De Fanfan à Gene Gene, le parcours atypique d’un Kinois ordinaire
Né François Matumona, ses parents lui donnent le postnom de Tulendo dans les années 70 lorsque la politique de recours à l’authenticité est imposée au Zaïre. Il grandit dans le quartier Lemba Mawa qui deviendra Lemba Foire à partir de 1969. Le garçon comprend vite que la vie des jeunes dans la capitale est liée à un nom différent de celui reçu de ses parents. La majorité des Kinois portent des surnoms qui les accompagnent et qui donnent un certain lustre à leur personne. Matumona ne déroge pas à la règle. Son prénom François se transforme en Fanfan.
De Lemba, la famille déménage pour Bumbu. C’est dans cette commune que Fanfan fait ses premiers pas dans la chanson. Après la dislocation de son premier orchestre, il intègre Fogo Star. Pour lui barrer le chemin de la musique qu’il vient d’embrasser en amateur, son père l’envoie en 1969 à l’internat à Inkisi, petite ville située à quelque 150 km de Kinshasa. Malheureusement pour son géniteur, il y croise le chemin d’un professeur chanteur qui l’incorpore dans Somo West l’orchestre de l’école. Ce groupe fait vite parler de lui dans des villes du Kongo Central comme Kimpese et Mbanza-Ngungu. Fanfan, porteur de la flamme qui éclaire cet ensemble musical s’impose par sa stature et sa prestation. Il chante, danse et interprète souvent la chanson "Lisuma ya zazu" d’Ekumanyi et le Yoka Lokole. Ce qui lui vaut le surnom de Papa Wemba de la part des Inkissois.. Il devient une célébrité dans cette petite ville qui a vu naître l’orchestre Zembe-Zembe d’heureuse mémoire. Lui qui voulait évoluer dans Viva La Musica, le voilà désormais chez Pépé Fely le magicien de la guitare.
La grande porte de la musique s’ouvre en 1981. Dans le cadre de la réorganisation de Grand Zaïko Wawa, Manuaku recrutent de nouveaux musiciens lors du Jubilé Ambiance organisé à Ndjili. Pour finaliser la préparation du groupe, il dépose ses valises à Inkisi pour y passer le maquis avec son orchestre. Sur place l’écho de Fanfan arrive jusqu’à ses oreilles. Le magicien de la guitare n’hésite pas d’approcher cette perle rare qui peut faire la différence. Fanfan n’est-il pas le chanteur-vedette de Somo West ? Émerveillé par sa prestation, Manuaku ramène le jeune Fanfan à Kinshasa. La capitale découvre alors un bel homme, élégant, doté d’une belle voix et de talent de danseur à revendre. Beaucoup oublie qu’il est fils de danseuse.
Kinshasa lui ouvre les bras, nouveau groupe, nouvelle aventure, nouvelle appellation. Fanfan devient Defao. Cette métamorphose de l’artiste ne se voit pas seulement dans sa prestation mais aussi dans son évolution dans le métier de chanteur. Il compose l’attaque chant avec Shimita transfuge de l’orchestre Oka, Djo Poster, Djo Nickel et Gala. Defao n’est pas venu les mains libres dans Grand Zaïko Wawa. Il y introduit la danse "Benda singa/Parachuté" et un cri d’animation. Il y compose sa première chanson sur disque : "Salima na ngai". Defao s’impose comme leader du chant de ce groupe. Sociétaire de Grand Zaïko, Bozi Boziana et Ben Nyamabo qui viennent de créer l’orchestre Choc Stars le débauchent en 1983. Dans ce nouveau groupe, Defao excelle dans l’art de composer des chansons. "Hitachi", un de ses nombreux titres est proclamé par les chroniqueurs de musique meilleure chanson de l’année 1991. Avec Carlito, Debaba, Ben Nyamabo et Djanana, il constitue ce que Koffi Olomide appelle "Les Léopards du Zaïre" c’est-à-dire la chorale magique qui émerveille le public. En 1991, il quitte Choc Stars pour voler de ses propres ailes. Il crée l’orchestre Big Star devenant ainsi son propre patron. Avec son groupe, il fait plusieurs voyages à l’étranger. Il soulève des foules dans une vingtaine de pays africains. Après avoir connu diverses fortunes avec ses musiciens, il s’installe à Nairobi au Kenya. Après 21 ans d’absence, Général Defao rentre au pays en 2019. L’artiste-musicien a été selon ses propres dires proclamé sept fois "meilleure vedette du Zaïre". Il a reçu le 3 décembre 2021 le Prix de la légende musicale du Trophée Kongo.
