UN DIMANCHE DE FOOT A LA RADIO
UN DIMANCHE DE FOOT A LA RADIO
Le dimanche, jour de repos hebdomadaire, avait toujours été un jour de prédilection pour le sport en général. Les différentes activités sportives y étaient organisées : football, basketball, volley, cyclisme. Le Congo sportif se réveillait très tôt le matin et se couchait très tard le soir nonobstant le fait que le lundi était un jour de travail, le premier de la semaine. A l’époque, les férus du ballon rond se rendaient au stade du 20 Mai pour assister aux derbys qui y étaient programmés. Comme toujours, depuis que le football est pratiqué en RDC, les gens se battaient pour avoir une place sur les gradins afin de suivre la partie. Lors des grandes rencontres, le stade se remplissaient dès les premières heures de l’après-midi alors que la rencontre elle-même ne débutait d’habitude que vers 16 heures. Chacune des trois grandes équipes kinoises avait son pourtour et sa tribune latérale. Leurs fanatiques ne se mélangeaient que dans les deux tribunes neutres à savoir la tribune centrale et la tribune d’honneur. Et de ses trois pourtours séparés par une ligne de démarcation invisible, seul celui de V. Club avait un nom : Moscou et ceux qui y prenaient place n’étaient autres que des Moscovites. De toutes les équipes kinoises, seuls les Dauphins noirs avaient un harangueur qu’on appelait Ambassadeur. Il passait de Moscou aux tribunes latérales véclubiennes pour chauffer ses hommes afin de créer un esprit d’optimisme en attendant la rencontre. Bien avant le début du match, le décor était déjà planté avec les supporters et les petits vendeurs d’un côté, l’armada des journalistes et des photographes de l’autre, sans oublier les officiels et les forces de l’ordre sur les dents. Il ne restait plus qu’attendre l’heure de vérité. Sur les gradins surchauffés, il n’y avait l’unanimité que lorsque les Léopards jouaient. Mais, quand c’étaient les équipes qui s’opposaient entre elles dans le cadre de la Coupe du Zaïre et du championnat local, il y avait toujours de l’électricité en l’air.
Lucien Tshimpumpu avec Mbono le Sorcier
Pour les auditeurs de la Voix du Zaïre, l’après-midi du jour d’une rencontre capitale au stade commençait d’abord par les infos de la mi-journée à 12.30 heures. Puis arrivait Place aux vedettes de Simon Lungela Ndiangani. Fait quasiment rare à l’époque, cette émission musicale avait son propre générique. Vers 15 heures, la radio proposait le Concert des auditeurs présenté par le couple Mateta Kanda (MK) et Kalubi Mati (KM). Ce n’était qu’à la fin des disques demandés que le sport prenait ses droits. Le Congo était alors prêt à suivre en direct le derby du jour. Le journaliste au studio plantait à son tour le décor pour les auditeurs de l’OZRT à l’attente du match puis passait l’antenne à ses collègues au stade qui aussitôt prenaient le relais avec en sourdine la clameur du public. Il y avait toujours cinq langues. D’entrée de jeu, chaque reporter prenait le micro à son tour et y décrivait l’ambiance, l’affluence en donnant une estimation sur le nombre de spectateurs, parlait brièvement de l’arbitre (Lotoma. Libambu…). Ces grands messieurs de la radio savaient manier le verbe et avaient la sympathie des auditeurs. Ils faisaient vivre le grand événement qui se déroulait devant eux. Ils avaient surtout du talent à revendre ces chevaliers congolais du micro. Il y avait souvent Paul Basunga Nzinga, Lucien Tshimpumpu wa Tshimpumpu, Max Ngbanzo la Mangalé, Louis-Gérard Ekwalanga, Kabasongo Nyuni, Kabulo mwana Kabulo pour le français ; Wanani wa Nesinda pour le kikongo dit munu kutuba, Ambroise Mosete Mbombo pour le lingala, Musampa et Eugène Luboya ( ?) pour le tshiluba. La rencontre débutait souvent en chapeau de roue et dans un jeu de passe- passe, ils se relayaient avec brio au micro. Tshimpumpu avec son bel accent parisien commentait: « La balle monte, monte, bondit deux fois au milieu du terrain. Elle est contrôlée par Kilasu qui sert Ndaye qui tire… Et c’est le but, c’est le but ». La réalisation du buteur était toujours saluée par un bruit assourdissant car le stade se levait comme un seul homme. Chaque reporter y mettait de sa propre touche. Ekwalanga disait toujours « monsieur l’albitre …» quand il s’agissait de l’homme en noir sur le terrain. Micro en main, Wanani s’éclatait : « Ntinu Saïo ke na balle, yandi ke pesa na docteur Mwamba. Balle ke buabu na malu ya mbuta Ngoma …Yamba Durango …non…. »
Ghislain-Joseph Gabio (Photo Mwinda)
