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Publié par Messager

NOTE DE LECTURE

David VAN REYBROUCK : « CONGO. Une histoire » (traduit du néerlandais (Belgique) par Isabelle Rosselin, Actes Sud, 2012, 711 pages).

Par Norbert MBU-MPUTU

Newport (Pays de galles, Royaume-Uni), 24 mai 2013. L’ouvrage du Belge David Van Reybrouck, dont la version française est sortie à la fin de l’année passée, est aujourd’hui un bestseller. Il le mérite bien car l’auteur y a abattu un vrai un travail de titan. Si pour l’histoire du Congo-Zaïre, l’ouvrage du professeur Isidore Ndaywel, « L’Histoire générale du Congo : De l’héritage ancien à la République Démocratique »est une vraie bible, « Congo. Une histoire » de Van Reybrouck en constitue les Actes des apôtres, c’est-à-dire la remise en surface de l’histoire du Congo faite chaire ou mieux, l’histoire du Congo racontée par ses auteurs, acteurs et témoins ; l’histoire du Congo dans ce qu’il en reste dans les cœurs, les souvenirs, les yeux, les oreilles et la vie de tous les jours.

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Résumons.Au sujet de l’histoire du Congo (et de l’Afrique), il faudra peut-être rappeler trois citations. La sagesse africaine qui dit quetant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, le récit de la chasse sera toujours à l’avantage du chasseur. Puis, cet extrait de la dernière lettre de Lumumba à Pauline, « L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera aux Nations Unies, Washington, Paris, ou Bruxelles, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au Nord et au Sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité». Et enfin cet autre tiré du film « Indépendance cha-cha-cha » de  Jean-François Bastin et Isabelle Christiaens :« L’histoire au Congo est un luxe. Elle ne s’écrit pas, elle se raconte. La mémoire est partout et nulle part. Chacun en détient une parcelle. [...] Le présent est trop dur et le passé est trop douloureux. Les blessures sont encore trop vives.»

Avec son livre, Van Reybrouck se met tout simplement au carrefour de toutes ces citations, c’est-à-dire le besoin de raconter ou de faire raconter l’autre histoire du Congo autrement et peut-être profondément ; en puisant dans son héritage oral, c’est-à-dire dans son moi profond. Après tous les livres académiques et classiques publiés sur le Congo, ce livre-ci fait narrer le Congo profond, le vrai Congo, en faisant parler ceux dont on ne parle pas souvent ; il consulte ceux qu’on ne consulte pas tous les jours : le commun des mortels. Sans appréhension et sans prétention aucune, il est allé à l’école des griots, il est allé« écouter les choses que les êtres !», puiser l’héritage qui reste malgré l’usure du temps, malgré les bégaiements de cette histoire-là. C’est l’histoire du Congo à partir de sa base. Pour cela, l’auteur a parcouru le Congo des villes et des villages, le Congo des cités, des bourgs et des bourgades, le Congo des terroirs, des trottoirs et des tiroirs, pour rencontrer les Congolais et écouter leurs anecdotes et surtout leurs histoires inédites à vous faire casser les côtes ! Jamais ouvrage ne l’a fait avant celui-ci et de la façon qu’il le fait. Qui avait su qu’au matin du 4 janvier 1959, ce jour mémorable, Joseph Mobutu transporta Patrice Lumumba derrière son scooter jusqu’à la place d’YMCA, Mobutu comme reporteur du journal Actualités Africaines, Patrice Lumumba, comme politicien et fervent lecteur des articles de Mobutu ! L’image ferrait rêver plus d’un caricaturiste ! Car, Mobutu et Lumumba étaient amis et admirateurs. L’opposé de l’histoire avec Mobutu envoyant Lumumba à la tombe est certes un drame !

