4 janvier 1959 (suite et fin)
Traqué par la Force publique, Kasa-Vubu disparaît à Léopoldville
Le meeting de l’Abako n’a pas eu lieu, les partisans étaient mécontents et Léopoldville était en ébullition. Des supporters de V-Club qui revenaient du stade déçus après la défaite de leur équipe face à Mikado s’y sont mêlés. Ce fut alors l’embrasement total. Les forces de l’ordre n’hésitèrent pas de tirer sur les manifestants. Les échauffourées firent 59 morts selon les colons et 120 selon l’Abako dont les leaders furent les uns après les autres appréhendés. Mais leur président, Kasa-Vubu avait disparu. Ce dimanche 4 janvier 1959, le roi Kasa prit la fuite. Où était-il caché? Lui qui n’était que le président d’une simple association culturelle devint tout d’un coup l’homme le plus recherché du Congo, l’ennemi public numéro un. Tout d’un coup, avec des barricades et des check-point Léopoldville devint comme une ville assiégée. Après avoir joué au chat et à la souris, et surtout après avoir erré dans tous les sens, Kasa-Vubu finit par se rendre aux autorités coloniales après 4 jours de clandestinité. Suivez le film de cette journée mouvementée pour le futur président du Congo tel que racontée par le professeur Tshilombo. Nous avons ajouté des photos pour rendre cet événement encore plus vivant.
Samuel Malonga
Quand il quitte l’Ymca, le dimanche 4 janvier 1959, après avoir décommandé la réunion de l’Abako, Kasa-Vubu se rend calmement chez lui, de l’autre côté de l’avenue Prince Baudouin, l’actuelle avenue Kasa-Vubu. Derrière lui, la violence va éclater, le sang coule et Léopoldville s’embrase. Tous les leaders de l’Abako sont recherchés activement par l’Armée. Kasa-Vubu disparaît pendant quatre jours. Il est introuvable
Le mythe se crée autour des forces occultes du « Roi Kasa », capable de se rendre invisible. La réalité était plutôt simple : Kasa-Vubu s’était caché et avait changé plusieurs fois des lieux, partant de Léo II (Kintambo) à Yolo, vers Kimwenza. Fatigué, il va se résoudre à Rifflart de se rendre. Incroyable fugue du futur président de la République.
Arrestation de Joseph Kasa-Vubu sous bonne escorte
VERS LEO II
Après avoir prononcé son bref discours devant la foule surexcitée à la Place Ymca, Kasa-Vubu rentre chez lui, en face de la Place Ymca. Il se confie à son épouse : « ils sont mécontents, mais je les ai calmés ». Ayant enlevé sa veste et sa cravate, il se dirige à pieds vers son bureau de la Commune de Dendale (l’actuelle commune de Kasa-Vubu). En débouchant sur l’actuel rond-point Gambela, il est surpris par l’extrême agitation de la foule. Un de ses amis le reconnaît, et le prend à bord de sa voiture pour l’amener en catastrophe vers un quartier africain éloigné du centre de la ville, Léo II. Kasa-Vubu se résout à se rapprocher de chez lui.
En prenant l’avenue Prince Baudouin, depuis Léo II, il est ramené, en passant par Bandal et Mboka-Sika (Ngiri-Ngiri), chez un autre ami à Foncobel (l’actuel Kimbangu). Foncobel est en flammes, les magasins des Portugais, Juifs, Grecs sont pillés rageusement et incendiés. Le quartier n’était pas encore totalement bouclé par l’armée.
Le lundi 5 janvier, Kasa-Vubu tente de rentrer chez lui, mais il aperçoit depuis sa cachette un groupe de militaires tirant en l’air sur l’avenue Prince Baudouin. Il craint d’être abattu, et reste chez ses hôtes. Le mardi 6 janvier, la situation évolue dangereusement, Foncobel est en train d’être occupé systématiquement par la Force publique pour mettre fin aux pillages.
ABBE LOYA
Kasa-Vubu quitte sa planque pour se rendre chez le bourgmestre Pinzi, qui habite non loin de là. Il y est aussitôt rejoint par Diomi. Tous deux ont très peur, ils lui apprennent l’arrestation de principaux leaders de l’Abako. Kasa-Vubu sent que ses deux collègues de l’Abako seraient prêts à le trahir. Alors, il leur demande de lui trouver une voiture. Cela étant fait, il les quitte, sans leur dire où il devait se rendre. Il ira en réalité non loin de là, chez les parents de l’abbé Loya, à Yolo-Nord. Heureusement, l’abbé est présent. Ce sont des vieux amis, ils s’embrassent.
