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Publié par Samuel Malonga

LES PÈRES DE L’INDÉPENDANCE

  1. Albert Kalonji : mulopwe d’un État éphémère

Héritage et controverse

Albert Kalonji incarne les ambivalences du Congo postcolonial : entre unité nationale et poids des identités locales, entre État moderne et résurgence des structures traditionnelles. Il fut à la fois un militant anticolonial et un acteur de la fragmentation du pays. Son sacre royal fut vu par certains comme une dérive anachronique, par d’autres comme une tentative sincère de redonner sens et ordre dans une époque de chaos. Il n’était ni prophète, ni traître, mais un régionaliste convaincu, prisonnier d’une époque troublée, où chaque choix semblait à la fois nécessaire et dangereux. Il reste une figure complexe, à la frontière entre deux mondes, celui des anciens royaumes et celui des républiques modernes.

 

Le destin d’Albert Kalonji ressemble à une pièce mal jouée, entre tragédie classique et farce postcoloniale. Né en 1929 à Hemptinne Saint-Benoît (actuelle Bunkonde).   près de Luluabourg (Kananga), dans le cœur du Kasaï, il est issu du peuple luba, l’un des plus anciens royaumes de l’Afrique centrale. Mais Kalonji n’est pas un chef traditionnel. Il est un intellectuel formé dans les écoles missionnaires, un militant politique, un homme du XXe siècle. Et pourtant, c’est bien en empereur qu’il finit par régner, sur une terre en ruines, couronné dans l’urgence et la désunion.

Albert Kalonji demeure une figure à part dans le panthéon des pères de l’indépendance congolaise. Moins célèbre que Lumumba, Kasa-Vubu ou Tshombe, il incarne pourtant une autre ligne politique essentielle dans l’histoire du Congo postcolonial : le poids des appartenances ethniques et la tentation du repli identitaire face au chaos de la jeune nation. En août 1959, il est condamné pour incitation à la haine tribale raciale dans le conflit entre Luba et Lulua. Relégué à Kole, il est vite libéré.

Un militant de l’indépendance

Kalonji naît en 1929 dans une famille luba du Kasaï. Éduqué dans les écoles missionnaires, il fait partie de la première génération d’élites congolaises formées sous la colonisation. Engagé très tôt dans la lutte pour l’indépendance, D’abord proche de Lumumba, Kalonji cofonde avec lui le Mouvement National Congolais (MNC). Mais très vite, les divergences profondes  apparaissent. Lumumba veut un Congo unitaire, centralisé, nourri de l’idéal panafricain. Kalonji, lui, croit en l’autonomie des régions, au respect des cultures traditionnelles, à l'autorité des structures lignagères. Il rompt, fonde son propre parti — le MNC-Kalonji — et s’implante solidement au Kasaï.

 

L’État autonome du Sud-Kasaï

Peu après l’indépendance, alors que le pays s’enfonce dans la crise. Chef charismatique, partisan d’un fédéralisme radical, Kalonji joua un rôle de premier plan dans la crise congolaise. Décidé d’imiter son ami Tshombe, il proclame l’autonomie du Sud-Kasaï le 8 août 1960, avec Lusambo pour capitale. Il justifie cette rupture par le besoin de protéger les Luba contre les violences ethniques et le désordre gouvernemental. En réalité, comme pour Tshombe au Katanga, le contrôle des ressources minières, notamment les diamants, joue un rôle central dans cette initiative.

Mais là où Kalonji surprend, c’est qu’il ne se limite pas seulement à une déclaration politique. En 1961, celui qui est président du Sud-Kasaï, dans un geste spectaculaire et controversé, se fait introniser par le grand conseil des chefs coutumiers sous le nom d’Albert 1er. Plus tard il deviendra le “mulopwe” (empereur) des Baluba, renouant avec la monarchie luba précoloniale. Il mêle ainsi le registre de la souveraineté moderne à celui de la légitimité traditionnelle.

Ce couronnement choque, divise les milieux modernistes et suscite l’hostilité du gouvernement central. Pour certains, c’est un retour aux racines, une tentative sincère de réconcilier modernité politique et légitimité culturelle. Pour d’autres, c’est un saut en arrière, une régression tribale en pleine crise nationale, une rupture de plus dans un pays qui est déjà déchiré. Mais dans le Sud-Kasaï, il renforce son autorité auprès d’une population en quête de stabilité et de repères. Son parcours est marqué par la tension constante entre modernité politique et résurgence des structures coutumières.: en décembre 1961, l’armée congolaise reprend le contrôle du Sud-Kasaï. Kalonji est arrêté, emprisonné, puis relâché. Son royaume n’aura été qu’une parenthèse.

Déclin politique et retour à la République

L’autonomie du Sud-Kasaï tout comme la monarchie fragile et symbolique de Kalonji ne dure pas. En septembre 1962, les forces gouvernementales reprennent le contrôle de la région. Kalonji est arrêté, puis s’évade de prison. Isolé politiquement, il finit par abandonner toute prétention monarchique et se retire progressivement de la scène nationale. Il tente un retour en politique notamment lors des conférences constitutionnelles, mais n’a plus l’influence d’antan.

 

Héritage et controverse

Albert Kalonji incarne les ambivalences du Congo postcolonial : entre unité nationale et poids des identités locales, entre État moderne et résurgence des structures traditionnelles. Il fut à la fois un militant anticolonial et un acteur de la fragmentation du pays. Son sacre royal fut vu par certains comme une dérive anachronique, par d’autres comme une tentative sincère de redonner sens et ordre dans une époque de chaos.

Il n’était ni prophète, ni traître, mais un régionaliste convaincu, prisonnier d’une époque troublée, où chaque choix semblait à la fois nécessaire et dangereux. Il reste une figure complexe, à la frontière entre deux mondes, celui des anciens royaumes et celui des républiques modernes.

Et pourtant, l’histoire ne peut le rayer. Kalonji, loin de l’image simpliste du “petit empereur luba”, a posé des questions fondamentales, que le Congo n’a jamais résolues. Peut-on bâtir une nation sur les ruines de dizaines de royaumes ? Faut-il centraliser ou reconnaître les autonomies locales ? Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime, dans un pays né dans la violence, le vide institutionnel et les ingérences ?

 

Albert Kalonji ne fut pas un traître ni un héros. Il fut un homme entre deux mondes, entre modernité et tradition, entre le rêve d’un Congo multiple et la réalité d’un État en pièces. Un souverain sans couronne, un chef sans armée, mais un acteur à part entière du grand théâtre de l’indépendance congolaise. Il meurt en 2015, oublié de beaucoup, mais jamais complètement effacé. Son rêve d’un État luba autonome ne s’est jamais réalisé, mais son action a marqué durablement la mémoire politique du Kasaï.

Héritage / perception : Acteur secondaire mais symbole de la fragmentation ethnique post 1960.

 

Samuel Malonga

 

 

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