LE RAVITAILLEMENT DE LA VILLE DE KINSHASA
LE RAVITAILLEMENT DE LA VILLE DE KINSHASA
Nous poursuivons notre récit sur les merveilles de Lipopo ya Banganga, Kin la belle, Kin Malebo, Kin kiese. Cette fois, nous voulons nous attarder spécialement sur le ravitaillement de cette ville-province à l’époque. Comme je l’avais bien souligné dans un des articles précédents, Kinshasa, ville des commérages, de colportage, cité d’ambiance était une ville joyeuse. La vie était belle et les gens mangeaient à leur faim. Souvenez-vous de la belle époque d’Otraco (Office de transports Coloniaux) devenu Onatra (Office national des transports) en 1971 par la magie de l’authenticité? L’Otraco avec sa grande flotte fluviale composée des bateaux courriers tels qu’I.T.B. Kokolo, Colonel Tshatshi, colonel Ebeya, Major Vangu, capitaine Sakaroni déversait des tonnes de marchandises à Kinshasa. Les commerçants apportaient à bord des bateaux, des cossettes de manioc, des poissons frais ou fumés, viandes fraiches ou fumées, des chèvres, des porcs, de la volaille, des légumes, des fruits, du riz, des arachides et autres). Ces produits vivriers de première nécessité existent encore aujourd’hui dans les différentes provinces du pays et atteignent Kinshasa difficilement par manque de moyens de transports. Comme le stipule un principe économique «Ce qui est rare coûte cher», le prix pour le peu qui arrive à Kinshasa prend l’ascenseur et les gens meurent de faim. Le problème crucial demeure celui des voies de communication ou les moyens de transport pour évacuer la production agricole vers les grands centres urbains. Il y a beaucoup de poissons dans le Mayindombe, dans le Lac Tanganyika et dans la province de l’Équateur. Comment les acheminer à Kinshasa par exemple?
Ces mêmes bateaux ramenaient à l’intérieur du pays les produits industriels tels que du pain, du sel, du savon pour la lessive et le bain, des biscuits, des bonbons, des allumettes, de la bière des industries brassicoles de Kinshasa (Skol, Primus, Polar, Fanta, Coca-Cola, Bako). Permettez-moi de vous raconter cette petite anecdote. Lorsque j’étais tout petit à l’intérieur du pays où j’ai grandi, on nous apprenait que chaque lettre dans le mot Skol et Polar a une signification. Skol = Solo (S) Kasavubu (K) Obomi (O) Lumumba (L) tandis que pour Polar = Police (P) Okanga (O) Lumumba (L) Abebisi (A) révolution (R). Est-ce que c’était vari ou un simple canular? A vous de réagir.
Le voyage par bateau sur le majestueux fleuve Zaïre était fantastique. Il y avait des bars, des restaurants et on savourait la bonne musique, on buvait, on dansait jusqu’aux petites heures du matin. Tous ceux qui ont fait le voyage Kisangani, Ilebo, Bandundu ville, Mbandaka Kinshasa par bateau peuvent nous rappeler leurs bons souvenirs. Et puis, il y avait moins d’accidents qu’aujourd’hui depuis que les baleinières ont supplanté les bateaux.
Partir de Kinshasa pour Kikwit en auto n’était qu’une simple excursion, une affaire d’une heure et demie sur l’asphalte de la route nationale numéro 2. Les Kinois allaient passer leurs fins de semaine à KKT, d’autres faisaient parfois un aller-retour. On mangeait les Maboke à Nsele et on ramenait des ananas, du pondu, des mikungu (légume très prisé dans le Bandundu). Répondant à la question «Comment comptes-tu résoudre le problème de la famine à Kinshasa», question que lui posait un journaliste lorsqu’il était nommé premier ministre en remplacement du premier ministre élu de la CNS, Mungulu Diaka Koda Kombo n’a pas hésité un seul instant à jouer sa comédie en en lui rétorquant qu’il déverserait des containers des mikungu dans la ville de Kinshasa pour que les Kinois mangent à leur faim. Sur la route nationale numéro 2 ou par train, on recevait la production agricole du Bas-Congo ou les produits sortant du port de Matadi (Mabundu ya rouge, poulets Wilki et Pluvera…). Tenez qu’à l’époque les Mpiodi (chinchards) n’existaient pas. Les Kinois mangeaient trois fois par jour et jetaient le reste de la nourriture pour les chiens et les chats qui d’ailleurs étaient en très bonne santé. On n’avait aucun souci du lendemain. Aujourd’hui c’est le gon unique. Les chiens et les chats voire même les fous ne trouvent plus rien dans les poubelles. Il faut serrer la ceinture pour ne manger qu’une seule fois le soir. Un ami m’a téléphoné pour me faire remarquer que chaque jour qui passe, il doit perforer les trous de sa ceinture parce qu’il maigrit sans cesse. Le petit déjeuner a disparu dans certains foyers et c’est devenu un luxe. Prendre du pain le matin est devenu un luxe pour certains foyers étant donné que dans certaines familles, le petit déjeuner se prend avec les Bikedi (morceau de manioc sec trempé dans l’eau puis grillé à l’huile de palme) pour remplacer du pain. Les fonctionnaires ainsi que les travailleurs des entreprises publiques et privées étaient payés régulièrement. Certains touchaient même la quinzaine. Aujourd’hui, le Kinois de façon générale, n’arrive plus à s’acheter un sac de manioc, une boîte de lait en poudre ou un sachet de sucre pour sa famille. Même pas certains employés de l’administration publique. La farine de manioc se vend en Sakombi, la fameuse unité de mesure introduite par Sakombi lorsqu’il était gouverneur de la ville de Kinshasa. A Lubumbashi, on l’appelle le Mbeketi. Le pain se vend parfois en tartine pour certains indigents qui sont incapables de l’acheter en entier. Ceux qui ont vécu à l’époque de Kin la belle sont demeurés nostalgiques. Ils espèrent toujours un changement tel que prophétisé par Antoine Moundanda dans sa chanson «Ata ndele mokili ekobaluka». Ce changement ne devra pas s’opérer seulement à l’avenir. C’est peut-être le temps présent par rapport au passé glorieux que nous venons d’évoquer. Certains Mbokatiers me taxeront de nostalgique, de mélancolique ou de louangeur des temps anciens. Certes! Il sied de se référer parfois au passé pour scruter l’avenir, pour nous orienter ou pour voir dans quelle direction nous devons cheminer? Quand on mange bien, on dort bien, on pense à son avenir et on devient créatif. La grande équation maintenant pour le Kinois, c’est comment trouver à manger, comment s’habiller, comment se rendre au travail... La solution la plus facile réside dans l’escroquerie, la prostitution, le vol et que sais-je encore. Si ceux qui vont travailler du 1er au 30 sont impayés durant 9 mois, comment voulez-vous qu’on finisse avec des telles pratiques. Dans ce pays, «Kobeta libanga», entendez la débrouillardise paie mieux que le travail ordinaire.
ZÉPHYRIN KIRIKA NKUMU ASSANA