L’interview de Nicodème Kabamba à Sekele TV
L’interview de Nicodème Kabamba à Sekele TV
Référence : http://www.mbokamosika.com/2019/08/nicodeme-kabamba-le-geometre-du-foot-congolais.html
Suite à la demande de notre ami Stef Messely et à la suggestion de Messager, nous avions traduit l’interview que Nicodème Kabamba avait accordée à Télé Sekele. Dans cet entretien de près d’une heure, Serpent de Rail parle de sa carrière, de ses projets d’antan et d’aujourd’hui, de son expérience, du souhait de l’entraineur Vidinic et de Kembo qui fut l’homme du match mémorable qui qualifia les Léopards à la Coupe du monde en Allemagne en 1974. Ce jour-là, le kamikaze du foot congolais marqua deux des trois buts qualificatifs.
Nous n’avons pas tenu compte des avis des habitants de Barumbu sur la réhabilitation du terrain Olsen devenu aujourd’hui stade municipal Paul Bonga-Bonga. Nous nous sommes seulement focalisé sur l’ancien capitaine des Léopards vainqueurs de la sixième CAN en Éthiopie en 1968.
Cet entretien sert de supplément à notre article référencié ci-dessus. Nous y avons nous-même tiré quelques informations sur Serpent de Rail pour les besoins de notre publication.
Samuel Malonga
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Marcel Landu : Bonjour, papa Nicodème Kabamba wa Kabengu
Nicodème Kabamba : Bonjour.
Marcel Landu : Nous venons vous voir afin que vous racontiez l’histoire de votre carrière de footballeur aux Congolais. Où avez-vous vu le jour et où avez-vous commencé à jouer ?
Nicodème Kabamba : Je suis né à Likasi ex Jadotville. C’était avant l’indépendance.
J’ai commencé à taper dans le ballon comme tous les jeunes. J’ai fait des progrès. Nous avons fondé Royal sport, une équipe de notre quartier que nous avons réussi à affilier en 2e division à l’Association de football de Likasi. A la fin de la saison, j’ai été recruté par Saint Paul de Lusaka en 1re division. Cette équipe fut fondée par un missionnaire, Père Félix qu’il s’appelait. J’habitais alors au camp Gécamines parce que mon père travaillait dans cette société. La Gécamines avait des équipes de foot reparties en groupes. Il y avait le groupe sud à Lubumbashi, le groupe centre à Likasi et le groupe ouest à Kolwezi. Il y avait 4 équipes pardon 3 équipes dans le camp de l’Union minière. C’est là que je fus déniché pour jouer dans l’équipe du prêtre Félix.
Marcel Landu : Pourquoi portez-vous le surnom de Serpent de Rail ?
Nicodème Kabamba : Ce nom m’a été donné par les admirateurs des équipes des jeunes. Le chemin de fer Lubumbashi-Kamina venait d’être électrifié. La catenaire placée sur le toit de la locomotive faisait des mouvements alternatifs de gauche vers la droite. Ce nom me fut attribué en rapport à ma façon de jouer.
Marcel Landu : Vous faisiez partie de la sélection de Jadotville (Likasi) tout comme celle d’Élisabethville aujourd’hui Lubumbashi ?
Nicodème Kabamba : Bien sûr. Il y avait les sélections de Likasi, de Lubumbashi et de Kolwezi. J’y ai joué dix matches. Vu ma façon de jouer, je fus retenu dans la sélection du Katanga à Élisabethville avant que je ne m’envole pour l’Europe.
Marcel Landu : Le transfert de Nicodème Kabamba a été facilité par un Blanc. Comment s’appelait-il ? Et comment les négociations s’étaient-elles déroulées?
Nicodème Kabamba : Plusieurs recruteurs européens venaient suivre les rencontres livrées par les sélections du Katanga ou de Jadotville. Il y avait un Blanc, monsieur Lohars qui travaillait à la Brasserie du Katanga. Il était aussi membre du Standard de Liège. Comme je faisais d’énormes progrès et que j’étais devenu une vedette, il a négocié avec ce club pour que j’y parte jouer. Dans les choix des Blancs qui s’occupaient de nous, il était hors de question que nous partions jouer dans des équipes flamandes pour éviter les difficultés de la langue. Selon les rumeurs qui circulaient, je devais être transféré à Verviers, une équipe de 1re division dans la province de Liège. Le Blanc de l’Union minière refusa parce que c’était une petite équipe. En réalité, il voulait que je parte dans le club de son choix. Avec monsieur Lohars, ils ont ensemble bouclé mon transfert pour le Standard de Liège.
Marcel Landu : Vous êtes arrivé en Belgique. Les entraînements en Europe étaient-ils semblables à ceux de Likasi ?
