dans la garnison de Luluabourg en 1944, qui a été jugé comme étant le résultat d’un manquement dans l’application du présent règlement.  Bien que la "politique de mélange tribal" ait réprimé la manifestation du tribalisme dans la Force-Publique, elle n’a pas détruit le sens personnel de l’identité tribale, et les événements qui ont immédiatement précédé l’indépendance ont renforcé ces loyautés primordiales.

Durant les mois qui ont précédé l’indépendance, le climat général était dominé par le soupçon, la peur, et l’incertitude. Aucune rumeur n’était trop invraisemblable pour être acceptée et répétée par une large audience. L’une de celles qui a gagné la confiance du leader nationaliste émergent était que l’armée serait appelée à anéantir les nouveaux groupes politiques. La crédibilité de la rumeur a été renforcée par les vues racistes du commandant belge de la Force-Publique, le Général-Major Emile Janssens (qui a admis plus tard qu’il avait l’intention d’organiser une armée pour s’opposer à Lumumba). Les leaders politiques congolais cherchant le soutien dans l’Armée, établirent des contacts avec leurs compagnons de tribu parmi les sous-officiers non promus et les hommes de troupe. Dès 1959, il était un secret de polichinelle à Kinshasa que Joseph Kasa-Vubu—le futur président du Congo—pouvait compter sur l’appui et la loyauté d’un autre Mukongo, l’adjudant Justin Kokolo. Il y a de nombreuses raisons de soupçonner que Kasa-Vubu avait également obtenu la loyauté de Léopold Masiala, un sergent-major d’origine Bakongo en poste dans la ville natale de Kasa-Vubu, Boma, et maintenant général-major et inspecteur général de l’armée.

Bien qu’il ne soit pas possible de documenter, autre que circonstancielle, l’alliance établie par des aspirants politiques tels que Victor Nendaka, Patrice Lumumba, Justin Bomboko et Joseph Mobutu, il y a lieu de croire qu’ils étaient moins prévoyants que Kasa-Vubu. Depuis l’indépendance, le colonel Ferdinand Malila (aujourd’hui attaché militaire à Paris) était un dépendant politique de son compatriote de tribu, Victor Nendaka, et de l’ancien sergent-major Victor Lundula (aujourd’hui général-major à la retraite) rapidement rallié au soutien de son cousin, Patrice Lumumba. A la veille de l’indépendance, l’ethnicité, déjà profondément enracinée dans la Force-Publique, est devenue le trait saillant de la nouvelle armée nationale congolaise ANC.

Les observateurs militaires de l’Ouest ont souvent fait allusion à l’omniprésence du tribalisme dans l’ANC, mais ils ne l’ont apparemment pas pleinement compris. La profondeur de la loyauté tribale est cependant évidente pour les Congolais. Il y a plusieurs années, l’assistant le plus proche de Mobutu défendait le refus de son chef de pratiquer la discipline, sous prétexte qu’un tel contrôle n’était pas possible dans une armée ethniquement divisée. Il a affirmé que la discipline réputée de l’ancienne Force-Publique n’était possible que parce que les soldats congolais acceptaient l’impartialité des commandants belges. Il y a beaucoup de vérité dans ce jugement. Maintenant, les soldats de Bakongo, par exemple, sont opposés aux sanctions disciplinaires prises par des officiers non-Bakongo; ll en va de même pour tous les grands groupes ethniques représentés au sein de l’ANC. Aux échelons inférieurs, la compagnie et le bataillon, la discipline ne peut être inculquée que par les canaux ethniques. Au niveau du groupement (région militaire) et du Quartier Général, les cours martiales ne sont considérées comme justes et acceptables que si l’accusé, l’avocat de la défense et le président de la cour ont des liens tribaux.

Le choc de l’indépendance et ses conséquences.

