QUAND LE FOOTBALL TUE !
Nous avions emprunté ce titre au journal « Congo Football » qui l’avait utilisé à l’époque au lendemain de la mort du gardien Alphonse Dondo du Daring. Récemment un Mbokatier avait posé une question sur ce cas qui avait endeuillé notre football. Nous avions voulu profiter de cette occasion pour essayer de voir tous ces décès survenus sur les pelouses de nos stades à Kinshasa et qui transformèrent ces arènes en un endroit où les sportifs venaient rencontrer dame la mort en plein jeu. Leur agonie ou leur trépas étaient alors suivis en direct par plusieurs milliers de spectateurs abasourdis qui avaient pourtant rendez-vous avec le football.
Avec le temps, les souvenirs s’émoussent. Et il est un peu difficile de donner des dates précises. D’autant plus que nos propres archives personnelles avaient été détruites en notre absence au pays. Tous ces journaux, revues et livres que nous avions jalousement gardés des années durant ont terminé leur vie comme simple emballage des beignets et autres cacahuètes. Ils sont perdus à jamais. Et pourtant, ils auraient aujourd’hui été d’une très grande utilité pour Mbokamosika. Dommage !
Revenons à notre sujet.
Ce devrait être en 1969 ou 1970. C’était lors du Tournoi Tata Raphaël (ou une compétition de ce genre) qui faisait se rencontrer les équipes de la LIFKIN toutes divisions confondues. Cet après-midi-là, avec ses vedettes Kembo, Kibonge, Mayanga et autres, V.Club devrait rencontrer Arc-en-ciel, une équipe de deuxième division au stade Tata Raphaël. Dans cette formation, il y avait plusieurs transfuges de Dravering, une équipe non bottée qui jouait au championnat organisé par le cercle sportif père Damien de Kimbanseke. Un futur Léopard encore inconnu, Kilasu Masamba dit Pelé, était de la partie et faisait ses premiers pas dans ce dur métier de footballeur. Avec lui aussi son coéquipier de Dravering et de Bilima, Makengo dit Gento. Inexpérimenté, Arc-en-ciel fut broyé par les Dauphins noirs. Mais dans l’entretemps, un fait inattendu se passa bien avant la fin du match. Le défenseur Eugène, essoufflé, s’affala dans l’aire du jeu. Il n’était pourtant pas touché et était seul avec son gardien aux alentours de la surface de son équipe. Affolés, ses coéquipiers, tout comme les joueurs de V.Club, accoururent, firent appel aux secouristes qui essayèrent de le réanimer. En vain. Le Ndjilois Eugène décéda quelques minutes plus tard.
Quelques années après (probablement en 1971), lors d’une rencontre entre Daring et Vaticano, l’irréparable arriva de nouveau. C´était encore au stade Tata Raphaël. Sachons que Vaticano étant une satellite de V.Club, cette joute revêtait un caractère particulier. Sur une descente des Bleu-noir, Delo qui se disputait la balle avec le gardien Alphonse Dondo entra en collision avec ce dernier. Il est difficile d’affirmer si Dondo avait arrêté puis lâché la balle ou s’il l’avait tout simplement manquée quand il avait quitté ses perches. Toujours est-il que dans la confusion qui s’ensuivit et alors que Dondo gisait à terre presqu’inanimé, et que les bois étaient vides, Masta Delo s’empara du ballon qui traînait dans la surface de réparation et la propulsa aux fonds des filets. Savait-il ce qui était arrivé au gardien du Daring qu’il venait de toucher à la gorge ? Difficile de répondre à cette question. L’arbitre qui avait suivi l’action puis l’accident ne valida pas le but de Vaticano. Le monde accouru près du gardien, les secouristes aussi. Dondo fut évacué à l’hôpital où son décès fut officiellement déclaré par les médecins qui l’ont accueilli. Quel coup dur pour les Vert-blanc qui venaient de perdre leur gardien des buts au sommet de sa forme. Ayant été déclaré coupable de la mort d’Alphonse Dondo et surtout pour avoir manqué de fair play en envoyant la balle au fonds des filets alors que le gardien adverse qu’il venait accidentellement et mortellement de faucher gisait par terre, Delo fut radié à vie par la FECOFA. Le défunt venait de laisser une veuve et un orphelin encore en bas âge.
Vers les années 1980, un joueur de V.Club avait volé la vedette presqu’à tout le monde. Il s’appelait Bobutaka Bokina, Bobo pour les intimes. Quelques décades auparavant, son aîné Adrien Bobutaka avait fait la pluie et le beau temps dans l’équipe chère au vieux Alphonse Kuba à savoir Himalaya (qui devint Arsenal puis Ruwenzori). Bobo pouvait à lui tout seul changé le cours d’une rencontre. Il avait toutes les qualités requises à un bon et grand joueur: puissance de tir, coup de tête dangereux et sens inné du but. En tout cas, ce feu follet était promis à un bel avenir et à plusieurs reprises, il avait fait pleurer de douleur les fans d’Imana. C’était au stade du 24 Novembre (aujourd´hui stade Cardinal Malula) probablement en 1984. A l´affiche, il y avait ce jour-là une explication serrée entre Vita Club et Matonge. Le match se déroulait depuis un bon bout de temps déjà. Ce fut une balle haute venue des ailes. Bobo qui était dans les parages s´élança dans les airs pour la reprendre avec sa belle tête meurtrière. Le gardien aussi ne voulut pas se faire surprendre. Il quitta ses bois pour défendre sa cage. Dans son élan, il entra en collision corporelle avec l´attaquant de Vita Club qui s´écroula aussitôt. Et pourtant ce fut un choc anodin donc pas grave. D´aucuns dirent que Bobutaka était mort sur le champ mais ne voulant pas créer une sorte de psychose aussi chez les fanatiques que chez ses coéquipiers qui devaient poursuivre la partie, les dirigeants présents au stade gardèrent tout leur calme. La panique gagna pourtant les joueurs et les fans de Vita. Bobo fut évacué d´urgence sur Mama Yemo (aujourd’hui Hôpital Général) où son décès fut constaté. C’est ainsi que s’en alla « l’espoir de l’équipe nationale », selon les mots propres au journaliste Max Ngbanzo la Mangale lors d’une émission dont l’essentiel était consacré à cette disparition. L’un des dernier chasseur des buts que le Congo ait connu venait ainsi de tirer sa révérence.
Le football, le sport-roi dans notre pays, avait emporté inopinément certains de ses propres athlètes laissant ainsi leurs familles, leurs amis et leurs supporters dans une grande tristesse. Leur dernière action sur un terrain de football, celle-là même qui les fit rencontrer la mort est gravée dans la mémoire collective de notre sport. Ces joueurs devenus victimes du football avaient alors pour nom : Eugène pour Arc-en-ciel, Alphonse Dondo pour Daring et Bobo Bobutaka pour l´AS Vita Club. Après nous avoir tant égayé par leur classe et leur talent, après nous avoir fait pleurer de bonheur et de joie, qu’ils veuillent trouver dans l´au-delà paix éternelle et repos de l´âme et avons la ferme assurance que la terre de nos ancêtres leur sera toujours douce et légère.
Samuel Malonga