Sources et embouchures. Dans ce travail de recomposition de ce puzzle, l’auteur est allé rechercher l’histoire du Congo dans ses sources, pour l’acheminer vers ses embouchures. Dans ses sources ?... Puisque comme le fleuve qui a plusieurs sources, l’auteur ne rate pas de connecter l’histoire du Congo à l’une de ses sources précieuses : la Belgique. A l’inverse de sa compatriote Lieve Joris qui écrit « Mon oncle du Congo »ou comme elle, Van Reybrouck interroge la Belgique sur le Congo et vient au Congo interroger ce dernier sur ce qui reste encore de sa Belgique dans sa mémoire. Le livre « Congo. Une histoire » devient en fait un vrai livre vice-versa. Si au Congo, la nostalgie est grande parlant des« noko » (oncles) ou des « Flamands », en Belgique aussi « tout ça ne nous rendra pas le Congo », s’entend-on dire. Mais, se mettant sur les traces et les rails de cette histoire commune Belgo-Congolaise, tout comme cette histoire de l’indépendance du Congo qui a eu un vrai coup de pouce avec la parution, en Flamand d’abord, avant la version française, en 1955 du « Plan de trente ans » du professeur Van Bilsen, Van Reybrouck a d’abord publié son ouvrage en « flamand », avant la version française et l’anglaise annoncée. Est-ce cette méthodologie de raconter le Congo par la Belgique qui paye aujourd’hui et fait le succès de cet ouvrage, cette histoire du Congo si variée, si inachevée, si éparpillée, mais si époustouflante !

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Au commencement.Mais, l’ouvrage de David Van Reybrouck creuse plus. Il revient là où commence l’histoire du Congo : l’arrivée de Stanley. Qui s’y souvient encore ?... Ce sont plutôt des récits des témoins et d’informateurs de second degré, ceux-là qui peuvent se souvenir ce qu’ils ont appris de leurs parents. Dieu merci que l’un d’eux à fait publier ces récits-là : Disasi Makulo, originaire de la Province Orientale, amené par Henry Morton Stanley à Léopoldville. Disasi Makulo, est « né à l’époque où le Blanc n’était pas arrivé » et est mort en 1941. L’histoire racontée et transcrite à ses fils est une mine d’or, notamment sa description de Stanley, description qui contraste avec une certaine opinion occidentale le décrivant comme un brutal, un sanguinaire, un impérialiste de la pure espèce. Alors que, comme le dit bien Henry Bondjoko, l’un des curateurs du Musée de Kinshasa, tout étonné de cette mauvaise presse : « pour nous, Stanley, c’est grâce à lui que nous avons le Congo. C’est mieux de ne pas l’oublier ». Disasi raconte : Stanley commença par installer un poste près de Stanley Falls, mais le 10 décembre 1883 il retourna au campement d’esclaves aux mains de Tippo Tip, le célèbre marchant d’esclaves arabisé. Le petit Disasi fut alors témoin d’une scène curieuse. « Tippo Tip alla à la rencontre de Stanley. Après un long entretien dans un langage incompréhensible, Tippo Tip appela notre gardien. Celui-ci vint nous réunir et nous conduisit là où se trouvaient les deux messieurs ». Disasi n’y comprenait rien. A la fin de la conversation, les hommes de Stanley allèrent chercher deux rouleaux d’étoffe et quelques sacs de sel dans la cale. Son professeur de Coran lui raconta, le cœur gros, que cet homme blanc voulait l’acheter, lui et ses camarades. Stanley emmena avec lui dix-huit enfants. Sur le plan militaire, il n’avait pas les moyens d’entreprendre quoi que ce soit contre les « Batambatamba » [marchants d’esclaves afro-arabes]. Tout ce qui était en son pouvoir était de soustraire quelques enfants à leur sort. Il les racheta. Pour Disasi commença une nouvelle phase de vie. A bord régnait la joie, il se souvint. « On crie, on rit, on se raconte des nouvelles, personne n’a la corde au cou, et on n’est jamais traité bestialement comme cela se faisait dans la compagnie des Arabes. » (p. 67) Stanley fit sûrement partager à ces enfants noirs son propre sort d’être arraché tôt de ses parents, lui Stanley de Denbigh pour St Asaph où il passa son adolescence avant de gagner Liverpool. Aussi, se souvint Disasi lorsque Stanley les confia à Anthony Swinburne à Léopoldville, ce fut des adieux douloureux, car, « depuis le premier jour de notre délivrance jusqu’à ce jour de séparation, il fut pour nous un père plein de bonté » (p. 68) 

