A propos de Lumumba (3)
La mort de Lumumba (V) : La chasse à l’homme
Le 27 novembre, le soir, il pleut à verse. Lumumba, perd ainsi sa protection de l’ONUC et quitte avec beaucoup de risques sa résidence dans des conditions inconfortables. Son sort est
scellé
A l’annonce de la fuite de Lumumba, l’Ambassadeur américain cède un avion privé et un pilote spécialiste des vols de reconnaissance à basse altitude
aux services secrets belgo-congolais pour la recherche, la poursuite et l’arrestation ou l’assassinat de Lumumba à la demande expresse du colonel Mobutu. Le commandement de l’opération sera
confié à un élément exalté, le capitaine Gilbert Pongo. C’est un agent de liaison de la Sûreté et un ancien agent territorial. Pongo avait juré et promis de liquider Lumumba et tous les
lumumbistes. Il sera accompagné d’un agent belge, sûrement André Lahaye. L’agent d’exécution sera l’officier de l’ANC Yowane, un des commandos formés en dernier lieu par les Belges, revenus
entre-temps de Thysville (Mbanza Ngungu).
Le premier vol sera effectué vers Coquilhatville (Mbandaka) et Stanleyville croyant retrouver Lumumba déjà à Stanleyville. Ils annonceront, après avoir repéré quelques indices dans le bateau de
l’Otraco (Onatra) « ITB Moleart », piloté par le capitaine Michel Lohandjola transportant 19 valises de Lumumba. Ce bateau sera arraisonné sur l’ordre de Nendaka, par les militaires de la
garnison de Coquilhatville au kilomètre 640 vers Bumba dans la barge K.800. M. Joseph Muteba, un des adjoints de Nendaka à la Sûreté, confirmera ces propos lors de sa déposition à la Conférence
Nationale Souveraine. Pour lui, les 19 valises et malles de Lumumba ont été récupérées par sieurs Nendaka et Mobutu par l’intermédiaire de l’agent Alexandre Kinkela, qui à son tour confirmera
qu’il y avait beaucoup d’argent dedans et le compte bancaire de Lumumba à la Socobanque, actuelle Banque Congolaise du Commerce Extérieur (BCCE), aurait été soldé aussi par Victor Nendaka et sa
bande usant des faux en écriture.
Ensuite, l’avion sera aiguillonné vers Tshikapa puis Luluabourg (Kananga). C’est lui qui va repérer et faciliter l’arrestation du convoi d’Okito et Pakasa se rendant de Kikwit à Tshikapa par
Idiofa.
Le 30 novembre, le convoi est rejoint par trois autres fugitifs de marque au bac de Mangal et de Pont-Francqui (Ilebo) : Pierre Mulele, Valentin Lubuma et Gabriel Yumbu venant de Kikwit qu’ils
ont quittés précipitamment après avoir tenu un meeting incendiaire contre les réactionnaires de l’Abako. Ils laissent derrière eux la ville à feu et à sang. C’est, l’œuvre des soldats de Mobutu,
ceux-ci sont en colère du fait que la garnison de Kikwit n’ait pas su arrêter Mulele, Yumbu, Lubuma ainsi que le convoi de Lumumba, qui, tous ont eu à passer par là.
Le 1er décembre, ils sont à Port-Francqui. Lumumba se croit en sécurité chez lui, au Kasaï. Mais il échappe à la première tentative d’arrestation par l’ANC locale. Il est sauvé, in extremis, par
les militaires ghanéens de l’ONUC. Le convoi arrive à Mweka, où il est accueilli triomphalement par une foule nombreuse conduite par le député de la coalition lumumbiste, Mathias Kemishanga. En
effet, pour les observateurs, Mathias Kemishanga aurait été parachuté « on ne sait où » dans le seul but de précéder et de freiner la célérité du convoi des fugitifs. Celui-là même qui était
resté à Léopoldville le jour de l’évasion de Lumumba, avait-il le don d’ubiquité pour se trouver en ce moment précis à Mweka, où il fait perdre sciemment du temps au convoi ? Kemishanga convie,
dans l’après-midi, Lumumba a un meeting au stade de Mweka. Mulele refuse de s’y rendre, trouvant l’opération dangereuse. Il reste cloué et cloisonné en son Hôtel, où le président provincial du
Kasaï, Barthélemy Mukenge, allié au MNC/Lumumba téléphone depuis Luluabourg (Kananga) pour signifier aux fugitifs le danger qu’ils courent avec l’arrivée imminente des militaires de Mobutu.
