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Publié par Samuel Malonga

LES PÈRES DE L’INDÉPENDANCE

3. Moïse Tshombe : l’homme du Katanga, entre ambition régionale et tragédie nationale

Moïse Tshombe reste l’une des figures les plus controversées de l’histoire du Congo indépendant. Il fut l’un des acteurs les plus puissants et les plus polémiques de la scène politique congolaise des années 1960. Chef de la CONAKAT (Confédération des associations tribales du Katanga), ardent défenseur des intérêts katangais, il incarna une vision régionaliste du pouvoir, opposée à celle d’un Congo unifié prônée par Patrice Lumumba.

Pour ses partisans, il fut un dirigeant lucide, visionnaire, soucieux de préserver la stabilité économique d’un Congo en déliquescence. Pour ses détracteurs, il fut un traître à la patrie, un homme aux ordres des puissances étrangères, prêt à vendre l’unité nationale pour préserver les profits du Katanga doré. Entre admiration et répulsion, Tshombe incarne à lui seul le drame de l’indépendance congolaise : cette tension entre souveraineté proclamée et dépendance réelle. Tshombe a traversé l’histoire congolaise comme un homme de décision, mais aussi de calcul, porté par les intérêts économiques, occidentaux et locaux. Son destin, lui aussi, se termina loin de sa terre natale, dans l’exil et la solitude.

 

Le Katanga avant le Congo

Moïse Tshombe naît à Musumba en 1919 dans le cœur minier du Katanga. Éduqué dans les écoles des missionnaires, formé à la gestion, il devient un homme d’affaires prospère et influent. Très tôt, il comprend l’enjeu de l’indépendance à venir, mais ne partage ni l’idéalisme panafricain de Lumumba, ni la prudence institutionnelle de Kasa-Vubu. Il fonde en 1959 la CONAKAT avec Godefroid Munongo, pour défendre les seuls intérêts des Katangais, particulièrement des élites locales alliées aux colons et aux multinationales minières. Pour Tshombe, le Katanga doit rester maître de ses ressources. Dans un Congo centralisé, il craint que les recettes du cuivre soient diluées dans une administration dominée par d'autres groupes ethniques. Il défend l’autonomie provinciale, le fédéralisme, parfois jusqu’à la rupture.

Le 11 juillet 1960 : la sécession

Moïse Tshombe Kapenda ne rêve pas, comme Lumumba, d’un panafricanisme brûlant. Il croit au capitalisme, au régionalisme, à l’ordre. Son part la CONAKAT milite pour l’autonomie du Katanga, région riche en cuivre, cobalt et uranium. Lorsque l’indépendance est proclamée en juin 1960, Tshombe regarde avec méfiance le tumulte de Léopoldville. Il ne croit ni en Kasa-Vubu ni en Lumumba ni en l’État central.

 

Quelques jours à peine après la proclamation de l’indépendance, il déclare la sécession du Katanga, avec le soutien actif de la Belgique et de l’Union Minière du Haut Katanga (UMHK). C’est là que naît le surnom de "Monsieur Tiroir-Caisse", car pour beaucoup, Tshombe n’est pas un homme politique. Il est le gestionnaire docile des intérêts miniers étrangers, un "comptable de l’Occident" contre les rêves des nationalistes. Devenu le président de l’État du Katanga, il accuse le gouvernement de Lumumba d’incapacité, de chaos, de radicalisme. Ce geste plonge le Congo dans la guerre civile. L’ONU condamne la sécession, mais hésite à intervenir militairement. Tshombe, de son côté, fait appel à des mercenaires européens pour sécuriser le Katanga, ce qui renforce son image de marionnette aux mains des intérêts étrangers. Lumumba le qualifie de traître, celui qui a vendu le sang de son peuple pour l’or de ses maîtres.  Pourtant, Tshombe n’est pas un pantin sans volonté. Il se voit comme un homme d’ordre, un bâtisseur, convaincu que seule une région stable et bien gérée pourra garantir la prospérité. Son pouvoir repose sur une armée de mercenaires européens, bien équipés, bien payés. Son Katanga sécessionniste devient un État dans l’État, un îlot de prospérité encadré par des forces étrangères. Et tandis que le Congo sombre dans la guerre civile, que Lumumba est capturé, livré et assassiné avec la complicité, voire la main active des autorités katangaises, le nom de Tshombe s’associe définitivement à celui du coup de poignard dans le dos de la nation. Son erreur fut de croire qu’un État régional pouvait survivre durablement dans un contexte de décolonisation rapide et de pression internationale.

 

De l’exil au pouvoir à Léo

En 1963, la sécession katangaise est écrasée par les troupes de l’ONU. Tshombe s’exile en Espagne. Mais l’Histoire, toujours ironique, le ramène sur le devant de la scène en 1964, quand le président Kasa-Vubu l’appelle à former un gouvernement pour sauver le pays de la rébellion Simba. Tshombe accepte et revient à Léopoldville comme Premier ministre. Il a double objectif : d’abord stabiliser le pays face à la rébellion des Simba dans l’Est puis rassurer les puissances occidentales. Au pouvoir à Léo, il rappelle ses anciens mercenaires qui répriment la rébellion. Cette campagne brutale renforce son autorité, mais ternit encore son image auprès d’une partie de la population, qui voit en lui l’incarnation du "néocolonialisme armé". Mais le mal est fait : il est perçu comme un homme de l’extérieur, un pantin des intérêts étrangers.

L’exil final

En 1965, Joseph-Désiré Mobutu renverse Kasa-Vubu et prend le pouvoir. Tshombe est accusé de trahison et s’exile à nouveau. En 1967, alors qu’il séjourne en Espagne, son avion est détourné vers l’Algérie dans des circonstances troubles. Il y est placé en résidence surveillée. Aucun procès n’a eu lieu. Il meurt à Alger en 1969, dans l’oubli, loin de ses terres, à 49 ans. Enterré dans une concession perpétuelle du cimetière de la commune bruxelloise d’Etterbeek, son corps ne sera jamais rapatrié.

 

Ambition, stratégie, et mémoire divisée

Moïse Tshombe fut un homme de son temps : pragmatique, ambitieux, régionaliste, mais aussi instrumentalisé par des intérêts plus vastes que lui. Il a cru qu’en privilégiant l’ordre et l’économie, il pouvait bâtir un État katangais prospère. Il a sous-estimé la soif d’unité du peuple congolais, tout comme la dynamique irréversible de l’histoire. Pour certains, il reste un gestionnaire efficace, un visionnaire mal compris. Pour d’autres, il est le visage de la trahison, celui qui a failli briser la jeune nation pour défendre les mines de cuivre et les actionnaires européens. Il est sans doute l’un des exemples les plus tragiques de cette époque où les élites africaines durent choisir entre fidélité locale, stratégie nationale et pression internationale. Là où Lumumba était la voix du peuple, Tshombe fut le langage du pouvoir direct, efficace, mais sans tendresse.

Moïse Tshombe fut-il un traître ? Ou un réaliste sacrifié sur l’autel des idéaux ? Il est sans doute les deux à la fois. Ni héros, ni diable absolu, mais le visage complexe d’un Congo tiraillé entre richesse et déchirement, liberté proclamée et dépendance durable.  

Héritage / perception : Figure controversée, accusé de néocolonialisme mais fin gestionnaire

Samuel Malonga

 

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