L’Armée Nationale Congolaise s’est rebellée le 5 juillet 1960, cinq jours seulement après l’indépendance. Les troubles qui en ont résulté, exacerbés par la sécession subséquente du Katanga et du Kasaï du Sud et le conflit entre les régimes rivaux de Léopoldville et de Stanleyville, se sont largement estompés dans l’histoire. Mais l’héritage de ces événements demeure au sein de l’armée.

Kasa-Vubu et Lumumba furent immédiatement confrontés à la nécessité de réprimer la mutinerie, de réintroduire la discipline, d’installer des officiers congolais, et de réunifier leur armée fragmentée. Submergés par les événements, incertains de leurs mandats politiques, et soumis à la pression internationale, ils ont réagi de manière caractéristique, se tournant vers l’aide de parents tribaux ou d’amis politiques proches. Lumumba nomma son cousin, Victor Lundula, et son fidèle lieutenant politique, Joseph Mobutu, respectivement commandant en chef et chef d’état-major de l’armée. Kasa-Vubu nomma Kokolo commandant du camp Leopold (garnison de Léopoldville) et Léopold Masiala commandant du commandement du Bas-Congo. Jacques Puati, alors jeune Mukongo et maintenant colonel affecté à Londres comme attaché, devint l’assistant de Mobutu ; et le parent tribal de Mobutu, Louis Bobozo, l’actuel commandant en chef de l’armée, devint commandant de la garnison stratégiques de Tysville. Ainsi, le haut commandement de l’ANC est né de la nécessité politique de sécuriser la capitale et ses voies d’accès vitales. Ceci, à son tour, a gagné du temps pour la tâche encore plus difficile de reconstituer l’armée.

Comme expédient, Kasa-Vubu et Lumumba ont accepté la sélection de nouveaux officiers en dehors de l’élection par unité de la capitale. Les élus étaient souvent les plus compétents ou les plus âgés, mais ils étaient parfois choisis parce qu’ils étaient faibles et souples. Dans le Deuxième Groupement (Province de Léopoldville et de l’Equateur), les unités auraient sélectionné les officiers supérieurs les plus compétents. Les troupes du Troisième Groupement (Province du Kivu et Province Orientale) choisissaient le plus souvent les meneurs de la mutinerie et ceux qui avaient pris le commandement lors des premières révoltes. Dans le Premier Groupement (Katanga et Kasaï) les officiers élus étaient souvent des hommes de front, et le pouvoir réel restait au comité des soldats. Certains soldats, qui ne se distinguent seulement par leur capacité à organiser des opérations criminelles, se retrouvent instantanément capitaines et majors. Heureusement pour l’ANC actuelle, certains des pires commandants, ainsi que leurs unités entières, ont déserté pendant la rébellion Simba de 1964. Les récentes tentatives du haut commandement de l’ANC de renvoyer les officiers incompétents ont parfois provoqué des menaces d’insubordination, surtout si les officiers étaient ceux qui avaient coutume de plier aux exigences des soldats.

La fragmentation subséquente de l’autorité politique a donné lieu à quatre armées concurrentes au Congo à la fin de 1960. De Léopoldville Mobutu a contrôlé quelque 8.000 troupes.  Lundula, démis par Kasa-Vubu de ses fonctions de général commandant le 30 septembre 1960, à la suite de la rupture de ce dernier avec Lumumba, s’engagea envers l’ancien vice-premier ministre de Lumumba, Antoine Gizenga, et devint chef de 6000 troupes dissidentes dans la région de Stanleyville.  L’État libre minier d’Albert Kalonji a réclamé 3000 soldats dans le Kasaï. Près de 6.000 hommes sous les ordres d’officiers belges ont soutenu la cause de Moïse Tshombe au Katanga. Près de 6.000 hommes sous les ordres d’officiers belges ont soutenu la cause de Moïse Tshombe au Katanga. Chaque force a augmenté sa force par le recrutement local et a cherché le soutien étranger.

