Villages d’hier, villes d’aujourd’hui
Villages d’hier, villes d’aujourd’hui
Les grandes villes africaines avaient été autrefois de petits villages. Œuvres des colonisateurs, elles avaient été fabriquées de toutes pièces pour répondre à leurs besoins et à leurs intérêts socio-politico-économiques. Si la quasi-totalité des grandes villes africaines sont l’héritage de la colonisation, l’après indépendance a transformé certains villages en villes par la seule volonté des tenants du pouvoir politique.
Villes postcoloniales
Après les indépendances africaines, plusieurs responsables politiques en l’occurrence les chefs d’État, s’acharnaient à consolider leur stature dans leurs pays. Bien que la majorité d’entre eux soient nés dans de petites bourgades perdues dans l’arrière-pays, ils étaient peu nombreux à avoir pensé à la modernisation de leurs villages d’origine. Au pouvoir, cette idée a-t-elle traversé un seul instant l’esprit de Kasa-Vubu ou de Tshombe alors du Katanga indépendant ? Pour mbuta Kasa, une anecdote dont l’authenticité est discutable affirme qu’un jour un de ses amis est venu lui rendre visite à la présidence au Mont Stanley. Profitant de cette opportunité, le visiteur, dans un lingala teinté d’un fort accent yombé, fit part au chef d’État de sa préoccupation première en disant : " Ah ! dis, tubongisa Boma ko ! " (Embellissons la ville de Boma mon cher). Et le président de lui répondre en patois: " Wonga ta mbona " (J’ai bien peur). Mais combien de politiques n’ont-ils pas résisté à cette tentation ? Si certains se sont seulement bornés à construire des grosses villas comme Bokassa avec son palais de Bérengo près de son village natal, ou le Togolais Eyadema dans son village de Pia ; d’autres par contre, poussés par un orgueil sournois à relent tribaliste n’ont pas hésité à transformer la terre de leurs ancêtres en véritables pôles économiques. Profitant de leur position au pouvoir, les cases se sont muées en villas cossues et de larges bitumes ont remplacés les sentiers. Les villes postcoloniales n’ont été créée que grâce à la farouche volonté et à la mégalomanie de certains chefs d’État africains. Elles jouissent des privilèges que le reste du pays n’a pas. Folie des grandeurs, rêve fou ou choix fondé sur des logiques géo-ethniques ? La modernisation à outrance de ces hameaux perdus dans la jungle a fait voir les limites de la république devant la résurgence de la notion discriminatoire de l’ethnicité et de la territorialité clanique. Ou comme le dit l’adage : charité bien ordonnée commence par soi-même. Mais quelles sont ces villes d’Afrique noire qui ont vu le jour après les indépendances? Voici quelques exemples.
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Yamoussoukro (Côte d'Ivoire)
Parvenu au pouvoir, le rêve fou de Jean-Bedel Bokassa était de devenir un jour empereur de Centrafrique. Le sage Félix Houphouët-Boigny lui, avait vu loin en érigeant son village natal en nouvelle capitale de la Côte d’Ivoire indépendante du fait de sa position centrale au sein du territoire ivoirien. Les travaux commencent timidement vers 1964. Dix-neuf ans plus tard, le 21 mars 1983, Yamoussoukro remplace Abidjan. Le Vieux y réussit aussi un projet pharaonique en faisant construire sur les terres de ses ancêtres baoulés le plus grand édifice religieux jamais construit sur le sol africain : la basilique Notre Dame de la Paix. Facture totale : 40 milliards de franc CFA pris, paraît-il, dans la cassette personnelle du chef de l’État. Selon Jeune Afrique, survenue dans un contexte de crise économique aiguë et de tension sociale, la basilique devint la bête noire des Ivoiriens, qui lui imputèrent tous leurs malheurs : chômage, baisse du niveau de vie, augmentation de la criminalité. La mégalomanie du chef de l'État, au regard du coût exorbitant et du gigantisme de l'édifice avait dépassé les limites du supportable. Le village de N'Gokro a été rebaptisé Yamoussoukro (les Ivoiriens prononcent " yam-so-kro ") en hommage à Yamoussou, grand-tante de Félix Houphouët-Boigny et reine baoulé. Le suffixe "kro" veut dire village en langue baoulé. En 1901, on ne comptait que 475 Yamoussoukrois. Avec son essor, la population de la nouvelle capitale et de son agglomération était estimée à 490.000 âmes en 2011.
