Le mariage Dragon-Daring
Le derby entre les deux équipes a fait couler beaucoup d’encre et de salive pour le fait que l’équipe rouge-or prenait toujours le dessus sur les vert-blanc. Quelle que soit la situation, Dragons même mené parvenait toujours à renverser la situation en sa faveur. Et cela pendant plusieurs années. Le mariage étant scellé, Daring était devenu l’épouse fidèle de Dragons. Les faits remontent paraît-il en 1964. Lors d’un match très disputé entre les deux formations, Eugène de Dragons se fractura le tibia. Evacué par les secouristes, un joueur d’Imana aurait par mégarde ou par maladresse utilisé son maillot pour bander la jambe du dragonman fracturé. Entre les mains des monstres, cette tenue de couleur vert-blanc fut plus tard acheminé dans des « laboratoires » mystiques des féticheurs. L’influence occulte selon les superstitieux y a été pour beaucoup. Trahi par erreur par un des siens, Daring était illico vendu à Dragons. Et dès lors, les vert-blanc étaient entre les mains des sang et or ; dès lors, cette équipe perdait toujours devant les monstres, quelles que soient
les performances de ses athlètes ; quelle que soit l’année ou les circonstances. Le mariage venait d’être scellé par les marabouts. Ces défaites à répétition étaient devenues la préoccupation première des dirigeants du Daring. Comment sortir des griffes des monstres ? Arriverons-nous un jour à renverser la tendance ? Arriverons-nous à mettre un terme à cette série interrompue des défaites successives ? Ces questions chatouillaient les méninges des dirigeants imaniens. Lors d’une énième rencontre, feu François Bila alias Bilaf était le président. Il était décidé à mener son équipe chérie à cette victoire hypothétique tant attendue. Ce dimanche-là, tout de blanc vêtu, pantalon taille basse, il descendit fièrement de sa belle voiture Mustang pour suivre le derby à la tribune et galvaniser ses troupes. La partie était longtemps engagée et le score final était encore vierge. Imana espérait faire un grand pas avec ce nul. Mais dans les toutes dernières minutes, sur une attaque des monstres, le prince Philippe Mvukani reprit magistralement de la tête une balle haute et fit mouche. Lucarne. Il venait ainsi de marquer l’unique but de la partie. Dragons gagna le match par un but à zéro. La tradition était respectée et le Daring rentra aux vestiaires la queue entre les pattes. Bilaf qui croyait dur comme fer au miracle était plus que déçu. Maigre consolation, l’équipe avait tenu tête. Elle a perdu sur un score étriqué presqu’à la limite du temps règlementaire. Le match a failli être un nul qui pour le Daring aurait été synonyme de victoire après toutes ces défaites à répétition. En 1968, tout fraîchement sorti de l’adolescence, un jeune de 18 ans transfuge de Racing, nommé Manu Kakoko dit dieu de ballon, faisait ses premiers pas dans Daring au poste d’ailier gauche. Il avait un drible désarçonnant, un bon tir de gauche, un merveilleux jeu des jambes. En réalité, il était un faux gaucher mais un véritable droitier et un vrai chasseur des buts. Avec le soutien indispensable à ses côtés du routinier Raoul Kidumu, le duo était promis à un bel avenir et les équipes adverses avaient tout à craindre. Cette année-là, Freddy Mulongo était l’entraîneur des vert-blanc. Battra Dragons ou pas ? La joute était très disputée. A cause d’un but validé par l’arbitre mais contesté par Daring, les joueurs d’Imana refusèrent de continuer la partie et quittèrent la pelouse sous les pleurs de Kakoko qui les suppliait de
Emmanuel Kakoko dit dieu de ballon
continuer à se battre jusqu’au dernier coup de sifflet. L’entraîneur Mulongo vint calmer le « dieu » resté seul sur le terrain alors que tous ses coéquipiers avaient déjà regagné les vestiaires. Sur la photo publiée le jour suivant par le quotidien Le progrès sous le titre « Les larmes d’un dieu », on pouvait voir Manu Kakoko les yeux larmoyants soutenu pas son entraîneur. Le miracle tant attendu ne s’était pas réalisé. Et Daring perdit de nouveau cette joute comme le voulait la tradition entretenue depuis la fracture d’Eugène.
Puis vint Jonas Mukamba qui prit les rênes de la direction de l’équipe. La rencontre passionnelle contre Dragons pointait à l’horizon. Le jour tant attendu arriva baigné de crainte, des doutes mais aussi d’espoir renouvelé pour les daringmans. Comme d’habitude, comme toujours et cela depuis plusieurs années, le stade Tata Raphaël était plein à craquer. Dès le début, Daring annonça les couleurs. Sur un coup franc accordé aux vert-blanc, Kakoko se chargea de la sentence. Son boulet de canon termina sa course sur le ventre de Major qui commença à rouler de douleur sur la pelouse. L’infortuné défenseur de Dragons était à peine évacué que Kakoko qui de nouveau hérita d’une bonne balle marqua le premier but. Puis, il y eut un deuxième, puis un troisième, enfin un quatrième. Le marquoir indiquait le score de quatre buts à zéro pour l’équipe chère à Mukamba. Magie Mafuala de Dragons tenta de se frayer un chemin. Mais aucun joueur de son équipe ne parvint à percer le mur en béton construit par la défense imanienne. Le match se termina sur ce score sans appel. A l’époque le mot « mangenda » n’était pas encore utilisé, mais c’en était bien un. Les défaites successives depuis la fracture d’Eugène venaient d’être vengées. Alors que les Tupamaros fêtaient cette « première » victoire sur les rouge et or, qui battus n’avaient pas eu le temps de sourire. Leurs fans vidaient les lieux en silence. Kakoko, l’homme du match, l’homme par qui cette victoire était venue marqua à lui seul trois buts. « un but pour chaque K» écrira même un journaliste. Il ira encourager Mafuala abattu. Il venait non seulement de mouiller son maillot mais par son talent et son engagement , il venait aussi d’ écrire l’une des plus belles pages de l’histoire de sa vie de footballeur. Il venait de faire d’une pierre deux coups. Le divorce était consommé et le football congolais en avait pris acte. Leo ndjo leo ! La joie avait changé de camp, la victoire aussi. C’était la chaleur tropicale chez les Tupamaros et le froid glacial chez les monstres et ce pour la première fois depuis bien longtemps. L’affront venait d’être lavé et de quelle manière !
A la tête du Daring, Mukamba connut son heure de gloire. Car c’est sous sa présidence que l’impensable était devenu possible, faisable. Il avait réalisé l’irréalisable. Impossible n’était donc pas le vieux Jonas. Lui qui par sa hargne venait de réparer l’irréparable n’était plus le même. Les Tupamaros venaient de lui donner une nouvelle naissance. Une épithète fut collée au patronyme de celui qui permit au Daring de battre Dragons. Pour les supporters qui attendaient impatiemment, mais à bout des nerfs, ce moment magique depuis des années, le président venait de renaître. Plus que jamais, il était devenu Mukamba Sukisa.
Samuel Malonga