LES RELATIONS ENTRE LES DEUX CONGO
LES RELATIONS ENTRE LES DEUX CONGO
Au début des année 60, rien ne semblait altérer les rapports entre les deux nouveaux Etats congolais. Les relations personnelles bien entretenues entre l’ancien séminariste Kasa-Vubu et l’abbé Youlou faisaient d’eux plus que de simples amis, deux frères. C’était la période de la lune de miel. Lorsqu’il fut renversé, le prêtre se refugia d’abord à Kinshasa avant de s’envoler pour Madrid, très loin de sa terre natale. Selon certaines langues, il se serait évadé de la prison où il était enfermé avec l’aide du gouvernement de Léopoldville qui avait daigné envoyé un de ses meilleurs soldats en la personne de Mpika pour le sortir de son impasse. Mais dans les relations congolo-congolaises, le premier grand couac eut lieu en 1964 lorsque Moïse Tshombe, ami de Youlou, chassa tous les ressortissants congolais de Brazzaville. Dès lors les liens d’amitié et de fraternité entre les deux Congo s’étaient profondément altérés et connurent un rythme alterné de vives tensions et des liens amicaux. Ces rapports évoluèrent en dents de scie avec souvent un parfum de méfiance réciproque. Ce fut le début d’un cycle malheureux de confrontation politique entre deux Etats semblables où de part et d’autre du fleuve vivent pourtant les mêmes peuples, les mêmes tribus, les mêmes familles, les mêmes clans parlant les mêmes langues et ayant les coutumes et traditions.
Fulbert Youlou avec Joseph Kasa-Vubu (photo gauche) et à avec Moïse Tshombe (photo droite) alors dirigeant katangais à la cérémonie du lancement des travaux de construction du barrage de Sounda dans le Kouilou.
Par intermittence, les dirigeants ont soufflé le chaud et le froid. Le beach Ngobila était ouvert ou fermé à la cadence et selon l’humeur politique qui prévalaient. La fragilité des relations entre les deux Etats était devenue un fait réel avec l’arrivée de Mobutu au pouvoir. Déjà en 1966, alors que les « conjurés de la Pentecôte »furent pendus, un cinquième larron, André Lubaya, réussit à s’enfuir et à se refugier à Brazzaville. C’est le début de ce qu’on appela à l’époque l’affaire Lubaya. L’ancien ministre de la Santé dans le gouvernement Tshombe avait participé au complot et Kinshasa qui demandait sa tête avait failli rompre les relations diplomatiques. Dans le souci d’un règlement pacifique du conflit, les efforts de rapprochement furent entrepris des deux côtés par l'échange des messages entre les présidents Mobutu et Massamba-Débat dès 1967et par de nombreux contacts au niveau des ministères des Affaires étrangères. La normalisation de rapports s'accomplit en mars 1968 par l’échange des chargés d'affaires. En août 1968, alors que André Lubaya était déjà assassiné en mai, le pouvoir changea de main à Brazzaville. Marien Ngouabi renversa Massamba-Débat et devint l’homme fort du pays. Mais très vite l´affaire Mulele vint contrarier le nouvel élan déjà amorcé par les deux parties. Le principal animateur de l´insurrection au Kwilu s´était réfugié de l´autre coté du fleuve. Grace à un accord d´amnistie conclu entre les deux capitales, Pierre Mulele regagna Kinshasa avec le ministre des Affaires Étrangères Justin-Marie Bomboko à bord du yacht présidentiel. Mais une fois au pays, l´ancien chef rebelle fut exécuté malgré l´intervention des autorités de Brazzaville. Le gouvernement de Ngouabi estima avoir été profondément offensé dans son honneur et sa dignité dans cette trahison et cette mauvaise fois du gouvernement de Kinshasa. En guise de réponse et de représailles, la République populaire du Congo rompit ses relations diplomatiques avec Kinshasa et entendit porter l'affaire devant les instances internationales notamment devant l'OUA. Un dégel sembla possible grâce aux efforts conjugués de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et du Gabonais Bongo en 1969. Suite à cette médiation, les présidents Mobutu et Ngouabi s'engagèrent à mettre un terme à leur querelle. Mais ce n’était que partie remise. Car c’était sans compter avec Mobutu qui voyait d’un très mauvais œil cette république populaire aux portes de son « royaume » et qui lui rappelait une autre république fantôme du même nom qui fut proclamée à Kisangani. Le 23 mars 1970, un commando avec à sa tête le lieutenant Pierre Kiganga dit Sirocco tenta un coup d’Etat militaire avec le soutien du Zaïre. En effet dans la nuit, les putschistes qui avaient traversé le fleuve, s'emparèrent de la radio nationale “La voix de la révolution congolaise” et prononcèrent un discours annonçant la fin du régime Ngouabi. A l’issue de leur intervention, l'ancien hymne national “La Congolaise” fut diffusé. Dans les cités, des scènes de liesse populaire eurent spontanément lieu.
