Nzonzing, évolution ou révolution ?
Nzonzing, évolution ou révolution ?
Au commencement il y avait Soki Vangu, qui a écrit la chanson Nzingi Nzong, dans laquelle il lança le cri nzonzing, qui engeandra le concept du même nom lequel est devenu le recours providentiel des artistes confrontés à la toilette de leur vie de vedette de la chanson.
Nzonzing est un mot souvent employé dans la musique congolaise. Ce terme a envenimé et pourri la vie culturelle congolaise en favorisant des activités extra-muros de plusieurs artistes-musiciens. Il se définit comme étant le fait d’enregistrer une chanson en dehors de son orchestre dans le but de bénéficier seul des retombées financières qui y découlent.
En 1975, Soki Vangu compose une chanson qui plait au public. Le titre, Nzingi Nzong, ne reflète pas grand-chose si ce n’est le nom ou le pseudo de la jeune dame à qui l’artiste l’a dédicacée. Dans cette œuvre sort de la bouche de Maxime Soki le nom Nzonzing qui semble être le verlan de Nzingi Nzong. Il colle directement au phénomène commencé en catimini par quelques musiciens de l’OK Jazz. Il va s’enraciner dans la mentalité des artistes et des groupes musicaux tout comme dans le jargon musical congolais. Les artistes-musiciens lui donnent une importance toute particulière dans son application. Le nzonzing bouste la production phonographique au Congo. Entretemps, il met les nerfs des patrons des orchestres à rude épreuve. Le succès des nzonzing met à mal l’assise de certains groupes auprès du public.
Ce mot innocent va marquer la pratique de l’art musical. Il se transforme au fil des années en un comportement désavoué en bouleversant la donne et les habitudes qui ont toujours été celles des artistes. Il sembe être la réponse approppriée à la cupidité et à l’égoïsme éhonté des responsables d’orchestres à payer décemment leurs salariés. La profession nourrit mal son homme. Cette pratique bien qu’illicite permet au musicien ″nzonzingueurs″ d’avoir des revenus supplémentaires pour essayer d’arrondir ses fins du mois difficiles. C’est une sorte d’activité extra-muros qui permet à tout artiste de réunir autour de sa chanson des amis de son choix et d’entrer en studio. Une fois enregistrée et mise sur le marché, il empoche seul l’addition au détriment du patron qui l’emploie. L’argent étant le nerf de la guerre dans la chanson congolaise, tout le monde y trouve son compte, chanteurs comme instrumentistes. Jusque-là ce concept n’avait pas de nom. A la sortie de Nzingi Nzong, les artistes sautent sur le terme contenu dans la chanson de Max Soki pour le désigner. Reste à savoir celui qui l’a vulgarisé.
En réalité, cette pratique est antérieure à l’appellation qui l’a rendue célèbre. Déjà en 1969, Verckys Kiamuangana, considéré comme le cerveau-moteur de ce dérapage, est révoqué de l’OK Jazz pour avoir réalisé en 1968 des enregistrements clandestins en marge de l’OK jazz mais avec certains musiciens dudit groupe. Les quatre titres du premier nzonzing de la musique congolaise moderne sont Okokoma mokristo de Lutumba, Billy ya ba fiancés de Youlou enfin Mbula ekoya tokozonga et Nakopesa yo motema de Verckys.
Ce phénomène qui est encore dans ses balbutiements va prendre de l’ampleur et empoisonner l’existence de plusieurs orchestres pendant toyrte la décennie 70. La corporation n’arrive pas à endiguer ce mal qui n’épargne aucun groupe. Bien de ces nzonzing sont en fait de grands succès. En 1971, Seskain Molenga de l’Afrisa sort Nazoki et Libaku mabe avec l’ensemble d’enregistrement Les Bakuba qu’il vient de monter. Bongo bouger de Teddy Sukami qui casse le box en 1978 et promu disque d’or par certains, est un nzonzing même si le nom de Zaïko est marqué sur le disque. Les Casques Bleus qui ont exécuté ce chef d’oeuvre sont une sorte de Zaïko Langa-Langa bis avec les mêmes musiciens, les mêmes danses, le même rythme voire les mêmes cris. On n’y trouve tous les ténors dudit groupe notamment Lengi Lenga (Dalo, Lolita, Les Casques Bleus, Miko), Teddy Sukami (Katshi, Kiaku kiaku, Boutons rouges), DV Moanda (Tika nadondua), Yenga Yenga Junior (Mike mike, Sanze modèle, Col Canto), Bozi (Fatu), Meridjo (Elanga songo) ou Matima.