Il n’y a que des comptes-rendus sommaires des combats entre les forces en présence. Certaines actions ont eu lieu au Kivu ; d’autres autour de Luluabourg ; et plusieurs engagements assez tranchants ont été nécessaires pour briser les sécessions du Kasaï et du Katanga. De nombreux officiers de l’ANC ont déjà rencontré leurs camarades d’armes actuels sur les lignes de front — et ils n’ont pas tous pardonné et oublié ces rencontres antérieures. L’ancien chef de la Surété du Congo et actuel attaché militaire à Rome, le colonel Alexandre Singa, par exemple, a dit que sa rivalité avec l’ex-gouverneur de la province de Kinshasa, l’ancien général de brigade Alphonse Bangala — qui a éclaté dans une crise mineure au début des années 1960. . .--date de 1961. Bangala, qui à cette époque avait été l’adjudant de Singa à Bukavu, a fait défection sous le régime de Gizenga et a plus tard mené une attaque contre Bukavu qui a abouti à la capture, le passage à tabac et l’emprisonnement de Singa. Dans un autre cas, le général Leonard Mulamba, actuellement ambassadeur du Congo en Inde, a été destitué comme premier ministre en 1966 par des officiers qui l’ont attaqué principalement au motif qu’en 1961 il avait dirigé les troupes de Gizenga à Luluabourg.

Les officiers supérieurs qui étaient jadis ennemies abondent dans la hiérarchie de l’armée. Parmi eux se trouve le commandant de l’armée de l’Air congolaise formé par les Russes. Le colonel Leonard Losso, ancien chef d’état-major des forces de Lundula ;  Masuke Moke,  ancien commandant militaire de Moïse Tshombe au Katanga, aujourd’hui commandant général du sixième groupement; le général Etienne Tshinyama, ancien chef d’état-major de l’armée d’Albert Kalonji, qui commande maintenant le Cinquante Groupement ; et le général Eustache Kakudji, commandant du troisième Groupement, qui a déjà servi comme capitaine dans l’armée de Baluba du Nord  Katanga de Jason Sendwe. Pour le moment, la mutualité des intérêts dans les rangs supérieurs de l’ANC a submergé toute rancœur qui subsiste de l’ère 1960-61. Mais des tensions soudaines et inattendues pourraient facilement briser les minces liens de l’allégeance.

 

Le Provincialisme.

La fragmentation de l’armée a également conduit à ce qui a été appelé diversement provincialisme, régionalisme, et parfois, le factionnalisme.

Le provincialisme en tant que force de la politique congolaise s’est manifesté à Kinshasa dès 1945, lorsque deux chefs de cité (chefs de quartier) ont été sélectionnés parmi les soi-disant "Bangala", un label générique appliqué indistinctement à ceux qui étaient arrivés à Léopoldville en provenance de la région du Haut-Congo. Sur le plan ethnique, cette région est divisée entre de nombreuses petites tribus. Leur lien est une langue commune, le lingala, qui est une Langue véhiculaire.

Parce que Mobutu et la plupart des officiers qui se sont ralliés à lui en 1960 étaient de la région du Haut-Congo, les officiers "Bangala" des provinces du nord-est de l’Equateur et Orientale dominent la hiérarchie de l’ANC. La même raison impérieuse qui a réuni les politiciens « Bangala » — la nécessité de compenser la supériorité numérique des grandes tribus congolaises — a mené à une cohésion tout aussi remarquable parmi les officiers « Bangala. Bien que l’affiliation régionale en soi ne semble pas être le facteur déterminant de la promotion, il s’agit d’une considération importante dans les affectations. Le haut commandement a tendance à s’assurer que les postes de commandement ou d’état-major sensibles (renseignements et sécurité) sont occupés par des gens dignes de confiance du Nord-Est.

Les officiers de la région du Bas-Congo (à peu près en aval de Kinshasa) sont moins en vue et moins influents que les officiers "Bangala", mais ils demeurent une force influente et cohésive au sein de l’armée. Les officiers "Bangala" et du Bas-Congo discriminent les officiers du Kasaï, du Kivu et du Katanga. Les préjugés fondés sur les origines régionales sont profondément ressentis par les officiers du sud et de l’est et pourraient conduire un jour à une scission majeure dans l’armée.