Ses informateurs : auteurs, acteurs et témoins. L’auteur n’a pas seulement rencontrer les personnes bien connues comme Mario Cardoso, l’un des commissaires généraux et l’un des premiers Congolais de Belgique, mais aussi d’autres comme Jean Lema alias Jamais Kolonga « le seul et l’unique », ancien journaliste et vrai viveur de Kinshasa à l’époque de Léopoldville. Il est lui-même une histoire ou des histoires. C’est lui à qui l’African Jazz dédicaça toute une chanson. Il est lui-même une bibliothèque pleine d’inédits. Non pas seulement qu’il fut l’un des premiers Noirs Congolais à danser avec une femme Blanche, un anathème à l’époque, mais il fut aussi le premier à annoncer à la Radio nationale, le jeudi 30 juin 1960, juste après le discours du Roi Baudouin : « Mesdames et messieurs, vous venez d’entendre le discours de Sa Majesté le roi des Belges. En ce moment même, le Congo devient indépendant ». Et, le même Jamais Kolonga se retrouva dans la délégation du Premier Ministre Lumumba, dont il était un attaché de presse, lors du périple américain de ce dernier. L’inédit fut qu’il voyagea sans passeport, Lumumba ayant constaté son absence dans l’avion, demanda de rouvrir la porte et fit signe de le faire monter dans l’avion. Il revint certes, comme tout bon viveur, avec des valises pleine des chaussures et d’habits ! Car, lui, c’est d’abord la mode. Dans les archives de Jamais Kolonga aussi, cette photo incroyable au restaurant du Zoo où le Colonel Mobutu fêtait alors son anniversaire au mois d’octobre 1965, il est côte-à-côte avec tous les grands noms de l’époque : Jef Kallé, Rochéreau Tabu, Antoine Wendo et bien sûr Jamais Kolonga à qui Mobutu confia qu’il sera le nouveau président du Congo. Ce qui advint un mois plus tard ! Dans les inédits aussi c’est peut-être l’histoire de Charly Hénault, le« Blanc » batteur dans African Jazz, présent d’ailleurs à Bruxelles lors de la Table ronde, à qui Jef Kallé demanda même de raccommoder son pyjama !

Les années bavardes. Mais, là où ses informateurs deviennent bavard et prêt à vider leurs héritages, c’est lorsque l’auteur aborde les années des indépendances et surtout les années Mobutu. En matière des récits historiques, ces deux périodes sont sans concurrence. On apprend non pas seulement comment, après les émeutes du 4 janvier 1959, le gouverneur de Léopoldville d’alors joua pour que Roi ne commette pas l’imprudence de ne pas mentionner le mot « indépendance » dans son message, il y dépêcha son secrétaire en personne à Bruxelles, mais surtout comment le discours même de Kasa-Vubu avait été rédigé en fait par le même secrétaire du gouverneur. Et, l’auteur a rencontré ce secrétaire en personne avec son petit sac d’histoires congolaises aussi ! Car, en fait, l’histoire du Congo se fait et s’est fait surtout avec la Belgique, par et avec les Belges. Là aussi, un chacun a son petit morceau que l’auteur a su coudre ou recoudre avec un professionnalisme incroyable.

