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Publié par Lomomba Emongo

Ngongo Leeteta : ses traits de caractères

Dessiner les traits de caractère de Ngongo Leeteta n’est possible qu’en fonction de la source qui en parle. Or, plus que les sources écrites, les sources orales ont tendance à l’exagération. Positivement, l’on exagère pour grandir le personnage ; négativement pour dire toute l’horreur dont il était capable.

C’est ainsi que pour certains, Ngongo Leeteta était le plus grand chef de tous les Atetela. Tandis que pour d’autres, il n’était qu’un despote sadique et cannibale, sans aucune vision politique.

Qu’importe la part du vrai et du faux dans ces affirmations tranchées, je ne crois pas me tromper en relevant les trois traits de caractère que voici, parmi d’autres :

1. – Turbulence à l’adolescence. Voilà qui fait penser tout de suite à une adolescence perturbée, instable psychologiquement, sans doute marquée par une hyperactivité pathologique. Or, dans une société intransigeante quant au respect de l’establishment de la tradition, la turbulence chez un adolescent peut se comprendre dans un double sens : une curiosité sans borne et une indépendance d’esprit frisant l’insolence. Toutes choses qui pouvaient aisément faire passer pour un enfant possédé par un esprit malin. Au point que, pour lui éviter un lynchage, ses propres parents durent livrer l’adolescent qu’était encore Ngongo Leeteta au fumu du lieu. Que celui-ci en dispose en l’éloignant. À la vérité, ils jouaient là au quitte ou double, puisque la mesure d’éloignement pouvait consister en sa condamnation à mort, en sa vente aux étrangers comme esclave, etc. Le pari fut favorable à la famille, car le fumu choisit de mettre le futur Ngongo Leeteta à son service, sans aucun doute afin de mieux le surveiller en attendant de savoir quoi en faire.

2. – Ingéniosité et intrépidité comme jeune adulte. Il n’est pas rare qu’on attribue au jeune Ngongo Leeteta un génie et des actions plutôt remarquables. Je ne doute pas que son ingéniosité et l’intrépidité de ses entreprises lui furent plus que bénéfiques. Je ne vois pas en effet comment, autrement, un fumu l’aurait mis dans la suite d’une de ses filles en route vers son foyer.

Voici que, suivant certaine source, il revint auréolé de gloire militaire de la bataille à laquelle il participa pour le compte du fumu époux de ladite princesse. Tant et si bien qu’il fut nommé chef des armées dans le pays qu’il venait de si bien servir. Ngongo Leeteta, l’adolescent turbulent, devait avoir bien changé pour obtenir de tels résultats, dignes de tels honneurs. Le tout grâce à son ingéniosité et à son intrépidité.

Par ailleurs, une autre source raconte que c’est lui-même qui se proposa comme volontaire pour marcher à la rencontre des hommes de Tippo-Tip. Que se passa-t-il pour que Tippo-Tip le « choisît » parmi les héritiers du trône de son nouveau fumu pour en faire son otage princier ? Même dans l’hypothèse où le fumu l’eut désigné lui-même, par exemple pour ne pas avoir à livrer ses propres fils, Tippo-Tip n’avait que bien peu de chance de ne pas s’en apercevoir, lui qui devait connaître les princes de sang de chaque pays conquis. Je ne suis point en mesure d’affirmer que l’ingéniosité et l’intrépidité de Ngongo Leeteta furent pour quelque chose dans le « choix » de Tippo-Tip ; pas plus, du reste, que je ne puis l’infirmer.

Par contre, Ngongo Leeteta fit merveille une fois sous l’aile de Tippo-Tip. Son ingéniosité et son intrépidité lui vaudront de se voir confier des missions de confiance, comme le convoyage d’Herman von Wissmann jusqu’au bord du lac Tanganyika. Par la suite, cela lui vaudra d’être doté de milliers de fusils et, naturellement, tout ce qui va avec en termes de poudre à canon, cartouches, hommes de troupe, etc. Pour, en fin de compte, se voir nommer mtonga, le représentant personnel de Tippo-Tip au Lomami, en remplacement de l’Arabo-swahili Mwinyi Dadi ben Mdoe, dit Tshungu, décédé. À ma connaissance, Ngongo Leeteta est un cas d’école puisque nulle part, avant son élévation, je n’ai trouvé trace d’un autochtone qui a atteint de tels sommets en si peu de temps, qui a enlevé la confiance quasi-aveugle d’un maître arabo-swahili comme ce fut le cas de notre homme. Indubitablement, son ingéniosité et son intrépidité avaient joué un grand rôle. Lequel ? Je ne suis pas en mesure de le décrire.