 

Le factionnalisme politique.

"Provincialisme" et "factionnalisme politique" sont souvent utilisés comme s’ils étaient interchangeables pour décrire la politique interne de l’ANC. Les termes font référence à deux éléments différents. Le peu que nous savons sur les factions politiques de l’armée découle principalement des rapports concernant la clique Nendaka, composée en grande partie de membres de la tribu Babwa de Nendaka ; la plupart des membres de ce groupe proviennent des alentours de Buta dans la province orientale.  Le fractionnisme politique dans l’armée doit sembler un danger pour Mobutu ou il ne serait probablement pas se déchaîner sur elle si fréquemment. Le fractionnisme politique dans l’armée doit sembler un danger pour Mobutu ou il ne serait probablement pas se déchaîner sur elle si fréquemment. Plus tôt cette année, par exemple, il a réprimandé l’ancien ministre des Affaires économiques Ferdinand Tumba lors d’une réunion du Cabinet pour avoir tenté d’obtenir un suivi parmi plusieurs officiers non identifiés de l’ANC haut. Et depuis des années, il sait sans doute que le ministre des Affaires étrangères Justin Bomboko et le général François Itambo,, commandant du Deuxième Groupement , sont des copains. En 1966, alors qu’Itambo était commandant du Sixième Groupement, il a été accusé d’avoir truqué les élections sur le territoire d’origine de Bomboko afin d’assurer l’élection de politiciens pro-Bomboko.

Il est difficile d’obtenir des renseignements sur le factionnalisme politique au sein de l’armée. Mobutu a déclaré sans équivoque qu’il ne tolérera pas d’ingérence politique dans l’ANC, c’est-à-dire : que les politiciens civils ne doivent pas essayer de construire des cliques de soutien parmi les militaires. Les factions politiques qui existent dans l’armée sont, par nécessité, cachées.  Le groupe qui entoure le ministre des Finances Victor Nendaka s’intéresse peut-être plus à l’autopromotion qu’à s’afficher sur la scène nationale puisque Mobutu semble l’avoir toléré pendant de nombreuses années. Parmi ses membres figurent le colonel Malila et Singa, récemment destitués, le colonel Jérôme Babia, chef d’état-major adjoint de l’ANC, le colonel Christophe Yohane, commandant du 13e bataillon, et le major Joseph Yoga, un ancien commandant du 3ème Bataillon Paracommando  qui a été récemment relevé du service actif pour incompétence.

Bien que Mobutu s’oppose fréquemment à la politique dans l’armée, aucun politicien ne peut espérer gagner plus que la loyauté de la majorité des officiers ; l’ethnicité et le provincialisme sont trop profondément enracinés. Étant donné la position et les ressources actuelles de Mobutu, il est peu probable qu’un politicien puisse rivaliser avec lui. Un jour, l’armée dans son ensemble peut se sentir lésée mais, pour le moment du moins, Mobutu semble prêter l’attention voulue aux besoins et aux désirs de l’armée et recevoir sa loyauté en retour.

Le conflit des générations.

Au cours des deux dernières années, les observateurs ont émis l’hypothèse que les agents plus jeunes et plus instruits pourraient vouloir évincer leurs aînés. Bien que le corps des officiers ait clairement un écart de génération, ce n’est pas la principale faiblesse de division dans l’armée. Le corps des officiers est divisé en trois niveaux d’éducation et de groupe d’âge.  Au sommet se trouvent les généraux et les colonels qui étaient sergents- major ou adjudants de la Force Publique à l’indépendance. Ces hommes n’ont eu que le minimum d’études formelles, et presque aucune éducation militaire qui les rendrait dignes de leurs postes actuels.  Viennent ensuite les officiers de classe moyenne, les majors et les colonels, qui peuvent avoir l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires mais, plus important encore, ont passé un certain temps dans des écoles militaires belges ou étrangères.  Enfin, il y a les récents diplômés des académies militaires belges et françaises, dont la formation formelle peut s’étendre jusqu’au niveau d’une maîtrise.