Les personnages. L’histoire est d’abord une histoire des personnages célèbres. Ceux que l’histoire propulse sur le devant de la scène, avant parfois de les avaler aussi. L’histoire du Congo aussi est pleine de ces personnages qui passent d’un camp à l’autre. L’ouvrage de Van Reybrouck les fait parler, ceux d’hier et ceux d’avant-hier : Kasa-Vubu, Lumumba, Mobutu, Mulele, Gizenga, Tshisekedi, Laurent-Désiré Kabila, Tshombe, Kashamura, le roi Baudoin, etc. Mais, là où l’ouvrage en fait plus est qu’il ne parle pas d’eux ou avec les quelques rares vivants, non pas comme nous l’avions appris à travers les mass médias, mais, pour paraphraser Thomas Kanza dans son « Conflict in the Congo. The Rise and Fall of Lumumba » (1972), comme les informateurs les ont connus. Héros d’hier n’étant pas toujours héros d’aujourd’hui, les paramètres ayant changé. (O Tempora ! O Mores !). Mais, l’auteur va plus loin et il serait pour lui un vrai crime de lèse-majesté de ne pas mentionner les« grands-prêtres » qui font l’histoire du Congo a quotidien : les nouveaux phénomènes avec le premier d’entre tous, Ngiama Werrason dit le Roi de la forêt. Avec son Wenge Musica Maison Mère, ils trouvent aussi leurs lignes, et non pas les moindres, dans cette anthologie, surtout lorsqu’ils font l’affaire de la Primus ! La boucle vaut la peine d’être ainsi bouclée.

L’AFDL.Qui pourra aussi raconter le Congo sans les années Mzee Kabila et son AFDL ? « Quand j’ai vu le nombre des ministres katangais, raconte Zizi Kabongo à l’auteur, un journaliste à la RTNC, j’ai su que Kabila était un deuxième Mobutu. Non, c’était même pire, si on extrapolait en tenant compte du gâchis qui avait lieu pendant trente-deux ans. Il y a eu des exécutions sommaires, le système multipartite a été supprimé, l’Etat à parti unique a été rétabli. Ces histoires de Comités du Pouvoir Populaire, pour moi c’était une répétition du mpr». Mais, Zizi, en vrai témoin, a aussi ses histoires inédites. Par manque de nouvelles bandes magnétiques, raconte-t-il, malgré les demandes constantes à la présidence, les journalistes utilisaient les anciennes bandes, question de bien les effacer. Mais, une soirée, malheureusement, une bande avec les éléments filmés de LD Kabila laissa diffuser quelques minutes des propos de Mobutu non effacés de la bande ancienne. Non pas seulement que tous les journalistes du jour furent mis en prison, mais ils furent tous conviés au Palais présidentiel où Mzee Kabila les sermonna et les fit apprendre le marxisme. (pp. 468-469).

Leçons.Œuvre de restitution du passé, certes, mais l’auteur, avec sa formation multidisciplinaire, jette un coup d’œil interrogateur aussi sur le Congo d’aujourd’hui ; au fait répondre à cette préoccupation du professeur Ndaywel : « qu’est-ce le Congo d’aujourd’hui peut apprendre de son histoire ?», selon la phrase célèbre de George Santayana lorsqu’il dit que ceux qui ne peuvent pas se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. Et, dans le contexte congolais, ces propos sont à rapprochés avec le titre de l’intervention du professeur Thomas Kanza à la Conférence Nationale Souveraine : « Si l’histoire nous servait de guide ».

Ainsi, analysant la première constitution congolaise de Luluabourg de 1964 par exemple, l’auteur écrit : « La nouvelle Constitution accordait en outre au chef de l’Etat un pouvoir bien plus grand. Dorénavant, il régnait en maître au-dessus du Premier ministre et de son gouvernement. Le Parlement aussi avait moins son mot à dire. Quand il adoptait une loi qui ne convenait pas au président, ce dernier pouvait exiger qu’elle soit soumise à un nouveau vote, car tout le monde peut se tromper. Et pour éviter une deuxième erreur, une majorité des deux tiers était nécessaire pour rejeter l’alternative présidentielle… En cas d’urgence, le chef de l’Etat pouvait lui-même devenir législateur. Désormais les querelles opposant le président à un Premier ministre récalcitrant appartenaient aussi au passé. « Il peut également, de sa propre initiative, mettre fin aux fonctions du Premier ministre, d’un ou de plusieurs membres du gouvernement central, notamment lorsqu’un conflit grave l’oppose à eux », stipulait l’article 62 (…). Kasavubu s’était préparé un lit de roses : le pays se composait de petites entités, le Katanga était morcelé en trois provincettes inoffensives et il tenait les rênes plus fermement que jamais. C’est ce que l’on appelle diviser pour mieux régner. Il ne pouvait plus rien lui arriver. Il en était du moins convaincu. » (345).

