Réflexions sur le sens du mot « étranger » en lingala
Réflexions sur le sens du mot « étranger » en lingala
Une rare photo d'un des enfants de la famille Labie au Congo coiffé d'un casque colonial, entre 1929 et 1963. Un « mbula matari » en miniature !!!
Selon Larousse, un étranger, c’est quelqu’un qui n’a pas la nationalité du pays où il se trouve. Il y a certainement d’autres définitions, mais je ne crois pas qu’elles incluent le sens que Franco donne au mot « mopaya » quand il dit : « Soki nakeyi mboka mosusu mopaya atuni ngai ekolo na ngai » (Si je voyage vers un autre pays et que l’étranger me demande de quel pays je suis originaire,…). Vous voyez que, dans ce vers, l’étranger peut être un sujet qui est dans son propre pays par rapport au visiteur. L’étranger devrait être Franco lui-même et non pas la personne qui veut savoir d’où il est, puisque c’est Franco qui s’est déplacé. Changeons un peu la première proposition dans notre traduction. Franco dit : « Si je me rends à l’étranger et que l’étranger me demande d’où je viens, …. ». Le locatif « à l’étranger », ce n’est pas à l’étranger par rapport à l’agent, mais par rapport à la première personne. Et les mots signifient ce qu’ils signifient dans leur usage. Donc, le mot « mopaya » signifie (1) ressortissant d’un pays autre que celui où il se trouve ; et (2) citoyen d’un pays où il se trouve par rapport au visiteur.
Puis, dans une chanson chantée par Sam Mangwana, les étrangers sont accusés d’être des pompiers pyromanes : « Masenginya ya bapaya epanzi makita/batumbi y’Afrika kaka se bango/baye na sima balobi baboma moto ». Dans ce cas, bapaya signifie tous ceux qui ne sont pas africains, y compris ceux qui ne se sont jamais rendus (physiquement) sur le continent : des individus, mais aussi des institutions ; les Etats Unis, l’Union Soviétique, l’Union Européenne, l’OTAN, le Pacte de Varsovie, Downing Street, Matignon, etc. La chanson, que je n’ai malheureusement pas, commence : « Tongo etani moyi mokomonana te/Mapata etondi likolo londende ezipi mokili/Toyeba te epayi tozali kokende/Mwinda y’Afrika ezangi mafuta » (Il fait jour, mais on ne voit pas le soleil/Le ciel est nuageux et on est couvert par le brouillard/Nous ne savons pas où nous allons/La lampe de l’Afrique est à court de carburant). Le sens que Sam Mangwana attribue au mot « étrangers » est celui qui est sous entendu dans le commentaire de Ngimbi Kalumvweziko au sujet de la « collecte des documents d’archives détenus par les anciens coloniaux et autres voyageurs étrangers », c'est-à-dire, les explorateurs et touristes de tout bord.
Donc, bapaya signifie tous ceux qui ne sont pas africains. Mais, en Afrique du Sud, quand on s’en prend à des « foreigners », c’est tout d’abord des africains non sud-africains. La presse sud-africaine avait de la peine à les appeler « African migrants » et ce matin, pour prouver que ce ne sont pas que des africains, j’ai entendu dire que parmi les gens qui ont été attaqués il y a aussi des pakistanais.
Pour terminer, vous verrez que dans le texte du 27 février 2017 sur Emile Labie, on dit qu’il « décida de s’expatrier ». S’expatrier ? De la Belgique au Congo Belge ? D’un portugais qui se serait rendu en Angola on n’aurait jamais dit qu’il s’était expatrié. Saviez-vous qu’António de Oliveira Salazar interdisait à tout portugais de rapatrier des fonds à la métropole, puisqu’il fallait développer cet autre coin de la patrie portugaise qu’est l’Angola ?
Pedro