Mama Onema
Mama Onema
Originaire du Sankuru comme Lumumba, mama Marie Onema est née au début des années 1900 à Okunji. Elle est la féticheuse la plus célèbre, la sorcière la plus crainte mais aussi la plus haïe et la plus détestée du Congo dans les années 60. Elle est la prêtresse et la grande initiée incontestable dans l'usage des forces surnaturelles et du pouvoir occulte tetela appelé " doka ". Sa vie bascule lorsque le général Olenga, le superstitieux commandant en chef de l’Armée populaire de libération (APL), qui vraisemblablement a entendu parler de ses pouvoirs magiques, lui rend visite. Il lui fait une proposition alléchante, celle de devenir sa féticheuse aussi celle des rebelles. Il a personnellement besoin de ses gris-gris pour devenir un grand leader. Voilà comment mama Onema est devenue la grande prêtresse-sorcière des Simba, leur arme secrète. D’autres sorciers sont aussi à son service. Ces adjoints surnommés docteurs sont chargés de dispenser le " bain magique " pour la bataille. Ils accompagnent les rebelles au front. Le soutien des féticheurs est presque devenu un commerce lucratif car la rébellion est sommée de les payer pour toute assistance mystique.
Incantation
Lors des séances magiques empruntées aux coutumes ancestrales du terroir, les rebelles boivent d’un peu de " pombe", une boisson locale faite à base de banane. Puis Mama hurle, crie et danse en rond pour cracher ses incantationsmystiques. Ce rituel a pour but de purifier et de protéger les rebelles, de les intégrer et de les admettre officiellement dans la société Simba et dans l’APL. Si le combattant est touché, la balle se transforme aussitôt en eau. S’il vient à mourir, il ressuscite après trois jours. Mais les guerriers sont invulnérables aussi longtemps qu’ils respectent les tabous et les interdits. Ainsi immunisés, les rebelles drogués au chanvre se lancent à l’assaut des positions ennemies. Pour mettre leurs adversaires en déroute, ils poussent leur cri de guerre et de ralliement: Simba… Simba… Maï Mulele… Maï Lumumba…Devant cette détermination des insurgés qui ne possèdent que d’armes rudimentaires (flèches, machettes…), les soldats de l’ANC terrorisés fuient et abandonnent leurs fusils pourtant modernes.
Dawa, amulette protectrice
Mama Onema monnaie ses services. Ceux qui bénéficient d’une protection magique supposée de meilleure qualité paye aussi plus cher. Le général Olenga par exemple doit débourser 5.000 francs lorsqu’ un simple Simba ne paie que 50 francs seulement. Tous les combattants sont obligés de posséder ce talisman, Olenga y compris tous ceux qui ne combattent pas comme Soumialot parce qu’il y a des risques d’attaques aériennes. A chacun des guerriers, Mama remet une amulette protectrice (dawa) contenant des organes (morceaux de foie, de cœur, de testicules ou d'ossement) prélevés dans le corps des ennemis tués. Le dawa a la capacité de transformer une balle en eau. Très superstitieux, le général Olenga la voit régulièrement pour écouter ses prophéties qui lui permettent de motiver et de galvaniser ses troupes au combat.
Mama Onema, la tristement célèbre sorcière et grande prêtresse des rebelles Simba sur un dépliant en swahili datant de 1964.
En détention à Léo
En juillet 1964, Tshombe est nommé par le président Kasa-Vabu au poste de Chef du gouvernement. La face de l’Armée nationale congolaise (ANC) change du coup car elle devient un mélange hétéroclite et un brassage des soldats congolais, des gendarmes katangais, des mercenaires et des soldats belges. Traquée comme tous les autres chefs rebelles qu’elle protège par ses gris-gris, la sorcière est enfin capturée le 25 janvier 1965 près de Kindu après la débandade des Simba. Elle est aussitôt ramenée par avion à Léopoldville. Ecrouée dans une cellule du quartier général des services de sécurité, elle a pu amener avec elle quelques pièces de son " laboratoire" mystique : des cordons de pierres magiques, des harnais en peau de singe et des paniers en peau de léopard. C’est alors que les Congolais abasourdis découvrent la face ridée d’une dame de petite taille qui mesure environ 1,42 m, âgée d’une soixantaine d’année dont les pratiques occultes et les " médicaments " mystiques ont permis à ses protégés de terroriser une bonne partie de la population congolaise.
Volte-face
A Léopoldville, mama Onema déclare lors d’une sorte de conférence qu’elle a changé de casaque et qu’elle sert dorénavant l’ANC et le gouvernement Tshombe, que sa formule magique s’est retournée contre les rebelles, que le mauvais sort poursuit Olenga désormais. L’entretien est enregistré et le message contenu dans les bandes-cassettes doit être diffusé dans les zones de conflit à l’Est. Le but avoué par Moïse Kapenda est de saper le morale des insurgés dès lors que leur prêtresse a changé de camp. Les responsables militaires occidentaux à Léopoldville ont salué l’initiative. La sorcière déclare aussi que les Simba échouent parce que le général Olenga passe outre ses prescriptions et recommandations. L’officier lui a même promis un montant de 3.000.000 de francs (32.672 euros) pour qu'il devienne un très grand leader. Mais malheureusement, elle n'a jusque-là reçu que la modique somme de 3.000 francs (32 euros). Pendant son point de presse, mama Onema porte les symboles et les attributs dus à sa qualité de prêtresse-sorcière: peaux d’animaux, bracelets, capuchon. Elle se sert d’un interprète pour se faire comprendre mais ce qu’elle dit paraît incohérent. Puis elle a ajoute: " Je suis une femme médecin libre et je sers celui qui me paie. " Elle n’a pas voulu révélé l’endroit où elle a enterré l’essentiel de ses fétiches.
Morte ou exécutée ?
Selon son arrière-petite-fille, devenue elle aussi féticheuse, la prêtresse des Simba est morte à l’hôpital de Kintambo à Kinshasa. Pourtant dans un article paru dans Congo Vision, un certain Djonga Y'Omatete Badibadi accuse Mobutu d’avoir fait exécuter la tristement célèbre sorcière sur une chaise électrique. Le président-fondateur ne voulait pas qu’elle transmette son pouvoir mystique à une autre personne.
Samuel Malonga
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