LA TRISTE FIN DE NOS VEDETTES
L’autre jour, je venais de lire sur le blog, l’histoire effarante et triste d’une fin de vie presque programmée. C’était celle de ce virtuose de la guitare qu’était Tofla Kitoko, Tofla ba beauté. Il incarnait à lui tout seul l’élégance du groupe où il évoluait. Mais malade, il fut abandonné à son triste sort comme plusieurs avant et après lui. Dans sa solitude, il avait pu heureusement jouir d’un peu d’amour et de sollicitude de la part de ses géniteurs. Comme c’est bouleversant. Malheureusement, Il n’est pas le seul à terminer ainsi son existence terrestre. Dans le monde musical et sportif, notre pays a perdu bien de ces hommes et de ces femmes qui comme des fleurs avaient pourtant parfumé notre existence, nous ont égayés par leurs exploits et tels des étoiles dans le ciel azur avaient brillé des mille feux au firmament de notre pays. Une rétrospective. En février 1983, le Grand Kallé tombe malade et meurt quelques semaines plus tard. Artiste ruiné, Il a au moins la chance d’avoir pour oncle ce grand homme d’église que fut le cardinal Malula. Le prélat et l’archidiocèse de Kinshasa prendront en charge ses obsèques. La veillée mortuaire aura même lieu dans l’enceinte de l’archevêché sur l’avenue de l’Université. Au cours de l’absoute dite dans la cathédrale Notre Dame du Congo pleine à craquer, puis dans l’oraison funèbre prononcée pour la circonstance, l’archevêque mentionnera qu’il n’appartenait pas à un oncle de faire l’éloge de son propre neveu. Deux ans plus tard, en 1985, la maladie frappe à nouveau un grand de notre musique : Nicolas Kasanda alias Dr Nico. Il se débat avec ses maigres moyens mais ne s’en sort vraiment pas. La nouvelle de son alitement arrive jusqu’aux portes du Mont-Ngaliema. Mobutu s’émeut, débloque des fonds pour évacuer le talentueux soliste à Bruxelles où il est accueilli à l’hôpital Saint Luc. Trop tard. C’est dans la capitale belge que le dieu de la guitare s’éteindra. N’oublions pas que c’est aussi grâce à l’assistance de la présidence que l’ancien entraîneur de Vita Club et directeur technique des Léopards, Yvon Kalambay fut soigné en Belgique. Eux, ont été secouru grâce à la magnanimité du Guide et ont pu peut-être aussi grâce à leur notoriété profiter de cette aide nécessaire et indispensable qui pouvait leur sauver la vie. Mais les autres n’ont pas eu cette chance. Mbole Tambwe par exemple, après avoir quitté Sosoliso réussit à monter son propre groupe, le Sakayonsa. Quand il tomba gravement malade, il eut le courage de demander de l’aide à ses collègues musiciens et à toutes les personnes de bonne volonté. Mais rien n’y était fait. Quand il mourut, les artistes-musiciens par le truchement de l’UMUCO se mobilisèrent pour lui faire des obsèques digne de ce nom. Pourtant quelques semaines au paravent, son appel pathétique avait résonné dans le vide et était accueilli par le silence. Comble de ridicule, Il avait droit à un cercueil en bois noir. Qui se souvient encore de l’artiste-comédien Bébé. Je me rappelle encore de sa voix fine à la Mambo Ley quand il chantait dans une publicité qui passait à l’époque sur les ondes de la Voix du Zaïre : « Masanga biso tomelaka mimi orange. Mimi orange masanga kitoko. » Lui aussi était passé amaigri à la télé pour supplier les gens de lui venir en aide. Sans résultat. Combien sont-ils à nous quitter parce que abandonné par leurs patrons, leurs collègues ou les gens autour d’eux ? Avons-nous un cœur ? Comment comprendre ces musiciens qui sortent parfois des tubes qui se vendent comme des petits pains finir leurs jours dans le dénuement le plus total et mèner une vie proche de la mendicité ? A quoi servait le Fonds Mobutu Sese Seko pour les artistes ? Aussi les patrons-musiciens devenus de vrais prédateurs, sucent, pillent, exploitent leurs propres collègues avec qui ils avaient ensemble décrié les mêmes méfaits chez leurs précédents employeurs. Si la solidarité des gouvernements des deux Congo avait joué un rôle déterminant pour le suivi médical de Tabu Ley ,l’idole d’ébène, Youlou Mabiala, l’autre fleuron de notre musique est par contre jeté aux oubliettes. Deux poids deux mesures. Il vit seul. Son épouse l’a paraît-il abandonné dans une église en banlieue parisienne où faute des moyens financiers, il suit une "cure spirituelle" en lieu et place d’un traitement médical qui pouvait lui sauver la vie. Est-il