Comment devint-on Simba?
En réaction à la " suite du supplice de Jean-Pierre", Dodo a fouillé dans les archives et nous a fait parvenir un document de
1964 décrivant comment devenait-on Simba.
Comment on devint Simba?
Les rituels d’immunisation étaient composés de trois éléments bien distincts et ayant chacun une fonction différente:
(1) le baptême ou cérémonie d’initiation à renouveler éventuellement sous des formes simplifiées;
(2) les fétiches, amulettes ou gri-gri constitués
d’objets d’origine très diverses,
et enfin
(3) un code de conduite très précis et contraignant, garantissant l’efficacité des deux premiers éléments.
Le baptême ou cérémonie d’initiation existe dans toutes les sociétés sous des formes plus ou moins compliquées. Chez les Simba il consistait en aspersion d’eau appellée Mai Mulele, en scarifications sur le front et le corps. Les plaies étaient enduites d’un produit mélangé à du chanvre. Il était administré par un homme ou une femme agée appelés Docteur ou Monganga, dont c’était la seule fonction.
Des objets fétiches, souvent emballés dans des lianes, étaient remis au moment du baptême. Ils étaient portés sur le corp ou cou, au bras et poignets, au jambes, sur le torse pour protéger la poitrine. La nature des objets était très variée: plantes, ossements, cendre, débris du corps humain. Les fétiches avaient un prix variant selon leur efficacité. Ils pouvaient être acquis en dehors du baptême. Le premier baptême revêt un caractère solennel. Il a lieu dans un local clos à l’abri du regard des civils. Il comporte les scarifications et l’épreuve de la machette: le "docteur" frappe sur la poitrine du nouveau Simba pour démontrer l’efficacité de l’immunisation. Pour renouveler l’immunisation - en cas de blessure ou de désobéissance au code de bonne conduite - seule l’aspersion avec de l’eau magique suffit. Ce baptême-là peut être administré collectivement en public, et parfois sur les lieux même des combats.
La fonction de l’initiation ou du premier baptême est double: d’abord faire
entrer le candidat dans la société totalement fermée des Simba, close comme une secte ou une société secrète. Tous les combattants doivent s’y soumettre, même Olenga, même ceux qui ne
combattent pas comme Soumialot parce qu’il y a risque d’attaques aériennes.
A l’intérieur de la société Simba les différences ethniques, sociales ou d’âge sont censées être abolies. Une seule coupure existe et elle est totale. Elle oppose l’ensemble des Simba aux
civils, y compris les autorités politiques rebelles qui n’ont pas été baptisées. L’entrée dans la société Simba par le rituel du baptême a pour effet spectaculaire de transformer brutalement
l’individu. Il ne connaît plus ses amis; les parents deviennent des étrangers; les nouveaux Simba rencontrés dans la rue ont l’air absents ou hostiles aux civils. Ce phénomène d’aliénation au
sens littéral du terme, se rencontre aujourd’hui dans certaines sectes.
La deuxième fonction du baptème et des Dawa est de persuader le nouveau Simba qu’il est invulnérable, que les balles ennemies ne peuvent l’atteindre parce qu’elles se changent en eau, ou mieux encore qu’elles retournent comme un boomerang frapper l’adversaire qui les a tirés. L’efficacité de l’immunisation est totale lorsque l’adversaire croit également à la supériorité magique des Simba. Il évite de viser les Simba qui avancent sans autre protection que leur Dawa de peur d’être atteint en retour. Il lache ses rafales d’armes automatiques en l’air et constate que les Simba ne tombent pas... ils sont donc invulnérables. La débandade est inévitable. Les Simba de leur côté font la même constatation: leur Dawa est efficace puisqu’ils ne sont pas touchés par les rafales adverses et la nouvelle étonnante se répand de part et d’autre.
Pour résister aux Simba il faut donc ne pas croire à la supériorité de leur magie; deux catégories de personnes n’y croient pas. D’abord, les guerriers de groupes ethniques réputés pour la puissance supérieure de leur Dawa et de leurs docteurs: Warega du Maniema, Bahemba de Kongolo, Basongye du Lomami, Ekonda de la forêt du Sankuru. Ils ont souvent arrêté sans combattre la progression des Simba dans tout le Sud de la zone rebelle. Deux pattes de chèvres croisées au milieu d’une chemin suffisaient à interdire la passage en territoire Songye.
Une autre catégorie de combattants n’y croyaient pas: les mercenaires et les
colons. Ils arrêtèrent les Simba à Beni et Bukavu et à Lisala dans l’Equateur.
(Extrait de " Du Congo 1964 au Zaire 1997")