Kasa-Vubu demande à son ami d’aller à la Commune, s’il y avait quelques papiers à signer. L’abbé reviendra très déprimé, l’armée est partout. Il apprend en plus que Kasa-Vubu est activement recherché. Il recommande à Kasa-Vubu de ne pas sortir. Kasa-Vubu s’y terre toute la journée du 6 janvier. Les deux amis apprennent que l’armée commence à investir Yolo. Kasa-Vubu veut éviter à son ami d’être arrêté avec lui. Kasa-Vubu se résout à atteindre son fief du Bas-Congo, mais comment faire. L’abbé lui propose de lui prêter une soutane, et d’enduire son visage très clair et ses mains de la cendre. Au soir du 7 janvier, les deux amis vêtus des soutanes roulent sur l’avenue Bay-Pass en traversant Lemba, vers l’Université Lovanium, (Unikin). Du fait du profond respect qu’inspirent les prêtres, ils passent sans heurts tous les barrages dressés par l’Armée. Ils vont se séparer à la bifurcation qui mène vers l’Université et les Cliniques universitaires.
VERS KIMWENZA
En ce mercredi soir, Kasa-Vubu ôte sa soutane et sa chemise blanche qui risquent d’être très visibles. Il les enroule dans un paquet serré. Pour marcher assez aisément, il retire ses chaussures. De temps en temps, il se jette hors de la route pour se cacher quand passe un blindé militaire. Dans ce manège là, il va tomber dans un trou, et aura difficile à s’en extraire. Ayant dépassé le campus, et toute la brousse de l’actuel Kindele, il se dirige vers la mission de Kimwenza, avec l’intention de rejoindre la voie ferrée vers Matadi. Face à un barrage à la mission même, il remet sa soutane et ses souliers. Aux soldats qui l’interrogent, il affirme rentrer à la mission. Sa voix fluette, et son air d’ancien séminariste, en plus de la soutane convainquent les militaires. Etant arrivé à la gare de Kimwenza, il s’engage sur la voie ferrée, mais plus de 20 km plus loin, il est exténué, mort de faim et de fatigue. Il approche d’une maison de cantonnier et frappe. Personne ne répond. Tout le monde a peur, et se terre. A bout de force, il s’assied à l’abri du mur, ôte sa soutane et chaussures, et s’assoupit pendant quelques heures.
Joseph Kasa-Vubu et certains leaders de l´Abako devant les juges après les événements du 4 janvier 1959.
DECISION DE SE RENDRE
A l’aube, il reprend sa route le long de la voie ferrée. Malheureusement, il s’est trompé de direction. Il n’est pas en train d’aller vers le Bas-Congo, mais il revient à Léopoldville, et se retrouve à Rifflart. En ce jeudi 8 janvier, les avions militaires font des rotations dans le ciel, tout est bouclé. Les passants commencent à remarquer bizarrement cet étrange «abbé » au visage et mains salis, dont la soutane est maculée et déchirée. Il va frapper chez un ami. Il est midi. Celui-ci l’informe que l’armée venait à peine de perquisitionner le quartier. Les avions ne cessent de tourner au-dessus. Une autre patrouille est prévue pour l’après-midi. Kasa-Vubu sent le danger se rapprocher dangereusement, en plus il fait déjà une forte fièvre. Alors, il décide de se rendre ; au lieu d’être arrêté comme un malfrat.
Ayant rassemblé ses derniers forces, il se remet à marcher vers le pont Matete. De là, il prend un taxi. La voiture est arrêtée plusieurs fois aux barrages, le long du boulevard Leopold II (actuel Lumumba). Kasa-Vubu exhibe ses papiers, heureusement les militaires paraissent ne pas savoir lire. Le taxi approche de la résidence de Kasa-Vubu, et le dépose. Kasa-Vubu règle la note, et recommande au chauffeur : «Mon ami, filez vite. Sinon, vous serez impliqué dans une affaire que vous ne connaissez pas».
Sa maison est ceinturée par une forte présence militaire. Il se présente calmement auprès d’un policier gardant la porte, et leur dit, comme si de rien n’était : «S’il vous plaît, voulez-vous m’ouvrir ?» On le fait entrer. Les policiers téléphonent au Commissariat, d’où deux commissaires font irruption, et l’amènent au commissariat central ; ensuite auprès du procureur-général Lafontaine. Acheminé au camp Léopold (Kokolo), il sera gardé dans une petite cellule. Son procès, avec d’autres leaders de l’Abako va s’ouvrir le 23 janvier. Il sera défendu par Maître Croquez et Van Bilsen : ses futurs conseillers comme chef de l’Etat.
TSHILOMBO MUNYENGAYI,
Assistant à la faculté de droit à l’UNIKIN in Le Potentiel