déjà condamné à l’avance ? Est-il en sursis ? De leur côté, les footballeurs tout comme les autres sportifs ne sont guère bien lotis. Les Léopards Matumona, Kembo, Kazadi, Mavuba, Mukombo, Tshinabu, Kasongo tout comme les Diables Rouges Maxime Matsima dit Yachine et Adolphe Bibandzoulou Amoyen décorés à titre posthume d’ailleurs sont morts pauvres après avoir été exploités jusqu’à la moelle de leurs os. Et pourtant ils avaient vaillamment défendu sur les terrains d’Afrique les couleurs de leurs nations. Pauvres héros oubliés. Depuis quelques années déjà, nos Mondialistes encore en vie comme Mwepu, Lobilo, Mana pour ne citer qu’eux, réclament leurs droits c’est-à-dire demandent la restitution par l’Etat des primes des matches qu’ils devraient toucher en Allemagne en 1974 et prennent Sampasa Kaweta Milombe à témoin. Ce pays qu’ils ont "gratuitement" servi les fait marcher, les fait attendre depuis près de quarante ans. Eux qui avaient été floués par la fédération n’étaient pas permis d’aller jouer en Europe avant d’avoir eu trente ans. Mobutu disait qu’ils étaient les perles de la nation donc ils n’étaient pas exportables. Voilà pourquoi en 1972, après une belle prestation à la CAN, Kakoko et Mayanga ne pouvaient pas aller jouer à St Etienne en France. Le Zaïre à l’époque avait dit niet. Les deux joueurs n’avaient pas non plus droit de faire partie de la sélection africaine qui participa à la mini-coupe du monde organisée par le Brésil pour ses 150 ans d’indépendance. Aujourd’hui, ils s’en sortent tant bien que mal puisqu’ils sont en Europe. La vie est intenable pour leurs collègues restés au pays. Si nous traversons le fleuve, c’est du pareil au même. Les Diables Rouges champions d’Afrique en 1972 n’avaient en tout et pour tout reçu que 50.000 FCFA soit quelque 303 euros de prime par joueur. Après avoir peiner et suer pour ramener la coupe baptisée "Marie-Jeanne" au pays, ils n’avaient eu que des miettes pour toute récompense, des bribes pour remerciements. Ils avaient bosser dur pour être payés en monnaie de singe. Les rescapés de cette aventure camerounaise comme Jonas Bahamboula MBemba dit Tostao vivent dans un état indigne d’un champion. Pourtant, il est considéré, à juste titre d’ailleurs, comme étant le meilleur joueur du Congo-Brazzaville. Notons que l’argent versé par la CAF à Ndaye pour le record de ses buts avait atterri dans les poches d’un … ministre. Si les vedettes des grandes villes sont mal lotis que dire alors de ceux de l’intérieur, ces footballeurs, ces artistes, ces sportifs et ces musiciens inconnus, méconnus qui vivent à Matadi, Kikwit, Isiro, Gamboma ou Loubomo ? Ils doivent sans nul doute mener une vie de souffreteux. Comme le disaient les anciens Romains : Homo homini lupus , L’homme est vraiment un loup pour l’homme. Nos vedettes n’ont que du succès à manger et à long terme mènent une vie de miséreux dans l’abandon et parfois dans l’indifférence la plus totale. Ils sont vite oubliés. Ils vivent leur après-carrière par le rappel dans les médias de leurs exploits antérieurs.(Exemple : http://radiookapi.net/emissions-audio/2009/01/08/gento-kibonge-en-1968-et-1974-nous-avons-remporte-la-coupe-dafrique-des-nations/). Tout au long de leur retraite, ils gèrent leur misère et le souvenir lointain de leur passé glorieux. Pierre Kelekele Lituka, ancien champion du monde de catch aujourd’hui à moitié paralysé est l’un d’eux. Dans nos pays, ni les sportifs, ni les artistes, ni les fonctionnaires, ni les petits commerçants de l’informel, personne ne vit de son travail, personne ne vit de son métier. Tous broient du fer et mangent leur pain noir dans l’insensibilité la plus totale de ceux qui sont pourtant censés mettre en place des structures sociales viables. Pour terminer, invitation est donnée à tous les mbokatiers de méditer sur ces paroles du Malien Amadou Hampaté Bâ dont la sagesse était connue par delà les frontières de son pays:« Ce qui a vraiment bouleversé la société africaine, c’est la recherche des "quatre V" : Le Virement (un compte en banque), la Villa, le Verger (une plantation où d’autres travaillent pour soi) et la Voiture. Les vieux disent : réunissez ces quatre "V", vous risquez d’en voir apparaître un cinquième : la Vilénie.»
Samuel Malonga
Jonas Bahamboula Mbemba Tostao
Pierre Kelekele Lituka chez lui à Kisangani avec sa médaille de champion du monde reçu à Berlin