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Publié par Samuel Malonga

Il est des pays qui meurent dans le bruit ; le Congo, lui, pourrait se dissoudre dans le silence. Depuis trois décennies, son histoire oscille entre la décomposition et la résistance, entre l’abandon et la renaissance. Trois avenirs se dessinent : la balkanisation, la refondation ou la résilience. Trois voies qui ne s’excluent pas, mais se mêlent déjà dans les failles d’un même destin.

1. Le spectre de la balkanisation

Le premier scénario est celui du morcellement lent, profond, irréversible. Il ne s’agirait pas d’un éclatement soudain, mais d’une disparition par épuisement. Pas de déclaration d’indépendance, pas de guerre ouverte : simplement la perte progressive de la souveraineté et de la foi collective.

À l’Est, des groupes armés sont devenus des administrations de substitution. Ils perçoivent l’impôt, contrôlent les routes, exploitent les mines, négocient, recrutent, protègent ou massacrent selon les alliances du moment. L’armée nationale, politisée et fragmentée, n’est souvent plus qu’un acteur parmi d’autres. Les puissances voisines : Rwanda, Ouganda, Burundi ou Soudan du Sud, avancent sous le prétexte de la sécurité, mais avec des visées économiques claires : l’or de Bunia, le coltan du Kivu, le bois d’Ituri, le pétrole du lac Albert.

 

Ainsi se dessine un pays qui ne s’effondre pas, mais se dissout. Kinshasa continuerait à gouverner symboliquement un État réduit à ses frontières officielles, pendant que les provinces périphériques deviendraient des zones franches, des protectorats économiques, des républiques de fait. Des “accords de coopération régionale” viendraient donner une apparence de légalité à ce morcellement. On parlerait de "régionalisme économique" ou de "zones de paix frontalières", mais ce serait la fin du Congo historique, celui que les pères fondateurs rêvaient de bâtir dans la dignité et la souveraineté.

Cette balkanisation n’a pas besoin de guerre pour s’accomplir. Il lui suffit de l’indifférence, de la fatigue du peuple, de la lassitude de croire encore à l’unité.

2. Le sursaut : la refondation nationale

Mais le Congo n’est jamais mort là où on le croit perdu. Il a cette obstination du vivant : renaître de ses ruines. Le deuxième scénario est celui du sursaut. Une refondation nationale qui ne viendrait pas d’en haut, mais d’en bas, née d’une exaspération générale face à la misère, à la corruption, à l’humiliation et à la kakistocratie. Ce ne serait pas forcément un parti ni un chef charismatique, mais une génération lucide, décidée à refaire la nation.

Des enseignants, des ouvriers, des musiciens, des chercheurs, des femmes, des jeunes, la diaspora, tous ceux qui tiennent encore le pays debout malgré la faillite de l’État, porteraient cette renaissance. Elle ne passerait pas seulement par la réforme politique, mais par une réappropriation symbolique : parler de soi, penser pour soi, produire pour soi.

Le Congo se redresserait alors non pas par la force des armes, mais par la force de l’esprit. Par un retour à la vérité, à la justice, au travail, à la mémoire. Un leadership éthique pourrait surgir là où on ne l’attend pas : dans les universités, les paroisses, les ateliers, les radios communautaires, les réseaux de femmes, les plateformes culturelles. Le rêve des Pères fondateurs redeviendrait un projet collectif, non plus un souvenir glorieux, mais une promesse d’avenir.

 

3. La résilience populaire : survivre sans disparaître

Il y a le troisième scénario, celui du quotidien, du silence, de la survie.
Car le peuple congolais ne vit pas grâce à l’État, mais malgré lui. Dans les marchés de Kinshasa, de Goma, de Kikwit ou de Kisangani, dans les ruelles de Mbandaka, de Lubumbashi, de Matadi ou de Kananga, on invente chaque jour un Congo parallèle : un Congo du bas, tissé de débrouille et de solidarité.

Là où l’administration s’efface, l’intelligence populaire prend le relais. Les tontines remplacent les banques, les églises les services sociaux, les musiciens les porte-paroles du peuple. Les Congolais ont appris à se gouverner eux-mêmes. Ce pays invisible, sans État mais avec un ordre, sans gouvernement mais avec une âme, maintient debout une nation que tout semblait condamner. Le Congo du bas ne se refonde pas, ne s’effondre pas. Il persiste, il survit par la musique, la langue, l’humour, la foi, la mémoire. C’est un archipel de communautés, mais un archipel habité par une même âme.

