Jean Seti Yale, l’homme de l’ombre qui valait plus que Mobutu
Pendant que le maréchal Mobutu Sese Seko incarnait à lui seul la puissance et la théâtralité du Zaïre, un autre homme, plus discret, façonnait les ressorts invisibles du régime. Dans les coulisses du pouvoir, Jean Seti Yale fut, des années durant, l’un des plus puissants et des plus riches personnages de la deuxième République. On l’appelait Zéro One, Ya Jean, Spécial ou encore Roméo Golf : des surnoms nés dans les services qu’il dirigeait d’une main de fer, au cœur de la machine sécuritaire zaïroise.
L’intellectuel devenu maître des services secrets
Né le 21 juillet 1943 à Yakoma, dans le Nord-Ubangi, Seti Yale appartient à cette génération formée dans la ferveur de l’indépendance. Diplômé en sciences sociales de l’Université Lovanium, il rejoint au début des années 1970 la Sûreté nationale, bientôt rebaptisée Centre national de documentation (CND), vivier d’intellectuels recrutés pour servir la sécurité du régime.
Brillant, méthodique, d’un calme tranchant, il gravit les échelons : chef du contre-espionnage, puis responsable du Département de la Documentation intérieure (DDI). En 1976, après la fusion du contre-espionnage et du renseignement extérieur, il prend la tête de la nouvelle structure. Quatre ans plus tard, Mobutu crée le Conseil national de sécurité (CNS), chargé de coordonner tous les services civils et militaires. Seti Yale en devient le secrétaire général, puis le conseiller spécial du Chef de l’État en matière de sécurité.
Dès lors, plus rien ne se décide sans lui. Seti Yale sait tout, voit tout, entend tout. Il est la mémoire vive du régime, son filtre et son gardien. Dans un État fondé sur la surveillance et la loyauté, son poste équivaut à une autorité absolue. « Hormis Kengo wa Dondo et Seti Yale aucun autre Congolais n’a joui autant de pouvoir et de confiance, n’a exercé autant d’influence politique auprès du Maréchal comparables à ceux de Bisengimana », confiera plus tard José-Patrick Nimy Mayidika Ngimbi, ancien directeur du cabinet du Président Mobutu dans son livre intitulé «Je ne renie rien, Je raconte…».
Le conseiller de l’ombre du Maréchal
Au Palais de la N’sele, il est Ya Jean, confident silencieux et stratège redoutable. Mobutu l’écoute, souvent plus attentivement que ses ministres. Seti Yale n’est pas un homme d’apparat ; c’est le régisseur invisible du théâtre politique. Il orchestre les services de renseignement, pèse sur les nominations, et parfois même sur la diplomatie ou les affaires. Dans les cercles fermés du pouvoir, son nom inspire respect et crainte. Il appartient à cette caste d’hommes que l’on ne contredit pas, dont le pouvoir ne se mesure pas aux discours mais aux dossiers qu’ils détiennent.
/image%2F0931504%2F20251025%2Fob_197bfd_schermafbeelding-2025-10-25-011859-k.png)
De la sécurité à l’empire financier
Mais derrière l’apparente technocratie, Seti Yale construit un empire économique d’une ampleur inédite. Sa société, SICOTRA (Société Congolaise de Transport et de Transit), devient l’une des plus puissantes entreprises privées du Zaïre. Présente dans les transports fluviaux, la logistique portuaire, la vente de produits surgelés, le commerce de café ou encore les importations diverses, elle contrôle une part essentielle du trafic marchand. Le “Port Sicotra”, à Kinshasa, symbolise cette emprise économique. Officiellement indépendante, la société sert en réalité de bras financier officieux de certains réseaux du régime.
Selon La Lettre de l’océan Indien du 31 mai 1997, sa fortune personnelle aurait atteint 1,8 milliard de dollars à la fin des années 1990, certains évoquant plus de 4 milliards dans les années 1980, soit l’équivalent de plus de 10 à 15 milliards de dollars actuels. Ses avoirs s’étendaient de Bruxelles à Paris, de Rabat à Abidjan, jusqu’à Faro au Portugal, où il possédait villas et comptes offshore. Il était, selon plusieurs observateurs, plus riche que Mobutu lui-même. Car si le Maréchal était la vitrine du régime, Seti Yale en était la banque silencieuse.
L’exil et la chute silencieuse
À partir de 1986, il devient conseiller privé du Chef de l’État. Mais déjà, le vent tourne. La famille biologique de Mobutu cherche un bouc émissaire. On l’écarte du palais. L’homme de l’ombre s’efface peu à peu, préférant les affaires aux intrigues. Lorsque le régime s’effondre en 1997, il disparaît sans un mot. Pas de procès, pas de fuite spectaculaire, pas d’explication. Entre l’Europe et le Maroc, il vit ses dernières années dans la discrétion, affaibli par la maladie. Sa mort, survenue dans l’indifférence, ne fit presque aucun bruit. Aucune rue, aucune école, aucune commémoration ne porte son nom. Même parmi les anciens du MPR, rares sont ceux qui se souviennent encore de lui.
L’héritage du silence
Jean Seti Yale incarne à la fois la grandeur et la tragédie du pouvoir invisible. Il fut le stratège suprême d’un régime fondé sur la loyauté et la peur, un homme qui détenait l’argent, les secrets, et les leviers de l’État. Et pourtant, il ne laisse derrière lui qu’une ombre. Son parcours résume la mécanique du mobutisme : une alliance de savoir, de silence, de puissance et d’opacité. Dans l’histoire du Zaïre, il reste un mystère, un homme que tous redoutaient, que peu connaissaient, et que personne n’a pleuré.
Samuel Malonga
/https%3A%2F%2Fi.ytimg.com%2Fvi%2FsXyrOKAH_pk%2Fhqdefault.jpg)