L’histoire en profondeur. Puis, vrai académicien et chercheur, l’auteur est allé même au-delà de la simple transcription des interviews, il fait un vrai travail de comparaison des récits et des sources, de confrontations avec les données et réalités actuelles et, là où le doute persiste, il n’hésite pas à recourir aux autres sources écrites et mêmes audiovisuelles. Aussi, l’ouvrage offre-t-il à tout lecteur, non pas seulement la plus riche bibliographie sur le Congo, mais surtout une justification et une explication sur ses nombreuses sources et un index à la fin de l’ouvrage qui facilitent sa consultation et en fait un vrai dictionnaire de l’histoire du Congo. A l’instar de l’ouvrage de Ndaywel,  le « Congo, une histoire » est un complément indispensable désormais pour quiconque voudrait en savoir plus sur le Congo-Kinshasa. L’auteur est ainsi allé à la source ou dans les sources, mais il serait incomplet sans acheminer aussi cette histoire congolaise vers ses embouchures nouvelles : le Rwanda et la Chine, pour ne prendre que ces deux.

Le Rwanda dans la mauvaise danse. Si l’histoire du Congo commence avec Stanley, s’enchaîne avec les Belges ou la Belgique, bifurque avec l’ONU au Congo par deux fois pour se terminer avec la Chine aujourd’hui, nul ne peut parler aujourd’hui du Congo sans cette guerre longue avec le Rwanda. A ce sujet, l’auteur, pour la première fois offre aux Congolais des informations importantes : les récits des Kadogo, ces jeunes enfants soldats de l’AFDL dont nombreux, comme ce jeune séminariste dans le livre, furent kidnappés et amenés au Rwanda y suivre une formation militaire, en fait un endoctrinement, avant de les saupoudrer sur les différents champs des batailles. Et les artisans de ces rapts, semblables d’ailleurs à ces kidnapping des Batambatamba [marchants d’esclaves afro-arabes], furent des personnalités comme Deo GratiasBugera, comme si l’auteur offrait là une occasion en or pour qu’il soit un jour interroger sur la destinée de nombreux de ces enfants à la jeunesse perdue pour toujours. Avec ces récits aussi, on en sait un peu plus sur le rôle des uns et des autres dans cette nouvelle guerre africaine au nombre des morts incalculables. A ces enfants-soldats, on ne leur a apprit qu’une loi qui donne d’ailleurs le titre du chapitre 12 de l’ouvrage : « la pitié, c’est quoi ? ». Tout est dit !

Cette guerre du Congo, ce sont aussi des réseaux de ravitaillement d’armes. Le récit d’Yves Van Winden, le Maï-Maï blanc qui, avec son DC3, son Cessna ou son Antonov 26 a effectué plus de 400 vols de ravitaillement d’armes envoyées par le président Laurent-Désiré Kabila.« D’après mes calculs, dit-il, j’ai transporté plus vingt mille kalachnikovs, et trois cents à cinq cents bazookas, deux cent mortiers calibre 60, vingt mortiers calibres 90 et dix mortiers calibres 120. Et aussi deux lances missiles SAM-7, de l’artillerie antiaérienne » (481).