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Gbadolite (RDC)
Devenu l’homme fort de la RDC, Mobutu qui s’intéressait beaucoup aux faits et gestes de Houphouët-Boigny a vite fait de copier celui qui était à la fois son concurrent et son modèle. Lorsqu’il s’empare du pouvoir, Gbado, situé en pleine forêt tropicale, est un village qui compte quelques cases. Ce hameau et ses environs sont une terre hostile où jadis sévissaient la malaria et la maladie du sommeil. L’agriculture y est quasi inexistante à cause de très nombreuses termitières qu’on y trouve. C’est ce paysage de désolation que l’Homme du 24 novembre qui veut faire quelque chose pour son peuple, entendez les Ngbandi, s’acharnera à coup des millions de dollars à transformer en une contrée développée où rien ne manque. Déjà en 1969, les premières habitations modernes sont construites pour les membres du clan présidentiel. Les projets de construction de la future ville sont l’œuvre des sociétés spécialisées comme ITECO, COTONCO (Compagnie du coton au Congo) par sa filiale SACOUMO (Société agricole et commerciale Ubangi-Mongala) basée à Gemena. En 1975, le village d’hier s’est totalement transformé en une ville luxueuse qui sera vite appelée " Versailles de la jungle ". Mobutu n’a pas lésiné sur les moyens pour doter Gbado de toutes les infrastructures modernes : aéroport avec la plus longue piste d’Afrique centrale, palais, barrage, usine, banque etc. La ville est entrée dans l’histoire comme étant celle où les frères ennemis angolais Savimbi et Dos Santos se rencontrèrent pour la première fois le 22 juin 1989 en présence de 18 chefs d’État africains. C’était lors du Sommet de Gbadolite. En 2004, sa population était évaluée à 42.647 habitants. Le développement accéléré connu pendant l’ère Mobutu n’est plus qu’un lointain souvenir. Aujourd’hui l’aéroport international de Moanda peine à fonctionner. Sa tour de contrôle n’est plus opérationnelle depuis plusieurs années. Les paysans cultivent la terre à côté de la piste qui autrefois fut aménagée pour le Concorde. D’autres y sèchent leurs cosettes de manioc. La plupart des infrastructures aéroportuaires ont été détruites pendant les rébellions de l’AFDL et du MLC. Le journal La Rue 89 résume l’état actuel de la ville en des termes peu flatteurs. " Les immeubles qui étaient en cours de construction sont toujours flanqués de leurs échafaudages et de leurs grues. Ils servent désormais de salles de classe improvisées. A Gbadolite, tout s’est brusquement et tristement arrêté en mai 1997. Après le départ du président zaïrois, rien ne subsiste de ses grandes réalisations. Rongés par le climat, dévasté par les pillages, envahis par la brousse, les infrastructures et les palais pharaoniques du Guide suprême ne présentent plus qu’un squelette dépouillé de tout son faste. "
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Abuja (Nigéria)
En février 1976, après plusieurs années d’atermoiements et sur base des recommandations d’un groupe d’experts, la junte militaire au pouvoir décide de donner une nouvelle capitale fédérale au Nigeria. Elle devrait être créée dans une zone neutre au cœur du pays afin d’apaiser les tensions ethniques et religieux. Plusieurs cités sont suggérées par les experts nigérians. Le choix de l’emplacement de la future capitale échoit au général-président Murtala Mohamed. En traçant des lignes "X" sur la carte du Nigeria, il tombe sur une zone de savane du vaste plateau central. Elle est peu peuplée et est propice au développement. C’est le pays des tribus minoritaires comme les Gwari, les Koro et autres Bassa. La zone choisie pour la nouvelle capitale n’a vraiment pas de nom. On l’appellera Abuja, du nom d’un village situé pourtant à plusieurs kilomètres de la ronde. Celui-ci perd sa dénomination et il est aussitôt assimilé à la ville de Suleija dont il est proche et dont il dépend désormais. La nouvelle Abuja est une capitale véritablement nationale car distincte de l’aire géographique des trois grands groupes ethniques du pays. Tout un symbole ! Lagos et son port plantés en plein pays yoruba avaient au lendemain de la guerre du Biafra cristallisé les problèmes d’aménagement du territoire et exacerbé l’afflux de la rente pétrolière. La nouvelle ville-capitale est créée sur une superficie d’environ 8.000 km² dans le Territoire de la Capitale Fédérale. Les premiers travaux de construction commencent en 1981. Le parlement fédéral y est transféré en 1987 et la ville devient officiellement capitale du Nigeria le 21 décembre 1991. Cité à l'architecture et aux infrastructures modernes, Abuja a été créé pour ne pas favoriser l’une des trois principales ethnies du Nigeria. Exempté de toute mesquinerie tribalo-ethnique, le rêve du gouvernement militaire du défunt général Murtala s’est mué en réalité. La ville compte aujourd’hui un peu plus de 700.000 habitants.
