Celui qui n’a qui vu que son pays est comparable à quelqu’un qui n’a lu que la première page d’un livre a écrit
lord Byron. Voilà pourquoi nous nous embarquons cette fois pour un très long voyage, un déplacement de plusieurs milliers de kilomètres. Voilà pourquoi nous allons à la rencontre des autres
cultures pour comprendre le monde, pour mieux comprendre l´Afrique dans sa diversité et nous imprégner de ses valeurs intrinsèques. Nous ne serons ni à Kinshasa ni à Brazzaville ni
encore moins à Luanda. Nous allons quitter momentanément notre terroir. Nous serons toujours en Afrique mais dans sa partie ouest. Nous allons traverser le temps et remonter dans le passé.
Nous avons rendez-vous avec la culture négro-africaine. Nous avons rendez-vous avec Ikeja la banlieue de Lagos. Nous avons rendez-vous avec le Nigeria. Les bribes d´anglais appris
à l´école nous permettrons de communiquer avec nos autres frères de race venus de par le monde. Nous sommes en l’an 1977. C’est l’heure du Festac, le Festival mondial des arts nègres. Tous
les artistes de la Nation nègre seront présents. Certains viendront de très loin. Ceux des Amériques et des Antilles traverseront cet océan qui des siècles durant a servi de principale
autoroute et de cimetière lors du transport inhumain de leurs ancêtres vers les terres inhospitalières du nouveau monde. Beaucoup parmi eux découvriront la terre-continent pour la première
fois. Ils découvriront leurs racines. Le contact sera fort, poignant. Les Noirs du monde entier se retrouveront ensemble pour partager ce qui les a toujours unis à savoir la
culture. Le Congo y sera présent avec ses grosses pointures. Luambo sera là accompagné de Mpongo Love. Tabu Ley sera là en compagnie de ses jeunes frères et collègues du Tout choc anti choc
Zaïko Langa Langa. L’Afrisa chantera du Zaïko et le Zaïko se confondra avec l’Afrisa. Sera là aussi le Ballet national. Du moins, nous verrons le déhanchement de Mbuta Mashakado et de Nyoka
Nlongo faire jeu égal avec le légendaire jeu des jambes de l’idole d’ébène. Du moins la belle voix de Likinga Rédo et la guitare de Manuaku dans cet Afrisa au festival nous feront vivre
au rythme du pays natal. Du moins la voix de Josky Kiambukuta, de Michel Boyibanda et des autres raisonneront dans le ciel de Lagos. Mais il y aura aussi les danseurs, les danseuses et les
lumières dans cette chorégraphie à vous couper le souffle qui n’aura rien à envier à celle de Maurice Béjart. Comme ce sera sublime ! Le spectacle aura lieu au Square Tafawa Balewa et au
National Theatre. L´Afrisa de Tabu Ley avec à ses bagages quelques musiciens de Zaïko sans oublier l’OK Jazz feront danser la Nation nègre toute entière au rythme de leurs chansons. Le
ballet national saura soulever l’assistance par son savoir faire. Nous retiendrons notre haleine. Dans l´ambiance de ces nuits nigérianes, nous vivrons aux sons et à la cadence de nos chaudes
soirées kinoises constellées. Les étoiles de notre art seront bien présentes. Le tableau sera complet. Et rien ne sera plus beau que ce moment immémorial où les Noirs du monde entier
fraterniseront dans une communion artistique indicible malgré les barrières linguistiques. Dans le déferlement des passions, dans l´évocation des souvenirs du passé, dans l´harmonie des
chorégraphies, dans le recueillement des retrouvailles et dans la rencontre de tous ses enfants éparpillés, l´Afrique aura gagné son pari de terre-mère et de terre-première. L´anglais, le
français, le portugais et l´espagnol se mélangeront avec les langues, les coutumes et les traditions millénaires africaines, la culture se créolisera le temps du festival. Sûrement,
quand les lampions se seront éteints, nous rentrerons au pays avec dans le cœur la présence de toutes les voix entendues, de toutes les figures rencontrées, de tous les moments
forts partagés avec nos frères venus des quatre coins de la Nation nègre. Moments inoubliables, rencontres insolites. Lorsque la grande fête de la culture noir sera terminée en apothéose et
que le Festac aura vécu ; lorsque l’Afrique noire aura relevé ce défi culturel et étalé sa grandeur, elle aura conquis le monde. Dans un océan de ferveur et de prières, les sons et les
rythmes enivrants de notre art auront résonné dans toutes les oreilles de cette marée noire venue du monde noir à l´écoute de la musique noire jouée par l´homme noir en Afrique noire.
Samuel Malonga