BAILLY SPINTO OU L’EXTRAORDINAIRE RICHESSE DE LA MUSIQUE IVOIRIENNE
BAILLY SPINTO OU L’EXTRAORDINAIRE RICHESSE DE LA MUSIQUE IVOIRIENNE
Il y’a quelques jours, notre cher Messager rappelait la vocation panafricaine de Mbokamosika. On ne le répètera jamais assez. L’Afrique est à la fois une et multiple. Et nous gagnerons tous à nous connaître davantage.
Car, vu d’Afrique centrale, on n’avait qu’une idée approximative de ce qui se passait, dans les années ‘70- ’80, sur le plan musical dans la partie occidentale du continent. Et pourtant !
Certes et à gros traits, on savait un peu ce qui se passait au Sénégal avec Youssou Ndour comme figure de proue. Du Nigéria, chassée gardée du ‘’High Life’’, on connaissait un peu Prince Mbarga.
Or, pendant ce temps, la scène artistique et musicale ivoirienne bouillonnait. Fait assez rare pour être souligné, Félix Houphouët-Boigny, le ‘’Vieux’’ comme l’appelaient affectueusement les Ivoiriens, ouvrait grandes les portes de son pays aux artistes, comédiens et musiciens étrangers. La Côte d’Ivoire était, au sens propre du terme, le pays de ‘’l’Akwaba’’, ce qui signifie ‘’Bienvenue’’ en twi, langue parlée dans l’est et le sud-est du pays. C’est d’ailleurs la devise-totem là-bas.
Il faut dire que la conjoncture économique s’y prêtait. La Côte d’Ivoire, grâce notamment aux cours mondiaux du café et du cacao, connaissait une insolente santé économique, avec des taux de croissance parfois supérieurs à deux chiffres.
Les artistes étrangers, souvent des grands noms, ne s’y sont pas trompé. Et de partout, ils affluèrent : le grand Manu Dibango à la tête de l’orchestre de la RTI, la chorégraphe camerounaise WereWere Licking, Sam Mangwana et avec lui de nombreux autres musiciens congolais : Bopol Mansyamina, Syran Mbenza, Denis Kasia Lokassa alias Lokassa ya Mbongo, Passi Djo, Dally Kimoko, Théo Blaise Nkounkou, Danos Nyboma et j’en oublie.
LES CHANTEURS IVOIRIENS
Et les Ivoiriens eux-mêmes me direz-vous ? Ils étaient présents et en force, sur fond de rythmes locaux : Ziglibithy et Zouglou. C’était l’époque glorieuse d’Ernesto Djédjé, le roi du Ziglibithy, de François Lougah, de Jimmy Hyacinthe, de l’ancien footballeur Gadji Celi etc…
Une particularité presque unique pour l’époque, l’intromission du reggae qui avait le vent en poupe dans le monde. Les disciples de Jah se nommaient Tangara Speed Ghôda, Seydou Koné plus connu sous le nom d’Alpha Blondy et Kassi Serges. Plus tard, l’Ivoiro-Malien Tiken Jah Fakoly en devint une des icônes et acquit une stature internationale
Les femmes n’étaient pas en reste : Aïcha Koné en était la principale tête d’affiche. Se bousculaient également sur la scène Nayanka Bell, Monique Séka et son tube planétaire ‘’Amiyo’’, Dobet Gnahoré, Chantal Taïba, Reine Pélagie, Joëlle Séka etc …
A dire vrai, pour qui n’a pas vécu dans la Côte d’Ivoire de l’époque, il est difficile d’imaginer l’engouement, la ferveur voire l’hystérie des foules lors des concerts géants organisés au Palais des Congrès de l’Hôtel-Ivoire d’Abidjan.
Idem pour les shows-télévisés, réalisés et déjà parfaitement maîtrisés par une RTI jouissant de moyens techniques impressionnants.
Last but no least, contexte économique aidant, les sponsors, les annonceurs, les grandes firmes, les industriels, les banques et beaucoup de mécènes investissaient des sommes colossales pour la promotion de l’art et de la culture en général ainsi que de la musique en particulier.
ET BAILLY SPINTO SURVINT
C’est dans ce contexte que Bailly Spinto déboule avec fracas. Tel un tsunami, Bailly emporte tout sur son passage.
Galet Bailly Sylvestre (son nom complet) nait (et cela ne s’invente pas) le 31 décembre 1951, la nuit de la Saint Sylvestre, à Treichville, le cœur battant d’Abidjan, d’où son prénom Sylvestre.
