Satonge
Satonge
Il était journaliste au quotidien du matin Salongo. Il signait ses articles du nom de Satonge alors que bien avant l’indépendance son illustre prédécesseur Mobutu avait Debanzy comme nom de plume. Ses écrits n’étaient pas longs mais plutôt de très courtes tailles. Ses articles étaient toujours placés dans un petit coin du quotidien, dans un encadré. Il m’amusait beaucoup par son style qui lui collait bien à la peau et qui lui était propre. En peu de mots, il racontait toute une histoire. En tout cas, il était philosophe à sa manière. Il écrivait dans un style particulier des petites choses de la vie, narrait à sa manière les anecdotes qui nourrissait l’actualité. Alors que le temps d’une soirée culturelle dite de la Zaïroise s’était constitué le mythique African Jazz, alors que les trois ténors de cet ensemble avaient promis des surprises à leurs fans, Satonge écrivit à peu près en ces termes : « Messieurs, nous savons que vous êtes Callé, Docteur ou Tabou en musique, mais de grâce tenez vos promesses.» Ce qui me plaisait souvent chez lui , c’était la façon dont il s’amusait à franciser les noms de ses compatriotes en pleine période de la rigoureuse politique de recours à l’authenticité. Quelle idée géniale ! Il décomposait en syllabes les nouveaux patronymes qu’il trouvait, les différentes syllabes étant séparées par un trait d’union. Les noms qu’ils fabriquaient étaient des homonymes des noms réels des personnes ou des places. Il avait une sacrée manie d’écrire les noms de ses compatriotes. En tout cas, il s’arrangeait à orthographier tous les patronymes zaïrois à sa manière et de façon singulière qui m’amusait bien.
Tenez , par exemple, il écrivait Qui-bas-c’est-quai pour Kimbanseke, Makala était Ma-cas-là, Kidumu devenait Qui-doux-mou, Kabasele était Cas-bas-c’est-lait, enfin Lobby- l’eau pour Lobilo. Sacré Satongé ! Chaque fois que j’achetais le journal Salongo, je m’empressais de chercher le petit encadré où se trouvait l’article de ce chevalier de la plume que j’estimais tant. Un vrai régal ! Alors que mon frère aîné collectionnait ses écrits. Pour rien au monde, je ne voulais manquer sa lecture. En mimant ses habitudes bourrées de blagues, ce journaliste m’avait influencé sans m’en rendre compte. Et pour faire rire mes amis, je déformais l’écriture de leurs patronymes à la Satonge. Je n’ai connu ni son vrai nom, ni l’homme qui se déguisait sous ce pseudonyme. Mais qui se cachait-il derrière cette merveilleuse plume ? Qui était-il réellement ? Voilà une énigme que je ne trouverai sûrement jamais à moins qu’un mbokatier qui l’avait bien connu nous parle de lui. A tout seigneur tout honneur. Pour lui rendre hommage et comme pour le taquiner, j’avais voulu aussi lui rendre la monnaie de la pièce en lui croquant à son tour son nom de plume. Et ce n’est pas Ça-thon-gué qui se plaindra.
Samuel Malonga
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