L’événement de Genève 2018. Essai d’interprétation
Par Lomomba Emongo
Le dimanche 11 novembre 2018, a eu lieu à Genève, un événement de taille dans la vie politique congolaise. Sept candidats confirmés ou non à l’élection présidentielle du 23 décembre prochain sont parvenus au consensus politique autour d’une candidature unique, portée par M. Martin Fayulu Madidi. Il s’agit de la première réponse d’importance de l’opposition congolaise à la kabilie (entendre tout et tous ceux et celles qui mangent J. Kabila dans la main : l’inutile premier ministre Tshibala et son gouvernement sans consistance, le cartel dénommé le Front Commun pour le Congo, la famille Kabila et ses amis sincères ou intéressés, les pays partenaires du Congo ainsi que les multinationales ayant signé des contrats léonins avec J. Kabila…)
Quel sens donner à cet événement ?
L’expérience congolaise en matière de recherche d’alternance politique au sommet de l’État est riche. Elle est marquée par différentes formes de négociation. En voici quelques indications.
- À l’échelle nationale, le Conclave de Lovanium (août 1961) et la Conférence Nationale Souveraine (1991-1992), pour ne citer que ces deux cas, ont su réunir à chaque fois les forces vives de la nation, essentiellement les partis politiques, les confessions religieuses et la société civile.
- Au plan partisan, les exemples abondent. Notamment le Front de Libération Nationale (FLN) formé en 1963, la Convention Nationale Congolaise (CONACO) regroupée autour de M. Tshombe dès la promulgation de la nouvelle constitution (avril 1965), le Rassemblement de l’Opposition Politique (RASSOP), et bien d’autres. Ce sont à chaque fois les partis politiques soit se réclamant de la même tendance idéologique, soit se présentant comme de la même opposition institutionnelle, soit s’estimant victimes d’un même pouvoir dictatorial.
- Au niveau des individus, je citerai deux cas emblématiques. Au sein de la première législature, on se souviendra des efforts de réconciliation du premier ministre Lumumba et du président Kasavubu en septembre 1960. Dans le cadre de ce qu’on a appelé la guerre de libération, l’histoire retiendra les négociations à bord de l’Outeniqua, navire de guerre sud-africain, entre Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, en 1997.
On pourrait se demander : quel a été le résultat de ces négociations ? Il va sans dire qu’il a toujours été plus que mitigé. Dans tous les cas de figure, autant les négociations elles-mêmes ont systématiquement été orchestrées de l’extérieur du pays, autant leur résultat s’est conformé aux à la volonté et aux intérêts de tout autre que des Congolais à travers une nouvelles marionnette locale.
Qu’ont de spécial la rencontre de Genève (novembre 2018) et son principal résultat : la candidature unique de l’opposition en la personne de Martin Fayulu Madidi ? Entre autres les trois éléments d’analyse que voici.
- Tirant leçon des réussites et, surtout, des échecs du passé, Genève a réussi à articuler les trois degrés de négociations ci-dessus indiqués. Les négociations de Genève auront été nationale, au moins en ceci qu’elles relèvent de l’Accord dit de la Saint-Sylvestre (décembre 2017) qui engage pratiquement l’ensemble des forces vives de la nation. Dans la mesure où la mise en application de cet Accord revient aux politiques, le RASSOP longtemps floué par la kabilie n’aura fait que lui rendre la monnaie de sa pièce ce, dans le cadre même dessiné par la kabilie, à savoir un « processus électoral irréversible » suivant les mots du sieur J. Kabila à la tribune des Nations Unies.
- Dans sa matérialité, Genève a impliqué structurellement sept partis politiques et ou cartels du même ordre. Elle aura été le forum du RASSOP élargi (cf. la présence du transfuge de la « Majorité Présidentielle » fusionnée avec le FCC, Adolphe Muzito). C’est donc d’une rencontre partisane qu’il se sera agi en ce sens précis. Le principe d’unité de l’opposition commande une harmonisation des idéologies, des programmes, des stratégies en vue de gagner les élections générales, donc de la première véritable alternance démocratique en République Démocratique du Congo.