Nicodème Kabamba : Pas du tout. A Likasi, nous faisions des tours du terrain et puis nous étions répartis en deux camps pour jouer. A Liège, c’était différent. On était préparé sur les plans physique, technique et tactique. Du côté physique, mon entraîneur a constaté que j’avais un petit torse. Comme j’étais l’avant-centre, il me promit qu’il s’occuperait de moi. Cela voulait dire qu’il avait déjà un plan d’action personnalisé. Pour ma préparation physique, je devais d’abord soulever 50 fois un haltère de 50 kilos. Je n’entrais sur le terrain pour m’entrainer qu’à l’issue de cet exercice. C’était difficile au début, mais je finis par m’accoutumer. Pour l’entraînement individuel, le coach Kalocsay organisait des duels entre les ailiers gauche et droit (les demi-ailes d’aujourd’hui), l’avant-centre et le gardien. L’ailier droit s’avançait avec le ballon jusque sur le point du corner. De là, il faisait un centre aérien afin que le numéro 9 reprenne le ballon soit de la tête, soit de volée devant le gardien. Malgré mon corps emboué, je ne pouvais pas refuser. C’était devenu mon job.
Marcel Landu : En 1961, Standard est champion de Belgique avec Kabamba en son sein.
Nicodème Kabamba : Quand je suis arrivé, j’avais rencontré deux compatriotes qui sont partis en Belgique à partir de Léopoldville. Il s’agit de Paul Bonga-Bonga et de Faustin Nzeza. Mais ce dernier avait délaissé le foot pour les études. A la fin de celles-ci, il était devenu ingénieur. Au retour au pays, il avait même travaillé à la Snel (Société nationale d’électricité, n.d.l.r.). Bonga-Bonga et moi jouions des matches. En 1961, nous avons été champions de Belgique. C’était la fête. Nous avons reçu des cadeaux de la part des équipes qui approvisionnaient Standard en footballeurs.
Marcel Landu : Vous aviez été bons joueurs au Standard de Liège. Mais curieusement une mesure est tombée. Par patriotisme vous êtes rentrés à Léopoldville. Qui avait alors pris cette délicate décision qui vous obligea à quitter vos équipes et revenir au pays ?
Nicodème Kabamba : Avant de répondre à cette question, je voudrais d’abord rappeler que Standard avait ses équipes pépinières. C’est ainsi que je me suis retrouvé parmi les cinq joueurs désignés par le club pour intégrer Union Namur. Nous y sommes restés jusqu’en 1966. En cette même année est tombée la décision gouvernementale. Nous avions eu la visite de l’ancien haut-commissaire aux Sports. A l’époque Ngwenza était le titulaire. Il avait pour adjoints Mwamba François et Njoli. C’est ce dernier qui était venu nous contacter. Nous avions donné notre accord de principe. Il avait aussi pris contact avec nos équipes. Le gouvernement avait payer toutes nos dettes. Mais pourquoi sommes-nous rentrés ? C’était suite à un match international entre les Lions (l’ancienne appellation de l’équipe nationale) et les Black Stars.
Marcel Landu : Les gens avaient beaucoup apprécié votre façon de jouer qui est à la base de votre surnom Serpent de Rail. Mais vous êtes subitement disparu après la CAN et après avoir été sacré champion d’Afrique. La rumeur faisait état de votre départ pour l’Europe. Où étiez-vous réellement parti ? Et pour quoi faire ?
Nicodème Kabamba : En 1968, j’avais 32 ans. J’avais réfléchi sur ma vie après le foot. A cette époque, Kibasa Maliba était ministre de la Jeunesse et Sports (que son âme repose en paix). Son chef de cabinet était Kiungu wa Kumwanza. J’avais appris qu’il y avait des bourses d’études au ministère. Je leur ai posé le problème en leur disant que j’étais âgé et que je ne soutenais plus le rythme des matches, que j’avais réfléchir à mon avenir et aussi que je voulais aider le foot congolais après ma formation d’entraîneur. Le marché était vite conclu. Tout était réglé. Avant mon départ, les Léopards étaient internés au campus de Kinshasa en vue de leur second match contre Santos. Avant cette rencontre, nous sommes allés avec l’équipe nationale en Roumanie. A l’escale de Bruxelles, j’avais demandé l’autorisation de rester un moment en Belgique pour les rejoindre plus tard. Kiungu wa Kumwanza et moi sommes restés dans la capitale belge parce qu’il fallait qu’il retire des frais de mission. Nous sommes partis ensemble avec lui à Liège. J’ai pris mon inscription à l’École de préparation physique qui formait aussi des entraîneurs. Les cours devaient débuter en septembre. Nous étions en 1968. Lorsque la délégation est rentrée de Roumanie, tout marchait bien en ce qui concerne les engagements pris par le ministère pour ma formation, le décaissement des fonds y afférents et son virement dans une banque à Liège. Je gérais moi-même ma bourse. Je me suis convenu avec la banque du montant mensuel que je devais retirer pour mes besoins personnels. Une mauvaise utilisation de ces sommes allait me créer de sérieux ennuis.
