Mamadou et Bineta
Au lendemain de l’indépendance, il y avait un livre de référence pour la lecture dans tous les trois degrés de l’enseignement primaire au Congo. Ce manuel scolaire s’appelait : Mamadou et Bineta. Ces noms, en usage au Sénégal et en Afrique de l´Ouest, étaient ceux d’un garçon et d’une fille qui sûrement étaient frère et sœur. Son auteur est André Davesne (1898-1978). Il l’a parfois écrit avec son compatriote Joseph Gouin. L’auteur fut enseignant en poste en Afrique française (Bamako, Brazzaville et Dakar) puis plus tard inspecteur de l´enseignement primaire en France. Il rédigea les premiers manuels de lecture pour les élèves africains pour répondre au besoin de l’enseignement primaire dans les colonies françaises d’Afrique noire. Son livre deviendra le pionnier des manuels africains de lecture. Devenu Etat indépendant et en quête d’un manuel pour l´apprentissage du français, langue officielle du Congo souverain, l´Inspection de l´enseignement primaire opta pour la méthode Mamadou et Bineta. Cet incontournable best-seller fut une collection de quatre livres de lecture entre autre : Le nouveau syllabaire de Mamadou et Bineta, Les premières lectures de Mamadou et Bineta, Mamadou et Bineta lisent et écrivent couramment enfin Mamadou et Bineta sont devenus grands. Les textes racontaient surtout la vie au village décrivant parfois notre brousse avec un regard quelque peu colonialiste. Exemple :
Le village de ma famille est situé dans la forêt, au milieu des jardins d'ignames et d'arachides. Par une large piste, on arrive devant une cour bordée de cases d'écorce. Toutes les cases ont leur toit en feuilles à la même hauteur. Derrière les maisons, s'élèvent les têtes vertes des bananiers. L'arbre qui domine le village se peuple de charognards poisseux. Une fumée bleue rôde dans les ruelles, enveloppe les cases d'une mouvante écharpe. Des chiens efflanqués passent furtivement. Les moutons et les cabris se rassemblent près des étables. La volaille se dispute à l'entrée de minuscules poulaillers.
La méthode du syllabaire de Mamadou et Bineta était dite syllabique c’est-à-dire conçue pour les enfants qui ne savaient rien du français qui d’ailleurs n’était pas parlé à la maison. Elle avait pour mission d´appendre la langue de scolarisation, le français, aux jeunes qui ne s´exprimaient qu´en leur langue maternelle, un patois africain. Outre la lecture, on y trouvait pêle-mêle la récitation, les exercices d'observation et d’écriture, la grammaire, le vocabulaire, l’orthographe, la conjugaison, des petits textes pour la dictée et même des chansons. Le tout agrémenté par des illustrations humaines et animales ou même de nature morte. L’enseignant pouvait y trouver ce dont il avait besoin pour dispenser le savoir. Ce livre était en quelque sorte le principal outil de travail pour l´instituteur africain et congolais. Notons que le célèbre manuel de Davesne fut plébiscité au congrès pédagogique colonial de 1931 et apparaissait comme la grande réussite de la pédagogie coloniale française en Afrique noire. Néanmoins, la série fut rééditée en 1952 avec des modifications substantielles afin de respecter certaines sensibilités africaines.
La série de Mamadou et Bineta fut repartie dans tous les trois degrés du cycle primaire et chaque classe avait son livre approprié, adapté aux difficultés et à l’âge des élèves .Dans le syllabaire utilisé en première année par exemple, les minuscules cursives côtoyaient les caractères imprimés afin que l’écolier aperçoive la différence existant entre les lettres qu’il écrivait dans son ardoise ou au tableau noir et celles qui se trouvaient dans le manuel. A l’époque, au degré élémentaire (1re et 2e années), les élèves écrivaient au porte-plume. Chaque pupitre avait deux places assises et un encrier au milieu. Le maître prenait soin de le remplir lorsqu’il était sec. Il faudrait aussi noter que pendant la lecture, il y avait des manuels en nombre suffisant pour tous les élèves d’une classe.