- Toujours dans sa matérialité, Genève a impliqué physiquement sept individus, tous désireux à titre personnel d’accéder à la magistrature suprême le 23 décembre 2018. Ce sont en effet des candidats à l’élection présidentielle qui ont négocié. Il n’est pas facile d’imaginer le choc des égos dans ce forum. D’autant plus que leurs profils sont des plus contrastés : certaines parties prenantes étaient confirmées candidat président de la république, d’autres non ; il en fut dont le poids politique était sans commune mesure avec d’autres à peine débarqué en politique active. l’un ou l’autre partait favoris, tandis que tel ou tel autre faisait pratiquement office de figurant…
Au total, Genève 2018 n’aura pas été plus facile que les tentatives antérieures. Ne serait-ce que parce que les participants congolais se savaient en face d’une dictature non seulement orchestrée de l’extérieur, mais surtout sous-traitée à l’intérieur par un étranger, en l’occurrence le dénommé Joseph Kabila. Et, aussi, parce qu’ils n’ignoraient pas que de leur réussite ou de leur échec dépendrait l’immense espoir outre de sortie du marasme politique ambiant, surtout de la menace sérieuse de balkanisation du pays dont la phase préparatoire d’occupation militaire est pratiquement achevée sous la houlette de la kabilie.
Certains se demanderont pourquoi Martin Fayulu Madidi plutôt qu’un autre ? D’autres voudront savoir comment tel favori n’a pas été plébiscité ? À ces questions somme toute légitimes mais qui ne tirent pas moins en arrière, doivent se substituer d’autres, tournées vers l’avenir. Par exemple : comment M. Faluyu Maidi (MFM) fera-t-il pour maintenir la coalition qui l’a hissé à d’aussi grandes responsabilités ? Comment les signataires malheureux de l’Accord de Genève parviendront-ils à juguler et canaliser le mécontentement et la frustration de leurs militants à la base ? Quelle sera la stratégie électorale du candidat unique sur au moins les trois matières que voici : la nécessité de rassembler tant d’opinions diverses ; le besoin d’acculer l’adversaire Shadary en délicatesse avec l’Union Européenne pour violation des droits humains et au nom du droit au bilan ; l’inévitable bras de fer avec la CENI totalement aux ordres de la kabilie ?
S’il m’était possible de conclure à ce stade, je dirais que l’événement de Genève 2018 constitue le premier pas, celui qui compte, vers le changement. J’ajouterais que ce pas n’aura tout son sens que si sa finalité va au-delà de gagner l’élection présidentielle. En effet, en donnant une impulsion sans doute décisive à la marche vers l’alternance politique à la tête de l’État, Genève 2018 appelle surtout au renouvellement de la donne politique en République Démocratique du Congo. Ce qui implique de gagner aussi les autres élections à la députation nationale et provinciale, afin de donner au nouveau président de la république l’assise politique et démocratique sans laquelle il ne pourra mener à bien son programme politique. Dans le même temps, cela implique de rassurer les deux extrêmes de la politique au Congo-Kinshasa : le peuple aujourd’hui aguerri et plus vigilant que jamais quant au respect de ses droits élémentaires, et les partenaires étrangers du Congo jamais autant sur les dents que lorsqu’il est question de redonner espoir au peuple de ce pays au détriment, si peu soit-il, de leurs colossaux intérêts qui se sont longtemps accommodés à la situation de quasi non-État.
Genève 2018, oui ; mais encore. Tant il reste encore à faire ; à commencer par constituer une équipe électorale au-dessus des contingences partisanes, à la fois polyvalente et compétente dans les diverses matières intéressant la vie nationale dans un Congo déliquescent…