Ceux-ci sont déjà au courant de leur itinéraire et de leur présence à Mweka. D’où, l’urgente nécessité de changer d’itinéraire. Il n’est plus question de passer par LuLuabourg, où le colonel
Ndjoku, pro-Mobutu, est intransigeant et sans pitié au sujet de Lumumba. Ce dernier et ses compagnons d’infortune sont en mauvaise posture. Mulele se rend précipitamment au stade, les prévient
afin de quitter aussitôt les lieux et de changer leur plan de fuite. Ils doivent aller vers Lodi et éviter, à tout prix, la route de Luluabourg. C’est ce qui fut fait. Des crevaisons retardent
encore la progression. Mungul Diaka dut céder la voiture Peugeot en bon état à Lumumba et restera avec sa famille pour réparer dans la brousse sa voiture en panne.
Coup de théâtre
Le convoi arrive à Bolongo vers 22 heures, mais il faut traverser la rivière Sankuru en pirogue pour rejoindre les passeurs du bac se trouvant de l’autre côté de la rivière. Ils mettront une
heure pour y parvenir. Les premiers à passer sont Kemishanga, Lubuma, Mulele, Grenfelt, Yumbu et Lumumba lui-même. Entre-temps, les militaires à leur poursuite arrivent sur l’autre rive. Les
Mungul Diaka, Pauline Opango et Roland Lumumba se cachent dans la forêt voisine pour échapper à leurs griffes. Cinq soldats vont franchir la rive droite avec le bac. Ils sont envoyés par Lumumba
chercher sa femme et son enfant. Remarquant la présence des militaires venus de Port-Francqui, il demandera à ses Lieutenants de se cacher. Après avoir harangué pour la dernière fois de sa vie la
foule accourue à sa rencontre, Lumumba va parlementer seul avec ces militaires promus spontanément en grades. Ceux-ci se retrouvent nez à nez avec l’officier Christophe Yowane, agent d’exécution
du commando. Mulele, confiera à Kanza « que cela fut parfaitement stupide, je n’aurai jamais cru que Lumumba était aussi sentimental et confiant ». Yowane utilisera la ruse pour convaincre
Lumumba de l’accompagner de l’autre côté, prétendant qu’ils sont dépêchés pour offrir une escorte au Premier Ministre.
Après avoir compris quelques temps plus tard qu’il était en état d’arrestation, Lumumba tentera pendant une heure de palabre de convaincre l’officier
Christophe Yowane afin qu’il le laisse partir. Mais en vain. Yowane alléché et obnubilé par sa récompense et ses futurs grades ne se laisse pas impressionner par les propos de Lumumba. Ce
dernier, au bord du désespoir, lance sa prophétie : «…Il n’est pas juste que vous m’arrêtiez, moi qui vous ai donné le commandement de l’armée au détriment des Belges... Tuez moi ici même et
jetez mon cadavre dans la rivière pour que je sois dévoré par les poissons et que les Congolais en profitent pour qu’en mangeant de ce poisson, ils restent vigilants contre les profiteurs
étrangers. Mais si vous m’amenez au Katanga et que ce sol congolais (katangais) boive mon sang, notre pays connaîtra un mauvais sort. Durant plus de 30 ans, il entrera dans un profond sommeil,
dans l’obscurantisme total et ce sera votre propre destruction ! ». Ces propos seront confirmés par des témoins appartenant à des clans diamétralement opposés : d’un côté, par Yowane lui-même, du
camp de Mobutu ; et de l’autre par Mathias Kemishanga, feu Bernardin Mungul Diaka et le feu Valentin Lubuma.