Jusqu’à l’âge adulte et plus que jamais, Ngongo Leeteta fera preuve d’ingéniosité et d’intrépidité lors de la campagne contre Sef ben Hamed, mieux connue sous l’appellation de la campagne arabe ou antiesclavagiste. Témoins, la bataille inaugurale de Shiké, où lui et ses alliés de la Force Publique se battirent à un contre quatre et l’emportèrent. Bref, même en sachant au moins un de ses fils retenus en otages par son ennemi, Sef ben Hamed qui réclamait sa tête contre leur liberté, l’ingéniosité et l’intrépidité de Ngongo Leeteta ne faillirent jamais, notamment lors de la bataille qui eut lieu entre Kasongo-Lwakila et Ngoy-Kapopa ; jusqu’à la prise de Nyangwe et Kasongo où mourut au combat le fils de Tippo-Tip, Sef ben Hamed.

3. – Moult qualités de chef à l’âge adulte. Plutôt que de déduire à partir de mes lectures, je vous laisse juge de ce qu’en disent de Ngongo Leeteta des témoins oculaires de son comportement de chef et de commandant militaire sur le terrain. Personnellement, je me serais attendu à des stéréotypes de l’époque au sujet du Noir ; il n’y en eut que peu ou prou.

Oscar Michaux (1913) nous dépeint deux traits de caractère de Ngongo Leeteta : son assurance, y compris vis-à-vis de l’ennemi, ainsi que sa grande intelligence des enjeux géopolitiques de son temps :

…tout, dans sa façon d'être, dénote au premier abord un homme sûr de lui-même et qui a l'habitude d'être obéi. (page 96)

Son énergie égalait son courage, et sa perspicacité était telle que les Arabes étaient encore à leur apogée lorsqu'il s'est aperçu que leur règne était bien près de finir et devait faire place à la domination des blancs (page 281).

Personne ne nie, personne n'a jamais nié sa grande intelligence ; ses plus mortels ennemis, eux-mêmes, ont été obligés de reconnaître son génie sauvage (page 282).

Sidney Langford Hinde qui l’a vu faire, nous livre un témoignage unique de son comportement en tant que commandant en chef de son armée en campagne (traduction d’A. Verbeken, 1956 : 74) :

Il fallait voir cet homme sur le sentier de la guerre pour juger des différents aspects de son caractère. Le chef calme et fier et le compagnon gai et amical, devenait, sur le champ de bataille, une individualité enthousiaste, d’une organisation évidemment nerveuse, qui lançait ses ordres l’un après l’autre sans un moment d’hésitation. Il pouvait supporter une fatigue considérable et savait mener ses guerriers à travers le pays dans une course de plusieurs heures.

Ces dernières descriptions sont-elles entièrement fiables ? A. Verbeken doute quelque peu de celle du Dr Hinde, en tout cas. Quoi qu’il en soit, elles représentent quelques avantages à mes yeux. Un : elles sont le fait de témoins oculaires et il y a lieu de convenir qu’ils ont parlé de ce qu’ils auront vu. Deux : pour l’essentiel, elles sont flatteuses pour Ngongo Leeteta, à une époque où l’homme noir était encore tenu pour une sorte de sous-homme ou, du moins, un chaînon anthropologique entre le singe et l’humain (entendre l’Européen). Ce qui plaide pour une certaine honnêteté de la part de leurs auteurs, sans doute mêlée à une fascination certaine pour mieux qu’un grand fumu assis sur ses lauriers, un formidable conquérant en passe de créer un nouvel État en Afrique centrale. Trois : de toute façon, ce sont les seules dont je dispose, en dehors de la mémoire populaire par trop fantaisiste à certains égards.


Lomomba  Emongo

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