Parmi le deuxième groupe, les colonels Malila, Babia, Puati et Losso sont les aspirants aux postes de commandement les plus importants. Les membres du groupe encore plus jeune restent essentiellement anonymes puisque leur position de grade d’entreprise les ont rarement mis en avant. Le rapport inverse entre le rang et la compétence professionnelle comporte un conflit intégré et facilement apparent qui a inspiré de nombreux rapports imaginaires de surété sur des complots de coup d’État non vérifiés parrainés par des officiers de niveau intermédiaire et subalterne.

Les jeunes officiers -- ambitieux, impatients et très conscients de l’incompétence de leurs chefs -- aimeraient ardemment voir ces officiers s’installer dans des postes de direction, mais leur faible nombre et leur manque de contrôle sur les grandes unités rendent une révolte d’officiers subalternes peu probable de réussir pour le temps à venir. Probablement moins de 150 officiers ont bénéficié de l’enseignement supérieur. Pour la plupart, ils sont affectés à des tâches facilement observables au Quartier-Général. Les seules unités connues contenir un nombre important de ces officiers sont le 1er Bataillon Paracommando à Kinshasa et le 1er Bataillon Paracommando à Kisangani, qui ont chacun une majorité de soldats de la province d’origine de Mobutu, l’Equateur. Jusqu’à ce que les officiers subalternes commandent des bataillons et des groupements — c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils aient atteint au moins les grade intermédiaires —, ils devront probablement se contenter de faire des efforts parce qu’ils manquent de ressources et d’organisation pour agir.

Les jeunes officiers -- ambitieux, impatients et très conscients de l’incompétence de leurs chefs -- aimeraient ardemment voir ces officiers s’installer dans des postes de direction, mais leur faible nombre et leur manque de contrôle sur les grandes unités rendent une révolte d’officiers subalternes peu probable de réussir pour le temps à venir. Probablement moins de 150 officiers ont bénéficié de l’enseignement supérieur. Pour la plupart, ils sont affectés à des tâches facilement observables au Quartier-Général. Les seules unités connues contenir un nombre important de ces officiers sont le 1er Bataillon Paracommando à Kinshasa et le 1er Bataillon Paracommando à Kisangani, qui ont chacun une majorité de soldats de la province d’origine de Mobutu, l’Equateur. Jusqu’à ce que les officiers subalternes commandent des bataillons et des groupements — c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils aient atteint au moins les grade intermédiaires —, ils devront probablement se contenter de faire des efforts parce qu’ils manquent de ressources et d’organisation pour agir.

 Les officiers de niveau intermédiaire représentent une menace potentiellement plus grave puisqu’ils sont en mesure de contrôler des forces importantes. Mobutu, cependant, a été très sensible à ce problème. Les plus brillants de ce groupe sont en exil à l’étranger comme attachés, et d’autres qui sont suspects sont stationnés dans la capitale, où ils peuvent être gardés sous surveillance. Un danger persiste de la part de ces officiers, mais, comme dans le cas des juniors, nous ne connaissons aucun réseau de coordination ; la plupart se sont vu refuser le commandement des troupes, sauf dans les zones isolées.

La clique Anti-Bobozo.

Le Commandant en chef de l’armée, le lieutenant-général Louis Bobozo, a été décrit comme « sympathique, paresseux, hédoniste, autoritaire et incompétent ». Apparemment, Il aurait fait l’objet d’une vive controverse au sein de l’armée. S’il n’était pas l’oncle de Mobutu, dit-on, il aurait été viré il y a longtemps. Il est la cible du mépris des élites éduquées pour tout ce qui ne va pas dans l’armée. Pourtant, il persiste.

