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Publié par Norbert MBU-MPUTU

Notes de lecture.

Charles DJUNGU-Simba K., Les embrouilleurs (Nouvelles), Enghien, Les Éditions du Pangolin, 2020, 153 pages.

Norbert Mbu-Mputu. Bristol (Royaume-Uni), 19 février 2021. Onze nouvelles qui se lisent d’un trait de cet auteur, professeur d’université de surcroit, qui n’est plus à présenter puisque ses écrits et publications, ancrées dans sa société congolo-zaïroise, s’envolent et survolent l’imaginaire d’une série des générations cherchant toujours à retrouver ou à se connecter à son identité. C’est le moins que l’on puisse dire en parcourant ces 153 pages. Ces sont des histoires solitaires et mêmes solidaires se terminant toutes dans un cul-de-sac. Ou mieux, décevant pour tout lecteur habitué à ces genres des narrations où un héros ou une héroïne, au centre d’un récit linéaire commençant au point A, passant par les points B et C, se couche jusqu’à chuter au point D. Dans ces nouvelles, c’est un Charles Djungu-Simba qui lance le lecteur dans l’art pour l’art, l’écriture pour l’écriture, ou, comme le stigmatise bien le postfacier Jean de Dieu Itsieki Putu Basey, dont le titre et sous-titre, (Lecture. Onze arpents pour un levé de polygone. (Le déshumain grandiloquent et les animaux malades de la farce) respectent le même momentum scriptural (pp. 129-152) : « Les onze nouvelles de ce recueil montrent à quel point la culture du faux constitue une faille dialectique. Si l’on entend le concept de dialectique, en son sens plénier, à la fois comme l’art de raisonner de manière à convaincre – sur lequel repose l’idéologie politique et la mobilisation pour défendre des valeurs et des intérêts – et comme la dynamique d’action qui engendre l’évolution historique » (p. 138).

Step by step. Par où commencer parce que toutes ces nouvelles sont autonomes ou rapportent une histoire toute particulière. Si « Les embrouilleurs » (pp. 7-1 ») choquent en rapportant cette histoire de cette vielle dame partie récupérer son transfert des fonds dans ces agences connues mais qui se fait dévaliser, sans vergognes et sans coup férir, par des embrouilleurs mieux outillés, « Un enterrement à Camp Luka » (pp. 15-24) est un quiproquo où un mort fut pleuré à la place d’un autre ; alors que « Rendez-moi ma dignité ! » (pp. 63-82) est cette histoire frustrant du sieur « Cyprien Shamavu, ancien maître d’école à Burinyi et, jusqu’il y a peu encore, gardien de nuit au service de la Mission des Nations Unies au Congo, à Bukavu ?», qui, ne pouvant pas nouer ses deux bouts de mois pour prendre en charge sa famille, ayant trouvé un boulot de gardien à la MONUSCO, la fameuse mission de l’ONU au Congo n’ayant pas toujours bonne presse, ne trouva pas mieux que de proposer son épouse, légitime, de se laisser aller avec le monsieur de l’ONU changeant des nanas comme des chemises et les payant bien. Après débat et délibération, la femme, faible, céda et l’homme de l’ONU prit goût… La nouvelle se termine par le monsieur de l’ONU ayant quitté Bukavu avec la femme… Comme quoi, il faut souvent ne pas s’embrouiller à tenter le diable en personne. Quant à la nouvelle « Un prédateur sur le campus » (pp. 109-117), c’est une de ces histoires quasi rocambolesque et habituelle de ces jeunes universitaires promettant des lunes de miel surtout aux filles nantis, alors que la même chose est promise à plus d’une d’elle. Et, alors que notre infortuné Cédric se faisait attendre pour être l’invité d’honneur à l’anniversaire de sa Tine, surtout que les parents de Tine voulaient expressément aussi le voir, le sieur Cédric s’était retrouvé à l’opposé, dans la prison centrale de Makala. Et pour cause, « les parents d’une fille encore mineure qu’il avait violée l’avaient fait arrêter et incarcérer dans la plus grande prison de la capitale » (pp. 116-117).