L’ouvrage va plus loin et ouvre une fenêtre sur ce pan silencieux de cette guerre aussi : la disparition des camps des réfugiés à l’est du Congo, la guerre de six jours à Kisangani, pour terminer avec ce que d’aucun congolais ne peut soupçonner : le gain du Rwanda de l’exploitation du Coltan congolais. Il écrit : « En l’an 2000, une véritable ruée sur le coltan s’est produite. Nokia et Ericsson avaient l’intention de lancer sur le marché une nouvelle génération de téléphones portables, tandis que Sony était sur le point de commercialiser sa PlayStation 2 (ce que la société a dû retarder du fait d’une contraction de l’offre du coltan). En moins d’un an, le prix du minerai a décuplé, passant de trente à trois cents dollars la livre. En dehors de l’Australie où il existe un filon, l’est du Congo était le seul endroit au monde où cette matière était extraite. De l’autre côté de la Terre, l’Etat en tirait une belle source de revenus mais, au Congo, ce fut une malédiction plus qu’une bénédiction. Un Etat faible au sol richissime ne peut que s’attirer des problèmes. Toutes les mines de coltan étaient contrôlées par le Rwanda. En 1999 et 2000, Kigali a exporté l’équivalent de 240 millions de dollars de coltan-par an. Un commerce qui, pour une bonne part, apportait un bénéfice net. […] Pourtant, le Rwanda et l’Ouganda n’étaient pas les seuls qui profitaient le plus du pillage des matières premières dans l’est du Congo. […] Kagamé et Museveni n’étaient pas au bout d’une chaîne d’approvisionnement. Ceux qui tiraient profit du recel des matières premières en provenance du Congo étaient des groupes miniers multinationaux, des compagnies aériennes obscures, des marchands d’armes notoires mais insaisissables, des hommes d’affaires véreux en Suisse, en Russie, au Kazakhstan, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. » (pp. 489-490).

C’est pour la première fois qu’un chiffre est ainsi avancé, précédant ainsi le tout dernier rapport des Nations Unies sur l’implication que, aveugles et sourds-muets congolais savent depuis belle lurette, du Rwanda dans cette bouillabaisse congolaise. Quant au Congo, il est, comme le note bien l’auteur, un Etat « self-service » ; ou, si nous devons utiliser une expression anglo-saxonne : « an éléphant in the room » (un éléphant dans la salle) ; éléphant qui, selon un proverbe africain qui dit que lorsqu’un éléphant est abattu le jour du marché, c’est à quiconque ayant une machette tranchante de s’arracher son bon morceau de viande ! C’est l’image actuelle du Congo. Mais, aux titres de révélations, c’est cette nuit aussi passée par l’auteur aux frontières du Congo avec l’Ouganda ensemble avec Laurent-Nkunda Batware à l’époque où il était à la tête du CNDP, l’ancêtre du M23. Comme quoi, les guerres congolaises new look se font avec des dirigeants qui combattant sur le sol congolais et qui dorment (et reçoivent) leurs instructions des zones frontalières.

Pour ne pas faire porter les péchés d’Israël sur le dos de l’AFDL qui a amené le Rwanda, l’Uganda, mais aussi le Soudan, le Tchad, le Burundi, le Zimbabwe, la Namibie, l’auteur rend justice en rappelant cet autre personnage central du régime Mobutu : le rwandais Bisengimana. Son fils s’en souvient. Longtemps directeur du cabinet du président de la république Mobutu, il portait lui aussi une toque de léopard, comme tous les dignitaires de l’époque, et était le seul qui pouvait dire certaines choses à Mobutu. Il fut surnommé le « petit léopard ».

La Belgique. La part du lion dans cette histoire du Congo revient certes à la Belgique. Une Belgique toujours hésitante sur son Congo ? Une Belgique qui a transposé sur le Congo ses hauts et bas politiques pendant l’ère colonial ? Une Belgique pourtant d’où repose les espoirs de tous les Congolais espérant toujours à un coup de bâton magique pour changer le Congo. Mais, l’auteur révèle aussi comment « sa » Belgique s’est aussi bien servie du Congo depuis Léopold II, avec l’Union Minière du Haut Katanga, avec la fameuse vente de l’Uranium aux américains : 2,5 milliards de dollars américains sonnants et trébuchants. Ce qui allait lui permettre de financer sa reconstruction. Hélas, note l’auteur, les Congolais étaient tenus à l’écart de cette transaction. Le Congo n’en bénéficia qu’avec les deux bases militaires américaines de Kitona et de Kamina et devint alors le seul pays africain à avoir un petit réacteur atomique placé à l’Université de Lovanium.