La sape, il connaît. Sapeur, il l’est depuis sa jeunesse dans la commune de Bumbu. Il suit les traces de son père qui s’habille bien. Des amis du quartier prêtent ses habits pour les sorties ou les soirées dansantes. Dans Choc Stars, il est le mannequin attitré de la boutique Scarpa Uomo dont le tenancier n’est autre que Ben Nyamabo le patron de l’orchestre. Ce magasin l’habille pour son élégance qui attire des potentiels clients aussi pour son statut de vedette du groupe. Ses passages à la télé booste les ventes dudit magasin. Bon chic bon genre, l’artiste continue de soigner son image. Pour s’identifier et se différencier des autres artistes-musiciens sapeurs qui portent des griffes connues mais devenues trop populaires à ses yeux, il s’émancipe d’eux et décide de s’habiller chez les créateurs de mode inconnus de ses collègues. Il veut être unique dans le domaine de la sape. Il veut innover. A Londres, une connaissance lui fait découvrir la boutique de Jean-Claude Jitrois, habilleur de Johnny Halliday. Dans le catalogue de cette maison de haute couture défilent les photos des grands noms du show-biz international comme Madonna ou Elton John voire celle du boxeur Mike Tison. Defao veut faire la différence. Il veut être unique, faire cavalier seul. Dans cette furie de se particulariser dans sa vêture, il va frapper à la porte de Pelle Pelle, une marque américaine dont Jay-Z est friand. Sa garde-robe est remplie des vêtements de grand luxe dont 375 blousons et dix Jean-Claude Jitrois. Cette obsession vestimentaire effrénée s’est accentuée pendant les années Choc Stars. Les dix voyages effectués par ce groupe en Europe ont été pour lui une occasion de rentrer chaque fois à Kinshasa avec 25 valises de vêtements et de chaussures. Comme Papa Wemba, Général Defao a mêlé sa vie d’artiste au mouvement de la sape. Cette particularité lui est collée à la peau.
Matumona Tulendo qui a marqué l’esprit des Kinois par ses fresques vestimentaires, ses gros colliers dorés, ses beaux chapeaux, ses lunettes teintées ou sombres, sa belle voix et ses déhanchements époustouflants sur scène a eu bien des sobriquets. Son prénom François s’est transformé en Fanfan. Ce premier surnom a donné naissance à Defao dont est dérivé le diminutif Def. Lorsqu’il fit accompagné le pseudo Defao par un grade militaire et décida de s’appeler Général, ce nom d’artiste se métamorphosa aussitôt en Gene Gene (prononcez djéné djènè).
Le Général de la musique congolaise a été un globe-trotter. Il a sillonné le monde. On l’a vu en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis. Mais il semble que le Cameroun ne lui a vraiment pas porté bonheur. Defao s’est toujours souvenu de ce voleur qui à Douala lui arracha son collier Rolex qu’il a acheté à prix d’or. Etait-il le signe d'un mauvais présage? Et comme un malheur ne vient jamais seul, c’est aussi dans cette ville qu’il a rencontré dame la mort. En 1968, un autre artiste congolais, le grandissime guitariste soliste Tino Baroza fut fauché à Yaoundé par un chauffard pendant qu’il faisait la lessive dans son habitation. Defao et Tino Baroza sont tous les deux décédés dans le même pays : le Cameroun, au cours du même mois, celui de décembre. Triste constat ! Curieuse coïncidence !
Samuel Malonga