Au passage, une autre particularité bien ivoirienne : contrairement aux traditions occidentales ou ailleurs dans le monde, pour décliner une identité, le nom de famille précède souvent le prénom. C’est ainsi qu’on parlera souvent de Guéi Robert plutôt que de Robert Guéi.
Bailly Spinto, lui, débute sa carrière solo en 1979 comme un ouragan. Son premier opus cartonne dans les bacs, s’arrachant comme des petits pains, selon la formule consacrée. Jamais artiste ivoirien n’avait vendu autant de disques.
UN ORGANE VOCAL HORS DU COMMUN
De fait, Spinto, c’était quelqu’un. Spinto, c’était quelque chose. Mais c’était d’abord une voix, hors du commun. Une voix de basse, avec des vocalises incroyablement profondes. Avec un intense crescendo d’une puissance rare. Une voix de gorge qui explosait une fois libérée de ses poumons.
Et Bailly savait jouer de sa voix comme on joue d’un instrument. D’un concert de Bailly, on sortait immanquablement ivre…de sons. Sa voix avait une tessiture si particulière qu’on lui attribua très vite l’appellation ‘’Voix d’or’’. Et pour une fois, ce terme n’était point galvaudé.
Dans le registre vocal, Bailly cochait pleinement la case ‘’crooner’’, celle des grands crooners. Pour les connaisseurs, il surfait sur une octave basse, très basse, anormalement basse.
Contrairement à beaucoup d’autres chanteurs ivoiriens, Bailly Spinto avait choisi le style musical occidental, même s’il chantait en bété, langue largement partagée dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Ses slows, à la fois langoureux et éclatants, étourdissaient, même les plus blasés.
Avec une telle voix, Bailly aurait pu faire une carrière époustouflante dans le Gospel.
En outre, c’était une formidable bête de scène, revêtant des costumes chamarrés et très près du corps, à l’image des artistes africains-américains de l’époque, comme les frères Jackson.
D’ailleurs, de tous les concerts organisés au Palais des Congrès de l’Hôtel-Ivoire d’Abidjan, celui du 9 avril 1983 (un remake musical du légendaire combat de boxe Ali-Foreman de 1974 de Kinshasa), ce concert a offert un duel fantastique entre les deux monstres sacrés de la musique ivoirienne : François Lougah vs Bailly Spinto. Tous ceux qui y ont assisté s’en souviennent encore. Moi, je m’en souviens. J’y étais !
Dès lors, comment s’étonner que, certes bien des années après Pascal Tabu Ley Rochereau, Bailly Spinto fut, en 1999, le premier chanteur ouest-africain à s’être produit sur la mythique scène de l’Olympia de Paris, devant une salle comble et électrisée ? Bailly a également chanté au Zénith de Paris et multiplié les tournées et concerts à travers le monde.
BAILLY SPINTO ETERNEL
Dans cet article, j’ai souvent parlé de lui au passé. Comme si… Et pourtant, toujours sur la brèche, notre homme pétille de vie. Il n’a toujours pas décidé de ranger son micro et répond souvent aux nombreuses sollicitations qui lui parviennent. Il est vrai que ses heures de gloire sont derrière lui.
Au mois de mars dernier, Bailly a fêté ses 45 années de carrière musicale, une véritable prouesse dans ce monde qui va si vite, qui consomme et consume ses artistes comme des Kleenex.
Et dans quelques jours, il franchira, bon pied bon œil, le cap de ses 67 saisons sèches (ou de pluies, c’est selon). Joyeux anniversaire Maestro et longue vie à toi.
Voilà ! Ainsi que j’ai essayé de le faire ressortir, la Côte d’Ivoire a toujours offert un terreau fertile en matière d’art en général (peinture, architecture, sculpture, danse, théâtre, cinéma…), d’écrivains, romanciers et dramaturges de grand talent (Bernard Dadié, Ahmadou Kourouma, Jean-Marie Adiaffi, Isaie Biton, Véronique Tadjo, Marguerite Aboeut, Bandaman Maurice…) et de la musique en particulier. Et elle peut se féliciter d’avoir fait germer de véritables perles musicales parmi lesquelles notre Bailly Spinto.
En conclusion et pour ma part, j’ai la faiblesse de croire que c’était tout sauf un hasard si l’un des plus grands artistes congolais, Jules Presley Shungu Wembadio, alias Papa Wemba, ait rejoint le paradis des artistes, ce sinistre 24 avril 2016, sous nos yeux et en direct, depuis une scène musicale… ivoirienne.
Un clin d’œil du destin et de l’Histoire.
SIMBA NDAYE