L’arrestation
Lumumba est arrêté, le vendredi 2 décembre 1960, aux premières heures de la matinée par le lieutenant Christophe Yowane Lokete. Il rejoint manu
militari sa petite famille et Mungul Diaka de l’autre côté de la rive, où ils seront escortés par des jeeps et camions militaires jusqu’à Mweka.
Profitant d’un moment d’inattention des militaires congolais, Mungul Diaka ordonnera au chauffeur en « munukutuba » (en kikongo, une des langues parlées au Congo), un certain Makasinga, habitant
de la commune de Bandalungwa (à Léopoldville) de foncer vers le camp de l’ONUC tenu par des militaires ghanéens, ceux qui les avaient arrachés des militaires beaux, déjà le 1er décembre.
L’officier en faction, un Anglais de l’armée ghanéenne lui refusera le passage faute d’instructions et de compréhension de la Langue et de manque d’interprète.
Aussitôt, il est récupéré par le Lieutenant Yowane et est tabassé sur le champ à coups de crosse. C’est la dernière parution de Mungul Diaka dans ce feuilleton. Lumumba est conduit immédiatement
à Port-Francqui, accompagné du député national Théophile Bonde où les attendait le commandant Gilbert Pongo avec un avion DC 3. Les autres fugitifs seront relâchés et continueront leur route
jusqu’à Stanleyville via, cette fois-ci, Luluabourg.
Le prisonnier Lumumba à Léopoldville
Le vendredi, 2 décembre, à 17 heures, Gilbert Pongo triomphant, fier comme Artaban, et arrogant à outrance, ramène à Léopoldville les prisonniers Lumumba et Bonde. Ceux-ci sont dans un état
piteux. Lumumba est en chemisette blanche, tachée de sang. Il est sans lunettes. Un caillot de sang sur la joue. Epuisé, il a les mains ligotées derrière le dos. Une bonne centaine de militaires
dirigés par le lieutenant Bernard Kamata Kay, adjoint de Pongo l’attendent. Une meute de journalistes internationaux est là aussi. Elle filme à loisir le chemin de la croix de Lumumba. Le
Lieutenant Kamata Kay, plus tard chef de camp du général Babia, confirmera que tous les Commissaires Généraux « initiés », c’est-à-dire au parfum du complot et de l’opération étaient présents à
l’aéroport tels que Bomboko, Lihau, Iléo, Tshisekedi, Kazadi, Ndele, Kandobo, Nussbaumer...
Patrice Lumumba sera jeté sans ménagement sur le plateau d’un grand camion militaire, Les mains, cette fois-ci, ligotées à l’aide d’une cordelette. Il est accompagné de deux autres détenus, les
députés lumumbistes Théodore Bonde et Jérôme Mondjongo. L’escorte empruntera d’après le témoin Bernard Kamata Kay, le boulevard Lumumba jusqu’au croisement de la Kethule (Sendwe), puis elle va
virer sur l’avenue Prince Baudouin ( Kasa-vubu) en passant par l’avenue de l’Enseignement puis le camp Léopold II camp Kokolo) jusqu’au croisement de Binza-Ma-Campagne-Kintambo puis le camp
Tshatshi appelé, alors le « Camp 100 maisons », villas appartenant à la Banque Centrale, jusqu’à la résidence de Mobutu. Ce dernier les attendait, satisfait de la mission largement accomplie.
Calmement, sûr de lui, Mobutu regarde de haut et contemple ses soldats frapper, torturer et infliger des traitements inhumains à Lumumba et à ses deux compagnons. Ils lui arrachent les cheveux et
lui enfoncent son dernier discours sur papier dans la bouche. Des soldats pèsent sur les cordes et resserrent ses poignets. Mobutu se moque de ce qui se passe sous ses yeux et pousse le mépris
jusqu’à cracher sur Lumumba. Il est ensuite conduit dans le garage de Victor Nendaka, toujours au « Camp 100 maisons » à Binza, à quelques mètres de chez Mobutu.
