Cinq questions à Gilbert Balufu (*)
Cinq questions à Gilbert Balufu (*)
Gilbert Balufu
1. Cinéaste congolais, vous avez réalisé, en 2015, un film intitulé « Congo ! Le silence des crimes oubliés ». Ce long métrage a remporté, en 2017, le 2ème prix du meilleur documentaire africain au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Son retentissement est mondial. À la stupéfaction de tous, sa projection a été annulée, jeudi 11 mai 2023, à l’Auditorium de l’hôtel de ville de Paris. Selon vous, pourquoi ?
Dès qu’il a remporté le prix au Fespaco 2017, mon film a été censuré, et ce presque partout. Selon mes informations, c’est la France qui est à l’origine de cette interdiction. Elle a influencé plusieurs autres pays pour bloquer mon film. Je ne pouvais donc pas postuler à un festival pour présenter mon œuvre. Mais dans certains pays où la France n’avait aucune influence, notamment l’Inde, la Colombie, le Brésil et autres, ça s’est très bien passé. Un film qui évoque la situation humanitaire et catastrophique dans l’Est de la RDC, depuis le génocide rwandais en 1994, ne peut que déplaire à la France qui soutient le pays de Paul Kagame dans son entreprise de déstabilisation du Congo qui ne semble pas préoccuper la communauté internationale. Silence total !
2. La France serait donc « la main noire » à la base de cette machination ?
La France est en tête de cette fatwa. Il y’a aussi une partie des pays de l’Union européenne et les multinationales anglo-saxonnes. Certains pays d’Europe n’ont pas joué à ce jeu, notamment l’Italie et la Grèce. À preuve, si je suis venu en Europe, où j’étais interdit de séjour, bien qu’ayant vécu plusieurs années en France et en Belgique, c’est parce que j’ai répondu à l’invitation des organisateurs de la 23ème édition du Festival du film francophone de Grèce qui se déroule tous les ans à Athènes et Thessalonique. C’est de cette manière que j’ai pu obtenir un visa Schengen. Et si le dimanche 30 avril 2023, mon film a été projeté au cinéma Vendôme à Bruxelles par l’association Union des Congolais de Belgique (Ucobel), avec le concours de Madame Gisèle Mandaila, c’est pour la simple raison qu’il s’agit d’une salle privée. Sinon, il est interdit quasiment partout.
3. En quoi votre film dérange-t-il ?
J’ai fait un film trop beau pour un Africain. Les gens me l’ont dit. Et d’ailleurs, certains diplomates de l’Ambassade de France à Kinshasa ne se sont pas gênés de me le faire savoir. Selon moi, dans la logique de la France, il y’a deux choses : la première, l’Africain, notamment francophone, doit faire un film suivant la perception française et qui respecte les normes hexagonales. La deuxième, il ne peut pas faire un film d’un niveau supérieur à celui d’un Français. Le contenu de mon film a été analysé par le service de renseignements français. Rien n’est plus agaçant, pour un cinéaste, que de vivre pareil cas. Comment un film qui n’a pas été financé par la France, qui n’est pas sponsorisé par une grosse production française, européenne ou américaine, et dont l’auteur n’est pas Français, pourrait être aussi beau ? C’est la question qu’ils se sont sans doute posée. Ils sont abasourdis.
4. Vous avez traduit en justice le cinéaste belge, Thierry Michel, réalisateur du film « L’Empire du silence » sorti en 2021, pour « plagiat et contrefaçon ». Où en êtes-vous dans cette bataille judiciaire ?
L’affaire est pendante devant la justice. Depuis un an, nous tournons en rond dans cette affaire. Thierry Michel ne se présentait jamais aux audiences, il envoyait ses avocats et ne voulait pas remettre la copie de son film à la justice puisqu’ il sait pertinemment qu’il a plagié mon film. J’ai exigé la comparaison de deux films pour établir la véracité des faits. Les juges ont fini par accepter ma demande. Thierry Michel refuse et fait appel auprès du tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe, prétextant que le tribunal de paix de Kinshasa-Gombe est partial. Selon le tribunal de Grande instance de Kinshasa, si sa requête est recevable, elle est non fondée parce que le tribunal de paix ne l’a pas condamné. Et comme il a déjà récusé ce tribunal, nous sommes donc obligés de porter l’affaire devant le tribunal de paix de Kinshasa-Ngaliema vu que les deux tribunaux sont sous la juridiction du tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe. Je suis déjà en contact avec certains amis, à Kinshasa, qui possèdent la copie de son film. À mon retour, je l’introduirai devant le tribunal de paix de Kinshasa-Ngaliema. C’est là où nous en sommes.
5. Qu’espérez-vous de l’issue de cette affaire ?
Généralement, quand on va devant la justice, c’est pour demander réparation. Je ne cherche ni l’arrestation de Thierry Michel ni la saisie de son film. On ne peut pas empêcher à un cinéaste de montrer son travail même si c’est un mensonge. Je veux tout simplement que les juges disent le droit et que sa faute soit reconnue. Il ne m’intimidera pas, malgré la campagne de dénigrement que ses amis, dont certains Congolais, et lui-même, ont lancé contre moi. Sa tentative de médiation, pour un arrangement à l’amiable, ce qui est déjà un aveu de culpabilité, est possible. À condition qu’il me fasse la demande par écrit. Une proposition qu’il semble refuser.
Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France (Le Potentiel)
(*) Cinéaste congolais