Les tendances au sein des orchestres kinois
Les groupes musicaux congolais sont le plus souvent le théâtre des mouvements insurrectionnels qui bien des fois mettent leur survie en danger. Des artistes quittent individuellement ou parfois en groupe leurs orchestres pour manifester leur indignation. Parfois aussi, auréolées par un certain succès, certaines vedettes s’en vont tenter leur chance pour devenir à leur tour leur propre patron. Ne dit-on pas qui ne risque rien n’a rien ?
Dans les groupes musicaux surgissent fréquemment des problèmes liés au salaire, au refus du patron de répondre aux désidérata de ses employés, au non-respect des promesses données. Parfois aussi, l’arrogance du patron est bien des fois à la base des mécontentements. Dans ce cas précis, ceux qui sont lésés partent frapper ailleurs ou créent carrément des nouveaux groupes. Cette maladie devenue endémique a pourri la vie musicale congolaise gangrenée par des polémiques de tout genre, des conflits internes et des querelles à répétition.
Les orchestres congolais sont de vraies poudrières qui explosent lorsque les problèmes latents remontent à la surface. A l’exception de l’Empire Bakuba, il n’y a des groupes qui n’aient été épargnés par ce fléau. Des comportements indécents sont à la base des sous-groupes dans les groupes, des tendances dans les orchestres qui sont l’expression d’un grand malaise. Voici une ébauche de ces départs intempestifs qui ont secoué la musique congolaise.
Les Quatre garçons dans le vent
Vers 1969-1970, quatre garçons dans la vingtaine se sont retrouvés par le hasard de la vie dans un même orchestre. La proximité aidant, ils se lient d’amitié et finissent par s’appeler ″Les quatre garçons dans le vent″. Le but affiché est de vivre pleinement en profitant de leur jeunesse. Ils sont beaux, élégants, écrivent de jolies chansons, maîtrisent à la perfection leurs instruments et leur art. Ce sont de vrais professionnels de musique. Le petit club d’amis se compose d’un chanteur (Paul Ndombe), d’un saxophoniste (Deyesse Empompo) et de deux guitaristes (Attel Mbumba et Michelino Mavatiku). Ces artistes-musiciens ont du talent à revendre.
Les quatre inséparables copains sont souvent ensemble, en musique comme en privé. Ils se connaissent bien et se passent entre eux leurs petits secrets. Le succès de leurs performances musicales les accompagnent partout. En 1972, une crise éclate au sein de l’Afrisa International. En parfait désaccord avec Rochereau leur patron, les Quatre garçons dans le vent, décident de s’en aller. Il semble que l’idée soit venue d’Attel qui en aurait fait part à ses pairs du club. Si les trois autres acquiescent, Michelino qui est aussi sur le départ traîne les pieds, résiste à la tentation de partir, désiste en dernière minute et décide finalement de rester. Ndombe, Attel Mbumba et Empompo s’en vont former l’Afrizam (African Zaïre Music) sans lui. En guise de récompense pour cette fidélité affichée, Tabu Ley le promeut guitariste lead en remplacement de son ami Attel. Si Mavatiku est devenu guitariste soliste dans l’Afrisa, dans l’Afrizam fraîchement créé par contre Ndombe étant chanteur devient la tête d’affiche. S’en suivent une série des diatribes que les deux groupes se jettent sur la figure pour ponctuer cette séparation douloureuse.
Trio ZODEMI
Au début des années 70, Zozo Amba, de Négro Succès, Deyesse Empompo de l’Afrisa et Michelino de l’Afrisa s’accordent dans leur projet. Ils vont expérimenter un ensemble musical d’enregistrement dont les structures jetteront peut-être les bases d’un vrai orchestre si toutes les conditions sont réunies. Les trois artistes veulent mettre leur expérience et leur expertise pour leur propre compte. Des chansons qu’ils larguent sur le marché du disques permettent d’espérer.
Mais la joie n'est que de courte durée. Le groupe se disloque aussi vite qu’il a été mis à jour. Zozo disparait de l’espace musical tandis que ces deux autres acolytes regagnent l’Afrisa qu’ils n’avaient d’ailleurs officiellement pas quitté. Le temps de sortir quelques singles et de disparaître, le premier trio musical d’après l’indépendance aura vécu.