Au fil des ans, l’ancienneté acceptée dans l’armée est devenue la période de service. Selon ce critère, Bobozo est l’officier supérieur actif en service de l’ANC. Il croit, certainement plus que Mobutu, que la politique et l’armée ne se mélangent pas ; il a été exposé, après tout, à des leçons militaires belges beaucoup plus longtemps que Mobutu et a maintenu une excellente réputation dans tout le corps des officiers comme étant d’abord et avant tout un soldat. Il a été constamment loyal à Mobutu et, à ce jour, n’a montré aucune tendance à être plus que le commandant général de l’armée. Malgré les critiques répétées d’un petit groupe d’officiers à Kinshasa, mais très bruyants, rien n’indique que Bobozo n’est pas, en fait, acceptée — et respectée — par le reste de l’armée.

La majorité de l’opposition à Bobozo vient de la clique Nendaka ; d’autre, aussi, de certaines tribus non-Babwa (notamment le colonel Antoine Bumba, commandant de la garde prétorienne de Mobutu, le 1er Bataillon Paracommando). Il y a un grain de vérité dans les rapports selon lesquels le colonel Malila, désire remplacer Bobozo comme commandant de l’armée. Même lorsqu’il était chef d’état-major de Mobutu, Malila n’a jamais caché sa conviction qu’il était le meilleur officier de l’armée. Mais les antagonismes tribaux et provinciaux au sein de l’armée ont toujours fait de l’ancienneté la seule base généralement acceptée pour la légitimité du commandement. Étant donné le statut relativement subalterne de Malila (il y a douze officiers généraux qui le surpassent), il est difficilement concevable que ce soit la cause principale du sentiment anti-Bobozo. La raison peut être beaucoup plus simple.

Avant d’assumer la présidence, Mobutu a beaucoup appris sur son personnel immédiat. Ces hommes étaient habitués à traiter avec Mobutu sur une base quotidienne et personnelle. Peu de temps après que Bobozo eut été nommé commandant général, il lui a dit que lui seul, en tant que commandant général, avait le droit d’avoir accès au président. Après que son ordre ait été désobéi à plusieurs reprises par l’ancien état-major de Mobutu ; Bobozo a ordonné à Bumba de ne pas laisser Malila, alors chef de cabinet de l’ANC, le colonel Michel Nzuzi, alors G-2 de l’ANC ;  le colonel Michel Mwarabu, alors chef d’état-major du deuxième Groupement ; et le colonel Honoré N’kulufa , alors chef d’état-major adjoint de l’ANC, pour entrer dans le camp de Paracommando de Kinshasa (où vit Mobutu) ou pour voir le Président. Quand Bumba a désobéi à l’ordre de Bobozo, il a été assigné à résidence. Depuis cette époque, il y a eu un déluge de rapports, tous émanant de Nendaka ou de sa clique, concernant le mécontentement des officiers envers Bobozo.

La question de succession

On mentionne rarement le plus grave différend entre le Lieutenant-Général Bobozo et le Général-Major Masiala, inspecteur général de l’armée. Cela soulève le spectre d’une éventuelle bataille pour la succession pour le commandement. L’origine du différend est inconnue, mais elle est de longue date. Elle peut provenir du placement par Mobutu d’officiers de l’Equateur (sa propre province) dans des postes clés au détriment des officiers du Bas-Congo, ou de l’association de Masiala avec un mouvement irrédentiste du Bas-Congo au début des années 1960. On dit que Masiala protège les officiers anti-Bobozo, en particulier l’ivrogne, le colonel Clément Soma-Mastaki, actuellement affecté auprès du Général Masiala comme Inspecteur Général des Bataillons Para commandos.