Marcel Landu : Dans le cadre de la révolution de la modernité, le gouvernement congolais vient de réhabiliter le terrain Olsen. En tant que champion, ancien footballeur, ancien entraineur, directeur de l’équipe nationale, que pensez-vous de cette initiative et quels sont vos projets ?
Nicodème Kabamba : Le gouverneur de la ville-province de Kinshasa a invité les champions d’Afrique et mundialistes. Son souci est de nous impliquer dans la formation des jeunes. Nous sommes déjà répartis dans différentes municipalités. Je m’occuperai de Barumbu tandis Mange est affecté à la commune de Kinshasa. Nous devons pour ce faire élaborer un bon programme pour le football des jeunes. Ils doivent commencer à jouer dans leurs quartiers. Pour cela, il faudrait mettre en place les équipes des personnes qui vont les former. Cette formation sera suivie de l’apport des encadreurs techniques qui veilleront aux entrainements des équipes. Ceci demande l’implication directe des chefs de quartier. Il faudrait aussi organiser des tournois entres les différents quartiers. De ces tournois sortiront les meilleurs joueurs qui formeront les sélections communales. Celles-ci participeront aux tournois comme celui de Jason Sendwe qui a eu lieu l’année passée mais dont j’ignore le vainqueur. Voilà en bref le programme de la formation de la jeunesse.
Marcel Landu : Les rumeurs circulent sur le nom à donner au stade municipal de Barumbu. Celui de Matete porte le nom de Kembo uba Kembo qui fut un des joueurs que vous avez entraîné dans l’équipe nationale de 1974 championne d’Afrique. Deux noms circulent ici à Barumbu, le vôtre et celui de votre frère Salomon Mange. Vous êtes les deux grands champions qui résident dans cette commune. Les gens veulent savoir lequel de vous deux verra son nom retenu.
Nicodème Kabamba : Au regard de ce que Mange et moi avons fait, je laisse le soin aux autorités de décider du nom qui sera donné au terrain Olsen comme c’est déjà le cas à Matete. Jean Kembo mérite cette reconnaissance. Je suis content pour lui.
Nicodème Kabamba : Vous aviez coacher Kembo qui portait aussi le pseudo de Kamikaze. Au regard de ce qu’il avait fait lors du match Léopards-Maroc, saviez-vous qu’il jouait ainsi ?
Nicodème Kabamba : Je vois le jeu de Kembo car il fut un kamikaze avec qui tout pouvait arriver. Il incombe au seul arbitre la tâche de valider ou pas le but.
Marcel Landu : Léopards – Yougoslavie : 9 à 0. Que s’est-il passé ?
Nicodème Kabamba : Contrairement à ce que les gens ont dit, le souhait de Vidinic était que nous gagnions la rencontre contre son pays d’origine. Cette victoire aurait fait monter sa cote.
Marcel Landu : Comment avez-vous trouvé l’émission Sekele ?
Nicodème Kabamba : Formidable. Je suis très content car j’avais peur avec mon mauvais lingala. Je ne pensais pas tenir jusqu’à la fin de l’émission. Je vous remercie ainsi que les caméramans. Je suis une bibliothèque. J’ai quand même quelque chose à apporter aux jeunes. Car mine de rien, je les ai beaucoup encadrés. D’abord à Lubumbashi Sport où j’ai entrainé les minimes, les juniors et les cadets puis avec Lupopo. J’ai formé les jeunes de l’équipe de Mikishi. A Mbuji-Mayi où j’étais à la Miba, je les ai encore une fois formés en organisant le championnat des quartiers. Voyez-vous, je suis une personne qui se passionne pour eux et qui s’adonne à leur formation. J’avais moi-même été jeune. En comparaison avec ceux d’aujourd’hui, on voit une nette différence. A notre époque, nous jouions avec un ballon en chiffon qui ne bondissait pas et sur lequel était attaché un fil. Lorsqu’on était envoyé par sa mère, chemin faisant, on tapait sur le ballon avec les deux pieds. Cela faisait indirectement partie de notre formation sans qu’on ne le sache.
Marcel Landu : Nous sommes arrivés au terme de notre émission. Nous espérons que nos téléspectateurs ont reçu de bons conseils de notre invité d’aujourd’hui en ce qui concerne la pratique du football.