Sosoliso de troço MADJESI
De tous les trois, Max Sinatra qui avec le temps deviendra Saak Sakoul, est le premier à intégrer Vévé. Lorsque plus tard, Djeskain et Mario se joignent au groupe, ils forment déjà un redoutable trio qui se fait parler de lui. Les trois poulains n’ont-ils dynamisé l’attaque chant ? Verckys Kiamuangana peut s’enorgueillir d’avoir des chanteurs bouillants qui chantent et dansent bien, qui emballent le public. Ce n’est pas pour rien qu’on leur a donné le surnom d’attaque Bazooka, exactement comme cette lance-roquettes américaine qui détruisaient les chars allemands pendant le seconde guerre mondiale.
Avec le temps, les trois chanteurs remarquent que leurs intérêts ne sont plus en harmonie avec ceux de Verckys. L’argent fait tourner la tête au patron qui comme le dit Djeskain a commencé à se comporter comme un petit bourgeois. Ses écarts de comportement et de langage les poussent à prendre leurs distances avec lui en 1972. Les trois chanteurs concrétisent le projet qui couvait déjà. Ils mettent sur pied l’orchestre Sosoliso pour accompagner le trio Madjesi formé par Mario, Djeskain et Sinatra. Le nom du groupe est tiré d’un cri d’animation lancé dans la chanson Anna de Mario alors dans Vévé.
De PHIDES au groupe Les Bakuba
L’aventure avortée de Zodemi donne des idées au batteur Seskain Molenga. Quasiment interdits de placer leurs compositions dans le répertoire de l’Afrisa, ce privilège n’étant qu’exclusivement réservé aux chanteurs et à quelques guitaristes, le batteur intéresse ses amis d’infortune qui sont le bassiste Philo Kola et le guitariste rythmique Denis Lokasa. Ils s’entendent pour créer un orchestre de studio qui s’appellera Les Phides. Selon les vœux de Seskain, l’initiateur du projet, et qui voulait innover, le style de musique de ce groupe serait une compilation de gospel et de soum djoum. Ce groupe d’accompagnement ne verra malheureusement pas le jour. Alors qu’ils sont au studio Sophinza de Philips à Kingabwa et qu’ils s’apprêtent à enregistrer, le directeur hollandais reçoit des injonctions de Ngwango Selija diligentées par Tabu Ley. Il serait pris pour responsable si l’Afrisa venait à disparaître. Pris de peur, le néerlandais annule l’enregistrement. Lokasa et Kola font marche- arrière pour ne pas perdre leur place dans l’Afrisa. Forcé de continuer seul l’aventure car abandonné par ses pairs, Seskain réussit à réunir des jeunes artistes pour l’accompagner dans ses enregistrements au studio Vévé cette fois-ci. Sont de la partie les chanteurs Pépé Kallé, Dilu Dilumona et Papy Tex (chant) ; les guitaristes Yossa Taluki (solo), Vata Mombasa (rythmique) et Mépé Chéri Milandu (basse), le souffleur Jean-Marie Lukutukala (saxo) et Armando. Le groupe prend le nom de ″Les Bakuba″. Molenga y lance ses premiers tubes notamment Nazoki, Libaku mabe, Nazangi tata. S’en suivent en 1973 les singles Amundala et Nasambua avec l’orchestre ″Bakuba de Molenga″ sans le trio Kadima.
Devenu auteur-compositeur reconnu, Seskain fait son comeback dans l’Afrisa. Rochereau accepte qu’il participe activement au répertoire du groupe en y ajoutant ses compositions. La première chanson qu’il incorpore dans la riche discographie de l’Afrisa est Félie placée sur la face B de Mongali de Ley, le titre phare du single. Ce 45 T est le premier où Mavatiku fait ses premiers pas avec la guitare solo. Quelque temps plus tard, des cendres du groupe ″Les Bakuba″ originel monté par Seskain né un nouvel orchestre : l’Empire Bakuba, Ses têtes d’affiche s’appellent Pépé Kallé, Dilu Dilumona et Papy Tex. Le train conduit par le futur trio Kadima vient de se mettre en marche pour de nouvelles aventures.
