Lumumba et la ville de Kinshasa
Tout au long de l’histoire du Congo indépendant, un nom a toujours été évoqué. C’est celui de Lumumba. Il a laissé par la tragédie de sa vie, une empreinte indélébile dans la vie politique de notre pays. Nous avons alors essayé de comprendre pourquoi le Premier ministre avait connu des problèmes dans la capitale. Pourquoi pour certaines personnes son nom était synonyme de mensonge. S’était-il vraiment et réellement intégré dans la plus grande ville du pays? Parlait-il le patois kinois ? Pourquoi était-il si haï jusqu’au point d’être livré en pâture à ses pires ennemis ? Qu’a-t-il fait de mal pour souffrir le martyr ? Avait-il toujours tord ? Avait-il toujours raison ? Était-il un extrémiste ? Avait-il commis des fautes politiques ? Était-il arrogant ? Était-il opportun de sa part d’offenser la Belgique le 30 juin 1960 ? Était-il un démagogue populiste ou un vrai pragmatique ? Pourquoi cet acharnement sur sa personne ? Avait-il dépassé la ligne rouge ? Calculait-il lui- même les risques qu’il prenait ? Savait-il les dangers qu’il courait ? Pourquoi était-il considéré comme un ennemi ? Était-il leur ennemi ? Était-il bien conseillé ? Suivait-il seulement ce que lui disait ses conseillers ? Avait-il sciemment accepter de mourir en martyr afin que son sang unisse les Congolais autour de son idéal et de sa personne? Était-il un visionnaire ou un simple forçat de la politique ? Qu’en est-il aujourd’hui de ses idées ? Que pouvons-nous dire de son bref passage à la tête du tout premier gouvernement ? Nous nous sommes posé bien de ces questions difficiles à répondre d’autant plus que la figure de Lumumba tout comme celle de Nelson Mandela est entrée dans la légende. Nous avons essayé de comprendre. En vain. Le leader historique du MNC ne débarqua à Léopoldville qu’en 1957 c’est-à- dire trois ans seulement avant l’accession du pays à l’indépendance. Il arriva en terre étrangère, ennemie? Sur place, il rencontra des concurrents sérieux, tous en quête du pouvoir comme lui ; tous aussi comme lui obsédé par l’idée d’écrire une page de l’histoire du Congo. Un des ses amis belges lui avait dit un jour que pour la course au pouvoir suprême, il avait peu de chance de réussir. Car Léopoldville appartenait aux hommes du terroir que furent Kasa-Vubu, Mobutu, Bolikango et les autres. Ils étaient chez eux , dans leurs propres pénates. Que lui à peine arrivé, allait avoir du mal à se faire accepter et à s’imposer. Lumumba n’avait jamais été populaire dans la capitale où il était perçu comme un arriviste par les politiciens de la place. C’est Stanleyville, à 1.500 km de la capitale qui fut son fief. Et c’est en connaissance de cause qu’il voulait à tout prix rejoindre ses partisans dans cette ville lors de son ultime échappée. A Kinshasa sa réussite, son dynamisme débordant et sa fougue lui ont créé beaucoup d’ennemis et ont même provoqué sa chute, sa traversée du désert et sa disparition précoce. A Léopoldville tout lui était hostile ou presque. Il avait entretenu des relations difficiles avec la capitale. L’opposition farouche tirait à boulet rouge sur lui lorsqu’il était devenu Premier ministre ; les leaders des principaux groupes ethniques (Kongo, Bangala, Luba, Yaka sans oublier ceux du Katanga) ne le portaient pas dans leur cœur; l’Eglise catholique redoutait sa laïcité tenace et sa menace de lui enlever le contrôle de l’Université Lovanium ; les trois principaux syndicats de l’époque à savoir l’UNTC, la FGTK et l’APIC l’attaquaient férocement ; enfin les deux plus grands quotidiens qu’étaient Courrier d’Afrique et Présence Congolaise étaient anti-lumumbistes. Pour enfoncer le clou, le 2 septembre 1960, l’ONU mit à sa charge la responsabilité des horreurs commises par l’Armée nationale à Bakwanga lorsque celle-ci matait la sécession du Sud-Kasaï menée par Kalonji. Et pour cause. L’homme dérangeait par sa verve oratoire et par ses idées qualifiées de gauchistes ainsi que par sa ténacité à renverser les tendances contraires. Sa vie politique avait été un mythe. Sa fin horrible avait été un drame pour le pays. L’homme avait été plus fort que sa propre volonté et était au-dessus de la mêlée politique congolaise. Lumumba a transmit son nom à la postérité qui seule le jugera décemment. Personnage mystique et incompris, trahi et traqué de toute part, arrêté et battu comme un vulgaire bandit, sa mort l’a agrandi et l’a fait glorieusement entrer au panthéon universel où reposent ces illustres personnes qui font l’histoire. Notre héros national dont l’ombre plane depuis toujours sur le fond de notre conscience collective y est en tout cas entré par la grande porte.
Samuel Malonga