Sous une évolution normale de commandement, Masiala devrait s’attendre à devenir le prochain général commandant de l’armée. Mais peu de temps avant que Mobutu évince Kasa-Vubu en 1965, le colonel Séraphin Bosango, un officier à la retraite a été rappelé en service actif. Bosango, un vieux copain de Bobozo, devenu r Général-Major et Inspecteur Général de la Gendarmerie, avait été contraint à la retraite prématurément par l’indignation du corps des officiers à cause de son incompétence et de sa lâcheté lors de l’attaque rebelle contre Bumba l’année précédente. Bien qu’adjudant à l’indépendance, il n’a pas été élu officier par son unité parce qu’il était considéré comme trop amical envers les Belges. La liste de promotion de 1966, cependant, donna à Masiala et à Bosango le grade de Général de brigade avec des dates identiques d’ancienneté. Leur promotion au grade de Général –Major en 1968 les classe à nouveau sur un pied d’égalité.

Bobozo semble maintenant préparer Bosango comme son successeur éventuel tout en essayant de déclasser Masiala. Au début de 1969, Bobozo tenta de réprimander Masiala en le suspendant de ses fonctions actives pendant six mois pour avoir assisté aux funérailles de l’ex-Président Kasa-Vubu. Bosango devait être commandant temporaire de l’armée pendant le congé médical de Bobozo en juin. Dans les deux cas, Mobutu aurait annulé les ordres. Mais Bobozo est un homme têtu et n’a probablement pas abandonné son plan. Il peut encore convaincre Mobutu que Masiala est politiquement trop peu fiable et trop ambitieux pour lui confier le commandement de l’armée.

Si cela s’avérait être le cas, Masiala pourrait bien objecter à être contourné. Dans la lutte pour le pouvoir qui s’ensuivra, l’ANC pourrait se scinder selon des lignes tribales, avec le Bas-Congo et des officiers du Sud s’opposant aux officiers de l’Équateur et de la Province Orientale. Le clivage pourrait dégénérer rapidement si l’on considère l’affiliation tribale des commandants de Groupement.  Une telle situation serait potentiellement si explosive qu’il semble inconcevable que Mobutu permette qu’elle se produise. Nous pensons que si Bobozo mourait ou se retirait, Mobutu serait forcé d’écarter simultanément Masiala et Bosango de l’armée.

Ce que nous ignorons.

Dans toute armée, les relations entre les officiers sont un élément important du bon fonctionnement de la machine. Les relations personnelles dans l’armée congolaise sont souvent plus importantes que la capacité à déterminer la promotion et les affectations. Nous savons peu, malheureusement, des frictions et des irritations qui se sont développées à partir des conflits personnels entre les officiers---qui ont pris telle maîtresse, qui ont reçu une affectation convoitée, qui marchent sur telles orteilles.

En fouillant les dossiers, nous découvrons que Mobutu et le regretté colonel Joseph Tshatshi étaient autrefois des concurrents pour les faveurs d’une jolie fille. Nous voyons que le major Jean Mbandio, ancien commandant du 14e Bataillon, a déjà menacé d’arrêter le général Kakudji. Notons que les colonels Gérard Ngudingusha et Dominique Ndele se sont disputés amèrement pour savoir qui commandait au moment de la mutinerie des Katangais à Bukavu en 1966. Nous apprenons que Colenel Alexander Kantu méprise le général Masiala, En somme, nous ne voyons que des fragments. Nous ne sommes pas non plus certains qu’une histoire complète existe. Beaucoup de tels incidents peuvent se produire et être oubliés, mais d’autres demeurent. Toute enquête de l’ANC doit reconnaître les énormes lacunes d’analyse.

Mobutu---Leader et dirigé

Mobutu, plus que quiconque, est conscient des frictions, des intrigues et des rivalités qui minent son armée. Jusqu’à présent, il a habilement remué et mariné le mélange. Dans une certaine mesure, les dissensions internes de l’armée permettent à Mobutu de manipuler sa lourde circonscription et d’exercer ainsi un certain contrôle. Mais, lui aussi, est prisonnier de la volatilité de l’armée. Le calme que le Congo a connu cette année témoigne de la force de Mobutu. Mais la connaissance que sa force dépend de l’armée, combinée à sa connaissance de ce corps, doit souvent donner Mobutu l’impression comme il jouit de la splendeur de la présidence.

 

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