ISIFI
En 1972, Zaïko Langa-Langa explose avec la danse cavacha et acquiert une certaine notoriété nationale. Un duo intime s’est déjà formé une année plus tôt sous l’impulsion de Gina Efonge. Ce sous-groupe qui est composé de Efonge et Evoloko porte le nom d’Isifi, sigle qui veut dire ″Institut de Connaissance Idéologique pour la Formation des Idoles″. Le petit groupe s’élargit en incorporant Mavuela puis plus tard Shungu. Ces quatre artistes s’imposent comme étant les ″vrais″ chanteurs de l’orchestre et les piliers de l’attaque chant. Ils mettent pratiquement sur le banc Nyoka et Bimi devenu chanteur. Le quatuor se distingue par ses compositions qui forgent le succès du groupe. Ce sont les grandes stars qui tiennent le haut du pavé.
D’abord Anto Nickel Evoloko (Onasis, Eluzam. Mbeya-Mbeya), l’homme au spectre vocal élargi qui chante plus haut que tout le monde. Puis Gina Efonge, l’inspirateur d’Isifi (Yo nalinga, BP ya munu) avec ses nuances poétiques qui ont changé le rythme de Zaïko. Ensuite Siméon Mavuela (Zania, Selika) le futur Cheik Vuelas et Géant Catalogue qui a imposé son indispensable deuxième voix. Enfin Jules Presley le futur Papa Wemba (Meta la vérité, Chouchouna, Liwa na ngai ya somo) dont la fine voix est quasiment présente dans toutes les chansons du groupe. Selon Gina, ce quatuor qui forme le mouvement Isifi dans Zaïko s’appelle en réalité MA.E.E.SHU pour Mavuela, Efonge, Evoloko, Shungu. Jersy Jossart (Amando, Ngadiadia) et Bimi Ombale (Zena, Muana Wabi) ont beau écrire des chansons d’anthologie, il n’en demeure pas moins qu’ils soient toujours considérés par les faucons d’Isifi comme des chanteurs de seconde zone. Le timbre de leurs voix ne convainc pas. Dès lors l’arrogance des uns fait face à l’agacement des autres. L’incompréhension se mêle à la colère, la frustration à la lassitude. La discorde s’installe. Le feu couve dans le navire. Le malaise soigneusement entretenu abouti à la scission. En décembre 1974, Anto Nickel, Jules Presley, Siméon Mavuela et Bozi Boziana (qui a remplacé Efonge pour cause de maladie) claquent la porte. Solidaires et convaincus de leurs atouts, le quatuor quitte Zaïko pour créer l’orchestre Isifi Lokole, du nom du club restreint des meilleurs chanteurs initié autrefois par Gina et dont ils ont toujours été le porte-étendard.
MAMAKI
En 1977, trois artistes-musiciens font parler d’eux. Mayaula, Mabiala et Kiambukuta viennent de créer un groupe qu’ils ont baptisé du nom de MAMAKI. Si le sigle se rapporte au trio, on trouve aussi au sein de ce groupe d’autres artistes notamment Diatho Lukoki et Masiva. Entre 1977 et 1978, MAMAKI met sur le marché du disque des titres sulfureux qui concurrencent même les chansons de l’OK Jazz (Bombanda comlpiqué, Pardon chéri, A changer kazaka, Papi, Pongi nazua te, Camarade na ngai). Au total une bonne quinzaine de disques 45 T. Chose étrange, car malgré le succès récolté par leurs compositions, le trio n’a vraiment pas l’intention de créer un orchestre.
MAMAKI ne s’est jamais transformé en un groupe musical structuré. Ses trois têtes d’affiche ne font pas le pas décisif. Mayaula se cantonne dans sa carrière solo, Youlou qui a déjà quitté l’OK Jazz finit par rentrer à Brazzaville pour monter les Trois Frères avec Boyibanda et Loko Djeskain. Fidèle parmi les fidèles Josky, malgré cette évasion musicale reste à côté de Luambo, le temps de quelques nzonzing. Somme toute, les œuvres phonographiques de ces trois mousquetaires issus de l’orchestre OK Jazz ont mené la vie dure à ce groupe. MAMAKI est resté dans l’histoire comme un ensemble éphémère dont les chansons sont à jamais restées ancrés dans la mémoire musicale des Congolais.
Samuel Malonga