La Chine aussi. Si l’Afrique et le Congo semblent vivre sur la psychose de l’invasion chinoise, l’auteur est allé suivre les Congolais dans leurs diasporas, et l’une des plus étonnantes est celle de Chine. Dans la célèbre ville de Guangzhou, ce sont des Congolais, comme Jules Bitulu, qui passent pour être les maîtres des lieux et des cérémonies. Non pas seulement qu’ils manipulent le mandarin avec aisance, mais ils semblent avoir imposé leur lingala sur les marchés populaires où on s’entend facilement crier : « Ozana besoin sim mibale ? » (As-tu besoin d’un appareil avec double sim ?) ou encore « Ay, papa, accessoires mpo na modèle oyo eza te » (Mes excuses, monsieur, je n’ai pas d’accessoires pour ce modèle d’appareil).

Ecriture et genre. Le genre journalistique usé par l’écrivain rend cet ouvrage facile à la lecture et ses 711 pages réparties en 15 chapitres se font dévorées sans peine ; au point où l’on croit plutôt que ce sont les pages qui donnent elles-mêmes l’impression de se faire vite avaler par le lecteur. Puis, c’est un livre sur l’histoire du Congo où un chacun se connait ; où un chacun peut se faire connecter sans peine; où un chacun peut désormais s’exercer à mordre l’appât de raconter aussi son pan d’histoire. L’ouvrage n’a même pas besoin d’être lu d’une façon rectiligne. Les histoires qui se suivent peuvent se lire par bond ; ou d’une façon chronologique, ou en consultant tout simplement la table des matières et l’index qui donnent un aperçu général des sujets et des périodes abordés.

Un regret. Un seul regret, pour nombreux Congolais, destinateurs peut-être au second degré de cet ouvrage, n’étant pas grand usagers des papiers blancs imbibés de l’encre noire de Chine, on aurait souhaité que l’ouvrage aie nombreuses illustrations et cartes pour aider à se fixer les idées et devenir un petit outil pédagogique. Et, comme l’auteur le mentionne lui-même le fait de n’avoir pas filmé ses interlocuteurs et ses informateurs (alors qu’il se préparait à retourner à Kinshasa filmer son informateur d’une centaine d’année, Etienne Nkasi, il fut surpris d’apprendre que ce dernier venait de rendre l’âme !), à l’heure du multimédia, l’écrit se ferrait mieux accompagner du son et de l’image. Un grand documentaire de ses informateurs auraient fait la bonne affaire. Mais, c’est certes trop demander à l’auteur qui nous a offert la femme ou le lit et à qui il ne faudra pas exiger de nous offrir aussi la femme ou le lit à la fois. D’ailleurs, il n’est pas le seul à le regretter. Dans sa thèse de doctorat, après un travail de terrain au Congo, cet autre fils de Brugge, comme Van Reybrouck, Stefan Bekaert (Bekaert, S., System and Repertoire in Sakata Medicine, K.U.L., 1997) le regrettait aussi et proposait que désormais, il faudra que les chercheurs sur le terrain puissent s’armer d’un appareil de photo et surtout d’une caméra.

Mais, pour le reste. L’ouvrage est un parcours sans faute dans l’histoire du Congo. Vous allez au Congo ? Ayez avec vous « Congo. Une histoire ». Une chose est certaine, l’ouvrage marque la fin d’une époque, celle du« Tintin au Congo » et de la « Philosophie Bantoue ». C’est-à-dire un Congo vu par et pour la Belgique qui laisse la place à un Congo à voir aussi avec la Belgique. Un Congo qui, pour reprendre l’un des chapitres de l’ouvrage en exergue, entre aussi dans l’ère de « www.com » (avec la fameuse fibre optique).

Ce livre doit normalement devenir un livre de chevet pour tout Congolais et, pour l’auteur, chapeau bas pour le travail abattu avec professionnalisme et grand cœur pour ce Congo.

 

Norbert MBU-MPUTU

Journaliste et chercheur en Anthropologie et Sociologie

(norbertmbu@yahoo.fr)

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