- Kilamba Kiaxi (Angola)
Une nouvelle ville vient d’être construite à une trentaine de kilomètres de Luanda. Créée de toutes pièces par les Chinois, elle est sortie de terre en l’espace de trois ans seulement. Elle s’appelle "Nova Cidade do Kilamba" (Nouvelle Cité de Kalamba). Ce méga projet d’urbanisation dont le coût est estimé à 3,5 milliards de dollars, est une promesse du président Edouardo dos Santos faite en 2008 de construire un million de maisons. Totalement financé par la Chine et réalisé par la société d’État chinoise Citic, le gouvernement angolais avait remboursé la coquette somme en pétrole. Plus de 700 immeubles, environ 20.000 appartements, 200 magasins, 25 crèches, une vingtaine d’écoles (allant du primaire au secondaire), environ 50 km de routes sont construits sur une superficie de 5.200 hectares pour les besoins d’une classe moyenne quasi inexistante en Angola. Encore inhabitée l’année de son inauguration en 2011, Kilamba a connu des critiques acerbes des médias occidentaux qui le qualifiaient de ville fantôme, de cité déserte ou de ville mort-née. Le prix de vente des appartements était trop élevé dans un pays où les deux tiers de la population vivent avec 2 dollars par jour. Folie des grandeurs, ville-vitrine pour le prestige ou logement pour tous ? Aujourd’hui avec la baisse des prix, le président de la cité prétend que tous les appartements avaient été vendus et que la ville compte 40.000 habitants. Le gouvernement qui a choisi de faire du logement une priorité politique voudrait construire sept autres nouvelles villes. Une réponse paraît-il adaptée à la crise immobilière qui sévit en Angola. Si la première pierre a été posée le 31 octobre 2008, l’inauguration de Kilamba par le président angolais a eu lieu le 11 juin 2011.
- Oyo (Répubique du Congo Brazzaville)
Peuplée en 2010 de 5.000 habitants seulement, la ville d’Oyo au Congo Brazzaville, a fêté dans le faste son centenaire en juillet 2013. Traversé par la rivière Alima, et situé en pays mbochi, cet ancien village de pêcheurs qui n’avait qu’un petit bac s’est vite transformé en une ville moderne. En janvier 1963, la localité d’Oyo est érigée en poste de contrôle administratif. Elle est créée ville en 1972. Sassou est né à Edou, un village voisin. Lui est sa défunte fille Édith-Lucie Bongo sont tombés amoureux de cette contrée et ont décidé de la mettre en valeur grâce à la manne pétrolière. La construction commence timidement. Lorsque l’actuel chef d’État perd les élections libres organisées en 1992 au détriment de Lissouba, Oyo a déjà pris une longueur d’avance sur sa modernisation. Après un intermède de cinq, Sassou reprend de nouveau le pouvoir et accélère le développement de sa ville. Désenclavée avec la construction de la route nationale n⁰2, de grandes bâtisses y poussent comme des champions : hôtel cinq étoiles, aéroport international à Ollombo, héliport à Ngouéné, gymnase qui abrita même la coupe d’Afrique de handball, hôpital ultramoderne, route goudronnée et balisée, pont neuf affublé de jolis lampadaires, belles avenues, hôtel de ville, sous-préfecture, plusieurs édifices publics dont un grand stade doté d’une salle multisports. La cité qui ne manque ni d’électricité ni d’eau compte aussi plusieurs villas comme celle d’Édith et Omar Bongo sans oublier la vaste résidence du chef de l’État, des logements sociaux, des usines, la connexion au réseau national à fibre optique etc. En dehors de ce fastueux décor, on y trouve aussi des cases traditionnelles en argile. Oyo, le Gbadolite du Congo Brazza, est devenu une petite Suisse qui bénéficie aujourd’hui grâce à la municipalisation de toutes les faveurs de son bâtisseur au détriment des autres villes plus importantes. C’est la cité du pouvoir. Après un premier mandat de 13 ans (1979-1992), puis un second de 17 ans (de 1997 à aujourd’hui), Denis Sassou-Nguesso a fait d’Oyo une ville moderne. Il s’y rend souvent pour se ressourcer et rencontrer les siens. Notons qu’avant la modernisation de l’aéroport de Maya-Maya à Brazzaville, celui d’Ollombo était jusque-là, le plus vaste et le plus beau du pays. Il a été conçu pour accueillir de gros porteurs de type Boeing 747 et " pour permettre aux voyageurs de se rendre au Congo sans passer par Brazzaville ou Pointe Noire ". Pour l’heure, seul l’avion présidentiel y atterrit et y décolle, au mieux, une fois par mois. Le Président de la République qui souhaite faire de sa ville un pôle industriel, possède deux ranches dans les environs. Oyo survira-t-il après le départ de son bâtisseur ou connaîtra-t-il un jour le sort de Gbadolite. L’avenir nous le dira.
Plusieurs villes ou villages connaissent les faveurs du pouvoir pour avoir été les lieux de naissance de ces hommes providentiels qui dirigent nos pays. Sur cette liste il faudrait ajouter Pya au Togo, Ziniaré au Burkina Faso, Franceville au Gabon, Syrte en Libye. D’autres ont construit de somptueuses résidences comme Gbagbo à Mama ou Bokassa à Bérengo.
Conclusion
Combien de villes sortiront-elles de terre demain ou après-demain de la seule volonté des chefs d’État africains ? Seront-elles construites sur base ethnique ou verront-elles le jour pour répondre à une réelle demande en matière de logement. Faut-il construire de nouvelles villes-vitrines ou urbaniser celles déjà existantes tout en modernisant les villages pour stopper l’exode rural. Bien des questions auxquelles doivent répondre les hommes politiques pour à la fois faire face à la croissance des populations africaines et aux besoins croissants de celles-ci à vivre dans des logements décents. L’aménagement du territoire en Afrique doit donc se faire de façon conséquente et responsable.
Source : Wikipédia et internet
Samuel Malonga