LES TROIS FUTURS POSSIBLES DE LA R.D.C
Il est des pays qui meurent dans le bruit ; le Congo, lui, pourrait se dissoudre dans le silence. Depuis trois décennies, son histoire oscille entre la décomposition et la résistance, entre l’abandon et la renaissance. Trois avenirs se dessinent : la balkanisation, la refondation ou la résilience. Trois voies qui ne s’excluent pas, mais se mêlent déjà dans les failles d’un même destin.
1. Le spectre de la balkanisation
Le premier scénario est celui du morcellement lent, profond, irréversible. Il ne s’agirait pas d’un éclatement soudain, mais d’une disparition par épuisement. Pas de déclaration d’indépendance, pas de guerre ouverte : simplement la perte progressive de la souveraineté et de la foi collective.
À l’Est, des groupes armés sont devenus des administrations de substitution. Ils perçoivent l’impôt, contrôlent les routes, exploitent les mines, négocient, recrutent, protègent ou massacrent selon les alliances du moment. L’armée nationale, politisée et fragmentée, n’est souvent plus qu’un acteur parmi d’autres. Les puissances voisines : Rwanda, Ouganda, Burundi ou Soudan du Sud, avancent sous le prétexte de la sécurité, mais avec des visées économiques claires : l’or de Bunia, le coltan du Kivu, le bois d’Ituri, le pétrole du lac Albert.
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Ainsi se dessine un pays qui ne s’effondre pas, mais se dissout. Kinshasa continuerait à gouverner symboliquement un État réduit à ses frontières officielles, pendant que les provinces périphériques deviendraient des zones franches, des protectorats économiques, des républiques de fait. Des “accords de coopération régionale” viendraient donner une apparence de légalité à ce morcellement. On parlerait de "régionalisme économique" ou de "zones de paix frontalières", mais ce serait la fin du Congo historique, celui que les pères fondateurs rêvaient de bâtir dans la dignité et la souveraineté.
Cette balkanisation n’a pas besoin de guerre pour s’accomplir. Il lui suffit de l’indifférence, de la fatigue du peuple, de la lassitude de croire encore à l’unité.
2. Le sursaut : la refondation nationale
Mais le Congo n’est jamais mort là où on le croit perdu. Il a cette obstination du vivant : renaître de ses ruines. Le deuxième scénario est celui du sursaut. Une refondation nationale qui ne viendrait pas d’en haut, mais d’en bas, née d’une exaspération générale face à la misère, à la corruption, à l’humiliation et à la kakistocratie. Ce ne serait pas forcément un parti ni un chef charismatique, mais une génération lucide, décidée à refaire la nation.
Des enseignants, des ouvriers, des musiciens, des chercheurs, des femmes, des jeunes, la diaspora, tous ceux qui tiennent encore le pays debout malgré la faillite de l’État, porteraient cette renaissance. Elle ne passerait pas seulement par la réforme politique, mais par une réappropriation symbolique : parler de soi, penser pour soi, produire pour soi.
Le Congo se redresserait alors non pas par la force des armes, mais par la force de l’esprit. Par un retour à la vérité, à la justice, au travail, à la mémoire. Un leadership éthique pourrait surgir là où on ne l’attend pas : dans les universités, les paroisses, les ateliers, les radios communautaires, les réseaux de femmes, les plateformes culturelles. Le rêve des Pères fondateurs redeviendrait un projet collectif, non plus un souvenir glorieux, mais une promesse d’avenir.
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3. La résilience populaire : survivre sans disparaître
Il y a le troisième scénario, celui du quotidien, du silence, de la survie.
Car le peuple congolais ne vit pas grâce à l’État, mais malgré lui. Dans les marchés de Kinshasa, de Goma, de Kikwit ou de Kisangani, dans les ruelles de Mbandaka, de Lubumbashi, de Matadi ou de Kananga, on invente chaque jour un Congo parallèle : un Congo du bas, tissé de débrouille et de solidarité.
Là où l’administration s’efface, l’intelligence populaire prend le relais. Les tontines remplacent les banques, les églises les services sociaux, les musiciens les porte-paroles du peuple. Les Congolais ont appris à se gouverner eux-mêmes. Ce pays invisible, sans État mais avec un ordre, sans gouvernement mais avec une âme, maintient debout une nation que tout semblait condamner. Le Congo du bas ne se refonde pas, ne s’effondre pas. Il persiste, il survit par la musique, la langue, l’humour, la foi, la mémoire. C’est un archipel de communautés, mais un archipel habité par une même âme.
Le paradoxe congolais
La République Démocratique du Congo est à la croisée des chemins. Trois avenirs s’offrent à elle : la balkanisation, la refondation ou la résilience. Peut-être les trois à la fois, selon les régions, selon les générations.
Ce pays est trop vaste pour mourir, trop multiple pour se fondre, trop blessé pour ne pas renaître. Il ne disparaîtra pas tant qu’il existera la mémoire des Pères fondateurs, un refrain de rumba, une mère qui prie, un jeune qui rêve, un artisan qui répare. Mais il ne renaîtra pas sans une parole neuve, sans un projet de justice, sans une vision capable de réconcilier la terre et les hommes.
Le choix du Congo se joue maintenant, soit il devient une zone d’extraction sous tutelle internationale, soit il s’invente comme le cœur vivant d’une Afrique souveraine, soit il demeure cet immense mystère, ni mort ni vivant, que le monde contemple sans le comprendre.
Le Congo n’a pas dit son dernier mot. Peut-être même qu’il n’a pas encore prononcé le premier.
Samuel Malonga