En présence des photographes et cameramen, Lumumba est roulé par terre. Les soldats excités sautent sur lui et lui font passer un mauvais quart d’heure. Il passera la nuit dans ce garage après
avoir subi à nouveau des brutalités. Personne ne saura dire ce qui s’était réellement passé durant cette longue nuit noire.
C’est au matin du 3 décembre 1960, relate un témoin oculaire, en l’occurrence le lieutenant Nkiey, chargé d’aller chercher Maurice Mpolo, qui devait rejoindre Stanleyville depuis son fief de
Mushie (dans l’actuelle province de Bandundu) où il a été arrêté par l’Administrateur du Territoire local, Jacques Ngaa Ilanga, sur ordre phonique de Nendaka. Selon les instructions de Nendaka,
Mpolo, une fois arrêté, devait l’attendre jusqu’à son arrivée à Mushie, parce qu’il tenait à le récupérer personnellement. Mais, Mr Bokabo, Commissaire de District d’Inongo informera Ilanga que
l’avion de Nendaka ne viendra plus et qu’il devait prendre le bateau « ITB Bogard » en provenance de Banningville (Bandundu). Il devait le rejoindre à Mushie et accompagner le prisonnier à
Léopoldville. Ce qui fut fait.
Arrivé à Léopoldville, aux environs de 3 h 00’ du matin, ce 3 décembre 1960, Mpolo Maurice est récupéré dans le bateau par 15 militaires venus à bord de deux « Abbatros » de l’ANC. Ils l’amènent
en pyjama, ne lui offrant aucune possibilité de s’habiller. Ces tortionnaires empêchent même à Jacques Ngaa Ilanga de les accompagner. Aussi arrivé dans les Locaux de la Sûreté, Mpolo rejoint
Lumumba et Okito. Maurice Mpolo , fut un ancien président du MNC/L de la province de Léopoldville, élu député national à Inongo. Il sera qualifié de « dur » au Parlement pour ses prises de
position.
Pour la petite histoire, il est bon de signaler que Maurice Mpolo s’est illustré en giflant Nendaka, lors de la réunion de concertation de tous les présidents provinciaux du parti avant la tenue
de la table Ronde de Bruxelles, après que celui-ci ait tenu des propos désobligeants quant à la participation à la Table Ronde du chef du parti, Lumumba, alors incarcéré à Jadotville (Likasi).
C’est encore lui qui aura des démêlés avec Mobutu au Camp Léopold II à qu’il administrera une gifle en présence du colonel Jacques Puati. Ces exploits en paires de baffes retentissantes ne seront
pas oubliés par l’un, ni par l’autre. Mpolo sera d’abord arrêté par Mobutu, emprisonné à Luzumu (dans la province du Bas-Congo) et aura son élargissement grâce à l’intervention des troupes
marocaines de l’ONUC. Il se repliera chez lui à Mushie cherchant à rejoindre ses camarades à Stanleyville. C’est alors qu’il retombe dans les filets de ses pires ennemis ( Nendaka et
Mobutu).
Quant à Okito, vice-président du Sénat, il y a lieu de retenir qu’il sera arrêté dans leur fuite sur la route de
Kikwit allant vers Tshikapa, en compagnie de Joseph Oshako, député national du MNC/L et Lunganga Punga Djoke, sénateur, chef coutumier du Sankuru. En effet, à la suite d’une panne survenue à la
voiture qui les transportait, ils se feront repérer par l’avion à la recherche du fugitif Lumumba. Ils seront arrêtés par les militaires de Kikwit du commandant Magot. Aussitôt après, ils sont
acheminés sur Léopoldville par avion et internés au « Camp 100 maisons » avant l’arrivée de Lumumba, Bonde et Mondjongo.