Lieutenant Pierre Kiganga alias Sirocco
Les gens sortirent dans les rues en brandissant de petits drapeaux tricolores aux anciennes couleurs nationales. Sirocco prit la parole dans un quartier populaire. Plusieurs jeunes sympathisants le suivirent pour se rassembler devant le siège de la radio qui était aux mains des insurgés pour célébrer la fin du régime. Mais l’euphorie fut de courte durée. Elle tourna brutalement en une fusillade sanglante avec la contre-attaque de l'Armée populaire nationale qui arrivée sur les lieux tirait à l'arme lourde. Dans l'arrière-cour de l'immeuble de la radio, les forces loyalistes liquidèrent les derniers survivants et plusieurs personnes qui s’y trouvaient. Le lieutenant Pierre Kinganga fut retrouvé et abattu non sans résistance. Son corps vêtu d’un simple caleçon fut exposé comme un trophée et sa poitrine bardée de gris-gris anti était criblée des balles. En début d'après-midi, alors que l’insurrection venait d’être maté dans le sang, le Commandant Marien Ngouabi annonça victorieusement “l'écrasement de la contre-révolution” et fustigea les ennemis du peuple. Devant cette actualité brulante, la tension monta d’un cran entre les deux capitales les plus proches du monde. Une véritable guerre des ondes commença. Les deux Etats se lançaient des tirades à l’aide des chansons incendiaires. Nzele sukuma de Jeannot Bombenga était parmi les titres qui étaient balancés par la RTNC. Cette belle empoignade médiatique fit même planer le spectre d’une véritable confrontation. Ça sentait le pourri entre les deux dirigeants aux convictions politiques diamétralement opposées. D’un côté, le citoyen Mobutu, pro-américain et président d’un pays à système capitaliste, et de l’autre côté du fleuve, le camarade Marien Ngouabi, prosoviétique et chef d’Etat d’une république populaire à système marxiste-léniniste. Le commandant rouge interdit un moment la diffusion des chansons zaïroises dans les antennes de la Voix de la Révolution congolaise.
Pierre Mulele
Les relations entre les deux rives finirent par se régulariser non sans laisser des traces. La brouille prit fin entre les deux frères ennemis qui se retrouvèrent à Franceville à la faveur de la fête nationale gabonaise. Si les rapports entre Mobutu et Ngouabi connurent bien des soubresauts par moment, le couple Mobutu-Sassou par contre tout comme plus tard le tandem Mobutu-Lissouba évoluèrent presque sans nuage. Il faudra attendre la chute du Maréchal pour voir un regain de tension entre les deux Etats homonymes. Le typhon sera fort qu’un débordement était craint avec les échanges réciproques des tirs d’obus des deux côtes du fleuve. Le duo L.D. Kabila-Sassou connut un mauvais départ. Mais confrontés à une certaine réalité politique, les deux présidents avaient tôt fait de fumer le calumet de la paix en lavant leurs linges sales en famille. Dès lors qu’il n’existe aucun problème majeur, la cohabitation entre les deux Congo semble promis à un bel avenir, politique de bon voisinage oblige.
Samuel Malonga
Nzele Sukuma, par Bombenga et le Vox Africa