Le paradoxe congolais

La République Démocratique du Congo est à la croisée des chemins. Trois avenirs s’offrent à elle : la balkanisation, la refondation ou la résilience. Peut-être les trois à la fois, selon les régions, selon les générations.

Ce pays est trop vaste pour mourir, trop multiple pour se fondre, trop blessé pour ne pas renaître. Il ne disparaîtra pas tant qu’il existera la mémoire des Pères fondateurs, un refrain de rumba, une mère qui prie, un jeune qui rêve, un artisan qui répare. Mais il ne renaîtra pas sans une parole neuve, sans un projet de justice, sans une vision capable de réconcilier la terre et les hommes.

Le choix du Congo se joue maintenant, soit il devient une zone d’extraction sous tutelle internationale, soit il s’invente comme le cœur vivant d’une Afrique souveraine, soit il demeure cet immense mystère, ni mort ni vivant, que le monde contemple sans le comprendre.

Le Congo n’a pas dit son dernier mot. Peut-être même qu’il n’a pas encore prononcé le premier.

Samuel Malonga

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R
Je demande humblement la chanson "Bombanda nakoka te"
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B
Mon frère Malonga, ce sentiment que tu exprime ici ressemble terriblement à ce que mon pays a eu en 2002 quand le nord a été occupé par la rébellion que nous avons connue. La différence est que le nord ivoirien n'avait aucune importance économique par rapport au reste. Aussi, même s'il n'a pas réussi, le président d'alors était nationaliste et les pays alentour ne s'étaient pas impliqués au niveau actuel des prédateurs de la RDC. Quand je me réfère aux précédents articles sur l'indépendance du Congo, je me pose la question de savoir si la possible balkanisation du pays n'était pas dans la vision des pères de cette indépendance quand certains luttaient pour leurs régions. La solution ou disons plutôt une solution ne serait-il pas la réconciliation des hypothèses 1 et 2 ? Si le peuple dans son ensemble, en complicité avec sa diaspora pouvait sous la houlette de meneurs pouvait d'abord faire pression sur les gouvernants actuels et se faire entendre n'arriverait-il pas à réveiller un sentiment de patriotisme général ? Pourquoi le gouvernement actuel à la peine à se faire entendre sur l'échiquier international ? Ça fait la peine. Peut-être qu'un jour le peuple prendra ses responsabilités et se fera entendre. Quel que soit la durée de la nuit, le jour finit toujours par apparaître. Que le Tout Puissant entende le cri de détresse de ce digne peuple. Telle est ma prière à notre père céleste.
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S
Mon frère Blondé,<br /> Tes paroles résonnent avec une justesse et une profondeur qui me touchent. La comparaison que tu fais avec ton pays en 2002 est éclairante, car elle montre combien les blessures africaines, bien que différentes dans leurs contextes, se rejoignent souvent dans leur essence : trahisons, ingérences, divisions, mais aussi espoirs têtus et forces morales qui refusent de s’éteindre.<br /> <br /> Tu poses une question essentielle : la balkanisation du Congo n’était-elle pas, dès l’origine, inscrite dans les calculs de ceux qui ont cherché à manipuler les rêves d’indépendance ? Sans doute que certains, sous couvert de régionalisme ou de défense de leurs intérêts, ont nourri ce morcellement, volontairement ou non. C’est l’un des drames de notre histoire : une indépendance obtenue sans unité véritable, et sans préparation à la cohésion nationale.<br /> <br /> Quant à la réconciliation des hypothèses que tu évoques, oui, je te rejoins pleinement. Le sursaut ne viendra ni d’un clan, ni d’un parti, ni d’un pouvoir isolé, mais d’une communion entre le peuple du pays et celui de la diaspora, conscients d’un destin commun. La pression populaire, lorsqu’elle s’accompagne de conscience et d’organisation, devient une force irrésistible.<br /> <br /> Si le gouvernement peine à se faire entendre sur la scène internationale, c’est peut-être parce qu’il n’incarne plus une voix collective, mais un pouvoir fragmenté, déconnecté des douleurs et des espoirs du peuple. Le monde écoute ceux qui parlent avec une conviction portée par leur peuple, pas ceux qui ne défendent que leurs positions.<br /> <br /> Ta prière, mon frère, est celle de tout un peuple en quête de renaissance. Et tu as raison : la nuit est longue, mais le jour finit toujours par se lever. L’histoire du Congo, comme celle de l’Afrique, est faite de ces aubes inattendues.