Charles Djungu-Simba

L’écriture. Mais, là où les nouvelles respectent le genre et la plume de l’auteur, c’est dans l’usage des mots pour décrire ces maux, dans un univers qui dépeint la nuit des suppliciés, des figures de styles, ciselant des métaphores vives de notre mort, physique et symbolique (p. 131), question de pénétrer ces fables pour les dénicher comme le conseille le postfacier. Ces nouvelles, au final, se lisent avec un petit crayon pour noter ces mots et ces expressions quasi ordinaires, mais non pas souvent usées : « matamores », « annoncer à hue et à dia », « peste in petto », « rastaquouères », etc.

Mais, bien plus, l’auteur puise encore dans son terroir congolais d’où ce rappel que « voilà pourquoi chaque vaillant policier veille scrupuleusement à porter une tenue civile sous son uniforme kaki hyper usé : un agent de l’ordre ne doit-il pas se montrer capable, le moment venu, de se fondre au sein de la population civile ? » (p. 28) ; ou encore « Non ; que voulez-vous donc qu’ils fassent avec ces Mauser de l’époque de Tippo-Tippo ou des Uzi datant de la guerre de Six jours ? » (p. 28), « Stéphane est soulagé de voir que son blabla a plutôt eu l’effet de l’eau sur le dos d’un canard » (p. 52), etc.

Moralisant, les nouvelles sont dans le doit chemin de la loi des satires « ridendo castigat mores », ce n’est vraiment pas la nouvelle numéro 7 « Le débat » (pp. 89-97) qui me démentira. Comment penser deux messieurs, se prenant eux-mêmes au sérieux, atterrir dans leurs villages, l’un de majorité au pouvoir et l’autre de l’opposition, pour un exercice jamais vécu avant des élections : un débat contradictoire entre les deux, alors que le débat doit se passer, comme dans nos fameux débats avant les élections présidentielles, dans la langue de Molière que le village ne sait que piger quelques adverbes et quelques mots à la sauvette ! Dieu merci que le Chef coutumier N’Kwebe prit ses responsabilités pour taire les deux « embrouilleurs ».

Une chose est vraie à la fin de cette lecture : la littérature congolaise a de beaux jours devant et des classiques comme Charles Djungu-Simba, auteur de Cité 15, On a échoué, En attendant Kabila, Le phénomène Tshisekedi, etc. et d’une thèse de doctorat éditée Les écrivains du Congo-Zaïre. Approche d’un champ littéraire africain, continue à s’affirmer ne pas encore glisser dans la ménopause scripturale. Les bénéficiaires sont, non pas seulement les amoureux de belles lettres, mais aussi les génies en herbes nombreux dans cet art nombre d’user « de l’encore noire de Chine sur du papier blanc ».

Voulez-vous détendre vos neurones, dans un avion, lors d’une randonnée fluviale, au bord de l’océan ou sous un arbre perché au bord d’un ruisseau, cette bonne écriture de Charles Djungu-Simba Les embrouilleurs vous détendra et ne vous causera nullement des migraines puisque simple et simplifiée ! Mais, l’auteur rappelle, avec son épigraphe et sa dédicace son terroir peinant encore à voir enfanter ses airs du changement avec la fin de ses misères et de ses femmes violées dont même le fameux bon Dieu ne semble même plus à quel saint se vouer : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » (C. Baudelaire, Les fleurs du Mal) et « à la cinquantenaire de mes frères récemment engloutis dans les entrailles de Kamituga, la même où fut ensevelie une partie de mon nombril, dans la boue maudite de cet or qui n’enrichit que les autres ! » (p. 5).

Tout est dit et tout est bien dit…

 

Norbert MBU-MPUTU

Journaliste et écrivain

Email : norbertmbu@yahoo.fr

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