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Publié par Samuel Malonga

Jérôme Anany a été parmi les pendus en juin 1966. Il est surtout resté dans la mémoire collective comme un martyr de la Pentecôte pour avoir connu une fin tragique avec ses trois amis d’infortune. Pourtant derrière ses lunettes se cachait un homme qui avait du caractère, de la personnalité et du cran. Sa biographie est contenue dans un document de CIA aujourd’hui déclassé. Nous nous y sommes appuyé pour écrire cet article. Car si les circonstances de sa mort sont bien connues, son parcours politique par contre ne l’est pas.

Jérôme Anany mérite que l’on s’attarde sur sa personne avec beaucoup plus de détails afin que les Congolais le connaissent davantage. Il n’a pas seulement été que ministre de la Défense. Mais ironie de l’histoire, il est né 11 ans plus tôt dans la même ville que Mobutu, son bourreau. Le destin des deux natifs de Lisala s’est croisé dans les turbulences de la vie politique congolaise. Pour Jérôme Anany, elle s’est terminée tragiquement et s’est écrite en lettres de sang.

Mais qui est Jérôme Anany ? Quelle genre d’homme politique a-t-il été ? Qu’a-t-il fait pour la république ? Découvrons l’homme, sa vie et son œuvre dans les lignes qui suivent.

Enfant du Moyen-Congo et du Kivu

Jérôme Anany voit le jour le 19 mai 1919 à Lisala dans l’actuelle province de la Mongala des parents originaires du Kivu. Le lieu de sa naissance a fait croire à beaucoup qu’il est ressortissant de l’ancienne province de l’Equateur. Néanmoins, c’est chez lui au Kivu plus précisément à Bukavu qu’il finit par s’installer. Il va y passer une bonne partie de sa vie active avant de descendre à Kinshasa. Anany a toujours considéré ce qui est devenue la province du Moyen-Congo en 1963 comme son bastion électorale. Mais il n’était pas sûr d’y avoir de véritables soutiens. Sur le plan de l’appartenance régionale, le futur ministre est à cheval entre les provinces du Moyen-Congo et du Kivu, entre Lisala et Bukavu.

"Les Noirs exploitent les Noirs"

Le 1er janvier 1945, l’administration coloniale crée le journal "La Voix du Congolais" sur demande insistante des évolués. Bien que ses bureaux soient installés à Léopoldville, les articles viennent de tous les coins du Congo. Ils ne sont pas seulement écrits par des hommes de lettres mais tous les Congolais quelle que soit leur fonction. Dans le n⁰ 23 du mois de février 1948, paraît l’article de Jérôme Anany intitulé : "Les Noirs exploitent les Noirs". A 26 ans, il s’illustre dans ce texte où il perçoit mal les rapports inégaux entre Congolais. Il dénonce les vexations commises par les évolués, décrie les rapports de rupture croissante entre les évolués et la population, stigmatise l’exploitation dont sont victimes les citadins de leurs parents restés dans les milieux coutumiers. C’est une plume pointue qui met en évidence cette tare qui dans la société coloniale s’assimile à une discrimination congolo-congolaise entre les évolués et tous ceux qui n’appartiennent pas à cette caste des privilégiés.

Vie politique, vie publique

Anany n’a pas fait de longues études mais n’en demeure pas moins qu’il a un esprit éveillé. Il travaille pendant de longues années comme employé de bureau avant de s’engager en politique dans l’Union Congolaise au Kivu où il occupe la fonction de vice-président. Il rejoint plus tard les rangs du Parti National du Progrès (PNP). Il y cumule les fonctions de vice-président pour la section du Kivu et de trésorier général national. C’est à ce titre qu’il participe à la Table ronde de Bruxelles en 1960. La même année, il est à la tête d’une mission d’étude et d’information en Europe.  Du 19 au 24 juin 1961, Anany fait partie de la délégation congolaise qui participe à la Conférence parlementaire eurafricaine de Strasbourg. Le but de ces assises est d’élucider les problèmes qui se poseront lors du développement ultérieur des relations entre les Communautés européennes (CE) et les États africains et malgache associés (EAMA).

 

A Kinshasa, Anany est membre à part entière du fameux groupe de Binza dont il est un des hommes forts. Ce cercle informel composé des cadres occupant des positions-clés dans l’administration et dans l’armée contrôlent et manipulent à leur gré à la fois le gouvernement et le parlement. Anany est tour à tour sénateur (1960-1963), commissaire général extraordinaire (1962, 1963) enfin ministre (1962-1964). Il est considéré comme un des politiciens les plus honnêtes et les plus capables du pays. Ce travailleur infatigable qui pourtant n’est ni un bon diplomate ni un grand orateur est vu par bien des parlementaires comme le probable successeur de Cyrille Adoula à la primature. D’aucun pense que par sa forte personnalité, il serait probablement disposé à exercer plus d’autorité qu’Adoula. L’homme est connu pour son habileté, son impartialité, son intégrité voire sa rigueur. Il est le seul membre du gouvernement à  avoir été ovationné en novembre 1962 à son entrée dans la Chambre des députés lors de la crise parlementaire. L’homme est un anti-communiste viscéral et un pro-occidental prononcé. A la chute du gouvernement Adoula en 1964, Anany se met provisoirement en retraite de la politique en attendant les jours meilleurs.