Ledit syllabaire fut un pilier dans l’apprentissage de la lecture dans les premières années de la scolarisation postcoloniale. Les lignes qui contenaient les mots étaient numérotées. En effet, la méthode syllabique permettait d’abord à l’enfant de décoder toutes les lettres et la quasi-totalité des syllabes qui forment un mot ; puis plus tard l’amener à déchiffrer n’importe quel texte. A la fin de l’année scolaire, l’écolier arrivait à lire couramment et parfaitement. Certains textes étaient devenus des chansons. C’est le cas du poème Connais-tu mon beau village. Celui-ci se transforma en une belle mélodie que les écoliers chantaient allègrement à gorge déployée :
Connais-tu mon beau village
Qui se mire au clair ruisseau
Encadré dans le feuillage
On dirait un nid d´oiseau
Ma maison parmi l´ombrage
Me sourit comme un berceau
Connais-tu mon beau village
Qui se mire au clair ruisseau
Chez les débutants du degré élémentaire, les textes n’étaient pas longs. Les phrases étaient courtes et simples pour faciliter l’apprentissage du français encore inconnu par les écoliers. Le syllabaire faisait ressortir les syllabes pour aplanir des difficultés de la lecture et du langage. Il insistait particulièrement sur les accents (grave, aigu et circonflexe) afin qu’ils soient bien prononcés. Les illustrations aidaient les novices à comprendre la signification de certains mots et par ricochet celle du petit texte en présence par association des idées.
Chez les grands de degré moyen et surtout du degré supérieur, les textes avaient une longueur conséquente. Certains récits racontaient d´ histoires aussi invraisemblables que captivantes comme Le pantalon de Moriba ou Les trois sourds. Malgré tous les progrès pédagogiques de ce dernier demi siècle, et ayant fait ses preuves, les éditions 1952 de Mamadou et Bineta sont (paraît-il) encore utilisées dans les écoles primaires du Mali. En raison de son efficacité, il a formé plusieurs générations d´Africains avant et après les indépendances. Aujourd´hui encore, ces manuels éducatifs sont en vente chez Amazon et leur prix n´est pas exorbitant. Les nostalgiques peuvent toujours se les procurer pour revivre les premières années de leur apprentissage de la lecture, ce manuel scolaire étant le tout premier bouquin qu´ils aient lu. On notera aussi la présence dans l’enseignement congolais de la série Hâtons-nous lentement écrit par Père Pierre Detienne, missionnaire de Scheut récemment disparu. Dans un manuel de cette collection se trouvaient des textes connus comme Adieu petit chéri et aussi (je crois) Les animaux malades de la peste. Un autre support pédagogique était aussi à la disposition des chevaliers de la craie. Il s’agit de la série Cours de langue française de Frère Macaire. Tous ces manuels scolaires ne proposaient pas que la lecture mais toutes les branches de l’enseignement du français. Pour l’arithmétique, il y avait Calcul actif qu’accompagnait la collection Vite et bien. En fêtant le cinquantenaire de notre indépendance, Mamadou et Bineta ne pouvaient pas être oubliés. Ces deux noms désormais réputés rimaient avec la lecture et le manuel dont ils étaient l´incarnation était le premier livre scolaire panafricain. Le symbole de l´école coloniale a longtemps survécu aux indépendances des Etats africains et a permis à de très nombreux écoliers d´apprendre le français. Ce manuel octogénaire tient une place de choix dans la littérature scolaire de l’Afrique francophone. En RDC, il fut patiemment remplacé vers les années 1966 par une autre série des livres de lecture conçue par des équipes de pédagogues du Congo à l'intention des écoles congolaises. Terminons avec l’extrait de cette récitation transformée en chanson qui est tiré dans cette collection pédagogique réellement africaine : L'an passé, cela va sans dire, j'étais petit. Mais à présent, je sais lire et écrire. C'est bien certain que je suis grand.
Samuel Malonga
L'auteur de cet article, notre ami Samuel Malonga est éprouvé. Il vient de perdre sa tante maternelle. Il s'accorde un temps de répit et de méditation et ne pourra peut-être pas répondre aux éventuelles réactions actuellement.
Nous lui présentons nos condoléances les plus émues durant ce moment de douleur.
MSG