Le journaliste de swahili commençait toujours par « asante sana ». Puis, il commentait la partie pour ses chers « ndugu wapenzi ». Il donnait aussi le score : « moja kwa sifuri … mbili kwa moja. … ». Pour une balle bien servie mais mal exploitée, il s’exclamait : « Nani kule ?... » Le temps leur étant imparti et aussi pour souffler un peu, il passait le micro à son confrère de tshiluba qui continuait sur la même lancée: « ndundu udinende, …ndundu kumpala… ». A l’instar de ses autres collègues, Eugène Luboya ( ?) donnait aussi le score pour ses auditeurs : « tshijengu ». Mais de tous les journalistes de la radio, le plus extravaguant fut sans conteste Ambroise Mosete : « Eeh bandeko ba bolingo … motopi mosili kobanda ». Chaque fois qu’une équipe était menée au marquoir, il ne cessait-il de marteler sa célèbre formule : « Mafuta ma ntaba baliaka yango tango ezali moto ». Rien qu’à suivre son reportage, on savait pour quelle formation il roulait. Il savait afficher sa préférence. On pouvait apercevoir ses penchants pour le Daring. Bien des fois quand son équipe chérie était menacée dans le rectangle, il parlait d’autres choses, de l’ambiance au stade par exemple, en lieu et place du déroulement du jeu à cet instant précis. Il n’était pas rare de ne pas comprendre avec lui au micro comment Daring venait d’encaisser un but si ce n’est par le bruit provoqué par le « wooooooo » prolongé du public. Au moment où notre journaliste distrayait ses auditeurs alors que le danger se faisait menaçant devant les buts imaniens, il n’était pas rare qu’il reprenne le cours normal du reportage quand Daring contre-attaquait et enfin crier tout d’un coup « Kakok … » quand celui-ci venait de manquer son action. Il avait l’habitude d’avaler la dernière voyelle du nom de ce grand joueur. Il continuait : « …dieu du baro ( entendez dieu de ballon) aza na balle, apesi Waoul (entendez Raoul). Quand, c’était un coup franc pour Imana boté par ce spécialiste des balles arrêtées que fut Kabamba, il disait souvent : « Géomètre a carculé (entendez calculer) …kasi balle eleki na lipaka toyi….Pour une balle qui passait juste à côté des buts, il employait souvent le mot qu’il avait lui-même inventé : « milliamètre » (entendez millimètre) ». Il avait même francisé le nom de Gento qu’il appelait affectueusement Ki-bon-ge au lieu de Ki-bo-nge. Quant à Mange, il utilisait souvent son post-nom Mabaya pour le nommer. On savait que quand Lungwila Wayne tenait Kakoko dans ses bottes, Etepe avait du mal à bien s’exprimer sur le terrain. Mosete dit à ce propos : « Bandeko boyebi moto oyo ameli masanga ya lungwila ndenge azalaka, Lungwila azali kobeta ndenge wana ». Bien des fois, il laissait ses auditeurs dans le flou et dans le suspens. Il n’est vraiment pas aisé d’être journaliste et fanatique à la fois. C’est comme si on était juge et partie. De son fils vitaclubien Willy Mosete, il en fit un joueur immaculé. Tupamaros dans le sang, il aurait obliger son rejeton à jouer pour son équipe chérie. N´était-il pas cent pour cent imanien? Sacré vieux Mosete. Notons pour la petite histoire que Louis-Gérard Ekwalanga lors de la période du bannissement des prénoms chrétiens serait devenu Ekwalanga Aboma Soda. Mais devant le mécontentement et la colère des hommes en armes pour qui ce post-nom fut une véritable provocation, le journaliste se rétracta et changea à nouveau son nom qui devint Ekwalanga Monga Likita.
Kakoko
Etepe, Adelard Mayanga, Libambu (arbitre), Caleb Djamany, Raoul Kidumu et Jeff Kibonge lors de
l’ouverture
du festival du film africain à Charleroi en novembre 2010.
Quand par la magie de la technique, on tournait le bouton de son poste pour traverser le pool par les ondes et se retrouver à Brazzaville le temps d’un match, c’était une autre paire de manche. On était alors sur la Voix de la Révolution Congolaise. Que ce soit Congo Sport ancêtre des Diables-Rouges qui joue, ou les grandes formations comme le Club Athlétique Renaissance Aiglons (CARA), Diables-Noirs yaka dia mama, Patronage Sainte Anne ou même l’Etoile du Congo, des journalistes vous tenaient en haleine. Des reporters en français, en lingala et en munu kutuba faisaient vivre les péripéties du match en cours. « Il y a du tao tao à Révolution » disait chaque fois Ghislain-Joseph Gabio souvent secondé par Germain Bisset. Les auditeurs se délectaient de leur reportage en direct. A l’époque, le Congo Brazza regorgeait des joueurs de talent. Tenez. Au stade Tata Raphaël en 1966, les Diables-Noirs créèrent la surprise en battant Dragons par deux buts à zéro, alors qu’au match aller à Brazzaville les monstres s’imposèrent par 2-1. Si Bikoudi alias Bistouri était l’artisan des deux buts des diablotins, c’est sans conteste Germain Dzabana qui fut l´homme-orchestre des Brazzavillois. Sous le coup de l´émerveillement, Germain Bisset lui colla sur le champ un nouveau sobriquet, lui qui pourtant portait déjà les surnoms de Jadot, Mwana Moké et Nivaquine pour ses dribles qui laissaient un goût amer à ses adversaires. Ce jour-là, Bisset lui donna de nouveaux galons en le bombardant Maréchal. En 1972, lors de la finale de la CAN à Yaoundé, le duo Gabio-Bisset s´était époumoné pour saluer la victoire inattendue des Diables-Rouges
Samuel Malonga
ozrt-Mobutu
Place aux vedettes, par Soki Vangu et Bella Bella