NGANGA (FETICHEUR) DANS LE REPERTOIRE DE L’OK JAZZ : DEUX AUTRES EXEMPLES CONCRETS
NGANGA (FETICHEUR) DANS LE REPERTOIRE DE L’OK JAZZ : DEUX AUTRES EXEMPLES CONCRETS
Michel Boyibanda, Franco, Sam Mangwana, Checain, Youlou lors d'un concert populaire à Nsele
Référence : http://www.mbokamosika.com/2018/01/bandoki-na-bondoki-les-sorciers-et-la-sorcellerie.html
Inépuisable sujet que le sorcier ou le féticheur dans l’imaginaire ou le vécu de toutes les sociétés humaines et singulièrement africaines.
Le 26 janvier 2018, notre ami Samuel Malonga y a consacré un excellent article ci-haut référencié que je recommande une nouvelle fois aux Mbokatiers, pour ceux qui ne l’avaient pas lu.
Par contre, l’article ci-dessous n’a pas de caractère sociologique. Il se veut une simple tentative d’exégèse de deux chansons de l’Ok Jazz, parmi des centaines d’autres : ‘’Catherine’’ de Franco et ‘’Ata nayebi’’ de Michel Boyibanda.
Ces deux chansons mettent en exergue les difficultés de deux femmes qui vivent le concubinage et qui sont enclines à utiliser tous les artifices, notamment le recours au nganga, afin de s’approprier l’élu de leur cœur.
Au passage, une remarque d’ordre général : longtemps, très longtemps, lorsque les artistes musiciennes ou chanteuses congolaises se comptaient sur les doigts d’une seule main (Marie Kitoto, Lucie Eyenga…), le vécu des femmes était chanté par des hommes. Une incongruité qu’on ne connait pas en Occident.
Aujourd’hui que plusieurs d’entre elles sont à l’affiche de la scène musicale congolaise, on voit mal une Mbilia Bel, par exemple, chanter les déboires d’un homme dans son foyer, en se mettant à sa place. Une évolution notable qui s’inscrit dans la prise en compte ‘’du genre’’.
Revenons à Catherine dont la conteuse de l’histoire (Marie) est la rivale.
Est-elle la titulaire ? Nul ne le sait. Ce qui est sûr, c’est qu’elle charge Catherine d’emblée : ‘’A koti ndako a nganga po na ngai’’ (elle est entrée dans la maison du sorcier pour moi). ‘’Nionso po mobali a boya ngai’’ (tout çà afin que l’homme me refuse, me répudie). Ici, on peut supposer que Catherine est donc la ‘’madame de la maison’’.
Plus loin, l’auteure affirme : ‘’A memaki suki na nga ya moto’’ (elle a porté au féticheur une poignée de mes cheveux). Comment Catherine a-t-elle obtenu ces cheveux ? L’histoire ne le dit pas. Et cette interrogation aura toute son importance dans l’autre chanson ‘’Ata nayabi’’.
Plus loin encore, elle dit : ‘’Nganga tuni Catho na sala nini’’ (le féticheur demande à Catho que doit-il faire ?). Et c’est là que la sentence tombe, rude, définitive. ‘’Catho alobi nganga boma Marie’’ (Catho rétorque au féticheur : tu dois tuer Marie).
Sur ce, les deux tirades suivantes sont très intéressantes en ce qu’elles montrent que ce féticheur n’est peut-être pas si mauvais que çà. ‘’Nganga a beti maboko atali likolo (le féticheur bat des mains et lève les yeux au ciel). Savoureux !
On imagine le féticheur, adepte du monde de la nuit, prendre le ciel à témoin ‘’Nganga alobi na bomaka te’’ (le féticheur dit qu’il n’a pas l’habitude de tuer). Trop peu pour décourager Catho.
Elle revient à la charge : ‘’Alobi na ngaga tika ko banga. Na kofuta yo mbongo okesenga’’. (Elle dit au féticheur de ne pas avoir peur. Je te donnerai tout l’argent que tu me demanderas).
L’argent ! Instrument de malheur. Au demeurant, on peut se demander, bien naïvement, où et comment ces femmes trouvent tout cet argent à mettre au service du mal.
Mais cette fois, ce nganga ne cède pas aux exigences de Catho : ‘’Nganga pesi Catho kisi ya pansi’’. (Le féticheur n’a donné à Catho (que) le fétiche de l’esprit). Sans doute pour que Marie devienne folle. Mourir ou devenir folle, choix cornélien !
Dans l’autre chanson ‘’Ata nayébi’’,
la situation est beaucoup plus claire : ‘’Ngai Valanta (diminutif de Valentine ?) ata nayebi nionso. Mobali nakolinga azali na mwasi na ye. Na koki kotika te. Na yebi bolingo ezali kosala ngai. Noki na miboma pamba na mabanzo’’. (Moi Valanta, même si je sais que l’homme que j’aime est déjà marié, je ne peux pas laisser tomber. Je sais que c’est l’amour qui me torture, à tel point que je risque de mourir bientôt pour rien).
Le refrain de cette chanson est l’exact reflet de la première, légèrement déformé. ‘’Na koluka nganga’’ (Je vais chercher un féticheur). ‘’Nganga sengi ngai mbongo na mazanka ya Tété mbanda na ngai’’.
Ici, l’affaire se corse. (Le féticheur me demande de l’argent ainsi que des ongles de Tété, ma rivale). ‘’Kasi ndenge nini baninga, na zua mazanka ya Tété. Baninga balobi na gai dis yoka. Luka camarade ya Tété o fut aye mbongo lokola avocat. A sala nionso toluka’’. Mais comment vais-je faire mes amies pour obtenir les ongles de Tété. Mes amies me dirent alors : cherche une copine de Tété. Tu la payes comme on paie un avocat. Elle fera tout pour trouver (les ongles).
Au passage, l’image de l’avocat en prend un sale coup.
Cette chronique de la vie qui passe recèle plusieurs constantes : le nganga, toujours présent, plus ou moins maléfique, le concubinage ou la polygamie avec leurs cohortes de jalousies et de coups fourrés, l’argent également omni-présent pour soudoyer, enfin les ami(e)s pour dispenser les bons mais souvent les mauvais conseils.
Comme la plupart des groupes congolais de l’époque, l’Ok Jazz a souvent peint de superbes tableaux sociétaux. Aujourd’hui, on peut regretter que ces chansons à thème et à texte soient de plus en plus rares.
Pour la petite histoire et pour le fun, il convient de bien tendre l’oreille. Dans ‘’Ata nayebi’’, Vicky Longomba fait la première voix et Michel Boyibanda, le compositeur, la deuxième. Sauf dans les deux chutes du couplet où ils intervertissent les voix : ‘’Noki na miboma pamba na mabanzo’’, ‘’Tikao na landa mouvement ya bolingo’’. Une coquetterie que ces artistes accomplis pouvaient se permettre.
SIMBA NDAYE