Du PNP au PDC

En 1959, la Belgique sent venir le vent du changement dans la colonie après les émeutes du 4 janvier. L’indépendance étant en vue, elle favorise la création d’un parti modéré. Le Parti National du Progrès ainsi créé est une faible coalition de nombreux mouvements locaux. Soupçonné d’être de connivence avec l’administration coloniale, le PNP se discrédite et tombe dans la dérision. Il devient le Parti des Nègres Payés, autrement dit Pene pene na mondele (toujours à côté du Blanc). Même s’il participe sous l’étiquette PNP aux assises de la Table Ronde belgo-congolaise de Bruxelles, Anany se présente comme candidat indépendant aux élections législatives de mai 1960. Pendant longtemps, il a l’embarras du choix entre la circonscription électorale du Moyen-Congo où il est né et celle du Kivu dont il est originaire. Son cœur finit par battre pour la province de ses ancêtres où il finit par être élu sénateur. A la mi 1963, Anany fonde et préside le Parti Démocratique Congolais (PDC) toujours qualifié par ses détracteurs de Parti des Députés Corrompus.

Commissaire général extraordinaire (comextra)

Au début des années 60, le poste de commissaire général extraordinaire est créé par le gouvernement. L’exécutif ne procède à la nomination du comextra que dans des circonstances très graves. Le bouleversement de l’autorité provinciale n’est possible que lorsque l’intérêt de la population l’exige. Ce haut fonctionnaire de la république est nommé par ordonnance pour diriger une province où l’état d’urgence est décrétée par le président de la république. Son rôle est de rétablir l’ordre, la sécurité et l’autorité de l’Etat sur toute son étendue. Le comextra est secondé par deux adjoints et détient tous les pouvoirs civil et militaire. Il remplace pendant cette période trouble le gouverneur dans cette entité territoriale. Il doit mettre en application les mesures exceptionnelles prises par le gouvernement central. Au Katanga par contre, à la reddition de la sécession katangaise, c’est un autre scénario qui est mis à jour. Avec le retour de la paix dans cette province, un Ministre résidant chargé des affaires katangaises est désigné en la personne de Joseph Ileo.

Au début de 1962, le sénateur Anany acquiert une notoriété politique lorsqu'il est nommé à la tête d'une commission d'enquête à la suite des massacres de 13 pilotes italiens à Kindu et des religieux européens à Kongolo. En mai de la même année, il est  nommé comextra pour le Kivu par le président Kasa-Vubu. En octobre 1963, il est de nouveau bombardé commissaire général extraordinaire pour la ville de Léopoldville, tout en continuant d’assumer ses fonctions de ministre de la Défense Nationale

Le ministre et le général

Suite à l’ordonnance n⁰ 102 du 11 juillet 1962, Anany entre au gouvernement. Le premier ministre Adoula lui confie le portefeuille de la Défense nationale. Il doit gérer des dossiers brûlants liés à la sécession katangaise, à la rébellion de Pierre Mulele et à celle des Simba. Anany prend conscience de ce que le pays attend de lui. Nommé à ce poste stratégique dans des moments difficiles pour le pays, le nouveau ministre prend ses marques, profite de sa fonction pour se faire une certaine stature en imposant sa personnalité. Sur le plan hiérarchique, il prend l’ascendant sur le général Mobutu dont il est le patron même si celui-ci est le commandant en chef de l’armée. Dès le début de sa prise de fonction, il affirme son autorité sur le général gagnant ainsi le respect de l’équipe gouvernementale. Le ministre n’attend pas les rapports dans son bureau. Il tâte la réalité de sa fonction et de son rang sur le terrain. Il voyage beaucoup à l’intérieur du pays pour s’enquérir de la situation militaire. Dès la fin de la sécession katangaise, il s’envole pour Elisabethville afin d’inspecter les troupes. En janvier 1964, le ministre se rend au front du Kwilu en compagnie du général Mobutu. Anany prend en charge les opérations anti-mulélistes. Se fondant sur son rapport, le président Kasa-Vubu institue aussitôt l’état d’urgence sur toute l’étendue de cette province. Pendant son passage au ministère de la Défense, c’est lui qui souvent s’adresse à la presse et non le commandant en chef, pour faire le point de la situation militaire dans les zones de conflit. Anany tient les rênes du ministère de la Défense nationale jusqu’au 9 juillet 1964 lorsque le gouvernement Adoula démissionne pour céder sa place au gouvernement de Transition dirigé par Moïse Tshombe.

