La République du Zaïre
Le 27 octobre 1971, après le conclave du MPR à N’Sele, Madrandele qui pour quelque temps se prénommait encore Prosper avant de se post nommer Tanzi pour l’éternité prit la parole en sa qualité de Directeur du Bureau politique et porte-parole du parti unique. Il n’avait pas manqué des mots clairs pour rendre public les décisions prises la veille par les instances qui dirigeaient le pays d’une main de fer. Il avait rendez-vous avec l’histoire. L’heure était grave et de sa petite voix fine il dit : « … La RDC devient la république du Zaïre. Le drapeau change, l’hymne national change. La province du Kongo Central devient la province du Bas-Zaïre, la province Orientale devient la province du Haut-Zaïre… ». Puis aussitôt dit aussitôt fait comme par un coup de baguette magique dont seule la politique connaît le secret, tout un peuple non consulté passa du statut de Congolais à celui de Zaïrois. Tout comme le 30 juin 1960, il était passé de l’état de Belgo-congolais à celui de Congolais tout court. Plus tard dans la foulée des changements annoncés une nouvelle carte d´identité fut mis en circulation. Elle était de couleur verte, celle du parti-Etat. Le mot monsieur étant banni, ce nouveau document s’appelait donc carte d’identité pour citoyen raccourcit par la population en carte pour citoyen. La nouvelle appellation Zaïre inspira nos artistes-musiciens (en l´occurrence Tabu Ley et Luambo Makiadi) qui à l´époque se distinguèrent par des compositions on ne peut plus patriotiques. Une de ces chansons dites révolutionnaires était balancée chaque jour sur les ondes de la radio à la fin des infos de la mi-journée. Qui ne se rappelle plus de la fameuse carte mayi ya pondu frappée du flambeau de la révolution zaïroise authentique? Tout le monde même les étrangers pouvait l´avoir au prix de quelques billets de banque pour éviter des tracas surtout nocturnes. On pouvait se la procurer sans problème dûment signée et cachetée, pas au guichet de la maison de zone mais dans les domiciles des employés de la municipalité ou chez certains coopérateurs. Car à la cité s´était installée une véritable administration parallèle. Ces fonctionnaires mal payés pouvaient même frapper votre carte pour citoyen du sceau portant l’inscription a voté pour vous prémunir des contrôles incessants de la maréchaussée au cas où vous ne vous êtes pas présenté au bureau de vote le jour des élections organisées par le MPR qui n’aiment pas les abstentionnistes. Les cartes pour citoyen volées ou ramassées ( ?) se faisaient une nouvelle toilette avant d’être à nouveau rempli au marqueur noir avec l’identité d’une autre personne. L’administration était bourrée des faussaires qui imitant les signatures de leurs chefs signaient les documents officiels en leur lieu et à leur place. L’enregistrement de leur numéro n’était ni nécessaire ni exigé ni souhaité par l’Etat. Combien y en avaient-ils en circulation dans tout le pays ? Personne ne le saura. Sûrement que ces cartes pour citoyen étaient imprimées par millions sans que cet argent ne serve pour les besoins du pays. Sauf que chacun était obligé de l´avoir en permanence sur soi. Gare surtout aux noctambules qui se faisaient accompagner de leurs copines ou qui ne possédaient pas le précieux sésame au sortir des bars, des cinés ou des boîtes de nuit. Les mazanda et les djime-djime ne faisaient pas de quartier. Eux qui ne vivaient que par et pour la rançon n’épargnaient personne. Dans les différentes communes et à la faveur de l´obscurité, certains agents de l’ordre ( ?) se cachaient dans des coins sombres parfois derrière les murs pour surprendre les contrevenants c´est-à-dire ceux qui n´avaient pas de mayi ya pondu avec eux. Bien des gens fuyaient pour ne pas se faire attraper par cette meute sans foi ni loi. Les gendarmes assoiffés d´argent interpelaient les noctambules : « Eh ! mulakisa mukanda ». Quand tout était en ordre, les citoyens agents ne s’arrêtaient pas là. Ils fouillaient parfois sans aménagement en disant à leurs victimes: « muzali na biloko mabe ? Muyebi, bisu muzali kuluka kaka biloko mabe. Quand on n´avait pas sa carte d´identité et que l´on avait pas non plu de quoi pour payer sa liberté immédiatement on se voyait dire: « Mukangami, mukeyi , mukulala lelo na cachot ». Ces prétendus biloko mabe tant recherchés par ces voleurs en uniforme n´étaient autre chose que les billets du zaïre monnaie frappés de l´effigie du Guide. Celui qui en avait en était dépossédé sur le champ. Ceux qui ne pouvaient pas payer étaient nuitamment conduits sous bonne escorte et sans état d´âme à la zone où ils étaient enfermés comme des vulgaires voyous dans des cachots insalubres ou à la permanence des agents de la CADR. Leur libération n’était possible qu’après paiement d’une amende empochée par le commandant. Bien des jeunes filles étaient violées lors de ces détentions arbitraires. Les éléments de la JMPR et les gendarmes qui se haïssaient faisaient des rondes nocturnes, non pas pour défendre ou pour surveiller les acquis du mobutisme mais pour chercher de quoi vivre à l’abri des regards indiscrets. Ce n´était pas pour protéger leurs concitoyens mais pour arrondir sournoisement leur maigre fin du mois. Le pauvre citoyen zaïrois était devenu la victime de la révolution et la proie des agents mués en prédateurs alors qu’ils étaient censés le protéger. Après avoir rançonné les passants toute la nuit, le citoyen lizanda ne devait pas non plus oublier son commandant. Celui-là même qui par magnanimité lui avait donné l’occasion fortuite par cette fructueuse ronde, nocturne fut-elle, d’avoir un peu de madesu ya bana pour le lendemain. Le commandant avait droit à sa part du gâteau. Sinon… A l´époque de la carte mayi ya pondu, au plus fort de la révolution mobutiste, les rues se transformaient la nuit en minuscules gares à péage où les malheureux citoyens (sur)exploités jusqu’à la moelle des os devraient payer des espèces sonnantes et trébuchantes pour pouvoir continuer leur chemin. Et les agents devenus péagistes de nos routes s’en donnaient à cœur joie dans l’indifférence la plus totale de leur hiérarchie. La carte verte au flambeau illuminant la nation MPR n´avait en tout cas pas éclairé les nuits chaudes des citoyens zaïrois. Elle les avait au contraire sacrifiés sur l’autel de la révolution et du folklore. L’authenticité, elle, avait noyé dans l’illusion des danses et des slogans creux les rêves et les aspirations de tout un peuple. Le Zaïrois était étranger au pays de ses propres ancêtres. Quand aux Congolais actuels, ils attendent impatiemment depuis 1997 la sortie d’une nouvelle carte d’identité.
Samuel Malonga
,par FRANCO et l'OK-JAzz