 

Mort violente

En 1966, Anany n’a aucun mandat politique mais il n’en demeure pas moins être un personnage de premier plan vue les fonctions qu’il a occupées. Son nom se retrouve parmi les conjurés de la Pentecôte. Faussement accusé avec ses trois amis d’infortune d’avoir voulu assassiner les généraux Mobutu, Mulamba et Bobozo pour renverser le régime, il est condamné à mort  par un tribunal militaire d’exception pour "infraction d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État". Il est pendu publiquement sur la Place de la Cité dans l’emplacement actuel du stade des Martyrs. Anany est troisième dans l’ordre des exécutions. Il est mis à mort juste après Kimba et Bamba mais avant Mahamba.

Samuel Malonga

https://www.britishpathe.com/video/VLVA3GSPHPO0OR1DDBGUH3DQIIL2S-CONGO-REPUBLIC-ELISABETHVILLE-CONGOLESE-MINISTER-INSPECTS-TROOPS/query/Republic

 

 

 

 

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S
Erratum:<br /> Il faudrait lire : .... un document de la CIA aujourd'hui déclassifié...
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E
Ba ndeko,<br /> <br /> <br /> <br /> To tangi Bulletin d’information ya Central Américaine sur la déscription ya Jérôme Anany : Homme intègre, sérieux, dévoué na cause ya ekolo na ye mpe makasi na recherche ya ba solutions mpo na ekolo na ye, travailleur acharné etc. Soki ezali boye, pourquoi la même C.I.A. elukaki ko sauver vie na ye te tout en sachant pertinemment bien que Colonel Bangala azali ko agir pour son proper compte et na objectif ya koluka ko gagner sympathie ya Général Bobozo mpo na futur ya carrière na ye? Bangala voulait plus mpo na mutu na ye alingaki ko zala (ou ko leka) lokola ba Génénraux Mobutu na Mulamba.<br /> <br /> Oyo ezali document déclassifié. Mosusu oyo ezali ko autoriser misala mabe, ekotikala kozala déclassifié sika te.<br /> <br /> Anany akufi na likambo ayebi ni mutu ni makolo. Et ti na lelo oyo, ata procès en révision etikala kosalema te! Na miso ya loi, azali condamner mpo na ba faits oyo ezali ya droit commun te, ba faits moko gravissimes passibles na peine capitale. Esengeli ko réparer injustice oyo.<br /> <br /> <br /> Patriotiquement,<br /> <br /> <br /> <br /> Emmanuel Kandolo
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S
Pona nini CIA aluka ko sauver Anany te? Question pertinente. Mais toyebi banso hypocrisie ya ba Occidentaux. Toutefois, selon Jean-Pierre Langellier na livre na ye "Mobutu", Larry Devlin na ambassadeur américain bayebisaki ye a commuer peine yango. Kasi ye alingaki te. Kutu azalaki koboya kokutana na mama Sese po abongola décision na ye te. Toyebi pe bakonzi mingi basengaki ye aboma ba conjurés te notamment président Massamba-Débat, Pape Paul Vi, Président Lindon Johnson na roi Baudouin. Kasi Mobutu azalaki sourd na ba appel nionso ya clémence. Son medecin personnel William Close akendaki kokutana na ye na chambre na ye pe ayebisi bamnesures de grâce oyo bayike basengaki ye. Wana na mesa na ye azalaki kotanga "Le prince" ya Machiavel esika ekomami : "Mieux vaut être craint plutôt qu'être aimé".
C
Jérôme Anany est le grand-père paternel du gardien de butsde l'équipe nationale d'Algérie, Raïs Mbodi...l'entraineur algérien Djamel Belmadi qui se répandait en tout genre contre les "Africains" (les populations subsahariennes dans l'entendement des Arabes)...Belmadi disais-je, doit-être un raciste myope !!!<br /> <br /> RD Congo, mboka ya Anany Jérôme, ezali Libanga ya Talo...<br /> <br /> Claude Kangudie.
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Z
Bonjour claude,<br /> tout à fait ça,le gardien de l'Algerie au mondial en Afrique du sud est le fruit de K(Cobos),fils d'Anany et sa compagne algérienne de l'époque.<br /> Patriotiquement.
K
Merci est pour moi le seul mot que je peux utiliser pour m'adresser à toi SAM quand je lis un article de cette envergure. Moi je me vois d'abord africain né quelque part sur le continent. Maintenant que j'en ai fini avec les servitudes administratives, j'ai le temps de me cultiver. Et là dessus Mbokamosika par vos écrits et ceux de tant d'autres m'aident beaucoup surtout quand l'auteur utilise une communication universelle. Souvent que cela soit en matière de musique, d'histoire ou autres je parle aux enfants et petits enfants de ce je découvre dans ce média, on en discute et c'est vraiment instructif. Je te dis encore merci.
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