Le nzonzing bouscule l’ordre établi, provoque plusieurs départs, des va et vient et est à la base de la création de nouvelles formations musicales (Vévé, Casques Bleus, Ba La Joie, Les Bakuba). Lutumba récidive avec l’orchestre Mi (Na lifelo bisengo bizali) sans oublier sa collaboration avec Mpongo Love (Monama elima) ou Viva la Musica (Télégramme). D’autres musiciens de l’OK Jazz ne sont pas en reste. Mayaula, Youlou et Kiambukuta créent le Trio MaMaKi et inondent le marché du disque avec une quinzaine de chansons de grand calibre comme Bombanda compliqué, Pongi nazua te, Achanger kazaka, Papy, Pardon chérie, Masivi etc. Mamaki devient pour l’OK Jazz ce que Les Casques Bleus sont pour Zaïko. Le poète de la musique congolaise se remarque aussi en 1982 par un autre nzonzing célèbre : Faute ya commerçant. Luambo, vu le succès rencontré par ce titre, est forcé et contraint de l’incorporer dans le répertoire de son orchestre. Le titre est sacré chanson de l’année par les chroniqueurs de musique.
Vers l’année 1978, Koffi qui est encore Chéri O et qui a beaucoup plus d’assise dans Viva La Musica de Papa Wemba, sort ses nzonzing (Meny, Ndjoli, Soraya) avec l’accompagnement de l’orchestre Ba La Joie tout comme son compère Djuna Djanana avec sa chanson Tusol. En quête de stabilité, le même Mopao se retrouve avec les Langa-Langa Stars (Longomo, Étoile du nord) et Zaïko (Femme noire) au détour de quelques enregistrements. En 1980, Pépé Kallé écrit Amena. Curieusement la chanson n’a musicalement rien à voir avec l’Empire Bakuba. Son rythme est celui de Viva la Musica. L’éléphant de la musique congolaise va l’enregistrer dans ce groupe à côté du duo Papa Wemba - Emeneya. On retrouve de nouveau Mayaula chez Mpongo Love (Ndaya) et Tshala Muana (Nasi nabali), deux œuvres appréciées du grand public. A peine entré dans Zaïko, le chanteur à la voix cassée n’échappe pas à la tentation, surtout que bien de ses nouveaux collègues se sont illustrés en la matière. En effet, Dindo Yogo accompagné de Ya Lengos et Mopero couche en 1985 une de ses meilleures mélodies : La Congolaise.
Au fil des années, le nzonzing qui a perdu de sa vivacité s’essouffle. Condamné par la disparition du 45 T et par l’essort de nouveaux outils de production phonographique (33T et CD), il perd du terrain dans les années 80. Afin de s’adapter au temps qui change, le nzonzing dont la référence est le single disparaît peu à peu. Il laisse sa place au concept qui le cotoyait depuis quelque temps : l’album solo sur support 33T.
Ce nouveau phénomène est en réalité un nzonzing habillé avec un nouveau nom. Nageant pratiquement entre deux groupes, Ya Lengos par le label Visa 80 de Luambo met sur le martché un opus contenant quatre titres dont Matshure et Je t’en prie Omanga. Plus tard, devenu Le Duc Lengi Lenga Man, il récidive avec Cessez le feu. De son côté, JP Buse frustré par le refus de Zaïko de placer ses chansons dans les albums du groupe, compose hors de celui-ci le LP Longindo ya Kassapard. Il bénéficie même de l’apport de la section cuivre du TP OK Jazz dans la chanson Saky Sakina. En 1984, le monde musical découvre les chefs d’œuvres de Papa Noël qui font sortir le Grand Maître de son silence. En effet, le soliste Nedule qui a emmené avec lui à Brazzaville Carlyto, la perle de l’époque, enrengistre l’album Nono contenant Bon samaritain, Bel ami et Sisi. L’opus connaît un succès grandissant des deux côtés du fleuve. Il récidive avec le LP Ya Nono avec le même Carlyto au chant. Dans Viva la Musica, Reddy Amisi (Prudence, L’injustice) et Stino Mubi (Roméo et Juliette) profitent des largesses de Papa Wemba pour offrir aux mélomanes leurs propres albums.
Parallèlement à l’album solo se développe aussi le featuring même si ce mot n’est pas encore d’actualité. Deux artistes consentants entrent au studio pour enregistrer un album commun. Des années durant Lutumba en fait usage dans plusieurs de ses singles mythiques (Muana ndeke, Verre cassé, Jimmy Mukelenge) où il collabore avec Pepé Kallé. Koffi Olomide (Ngobila, Ngunda, Lady Bo, diva) et Félix Wazekwa (Bileyi ya mobola, Ah bon, Mokwa makambo, Tétragramme) lui ont souvent emboîté les pas. En 1988, avec l’apport de son ami Ya Lengos, Dindo sort l’album Kamata 500 dans lequel se trouve le hit Y’a pas de sots métiers. Il sera suivi par C’est la vie… si bonne, si belle, si compliquée. Les voyages solitaires de Pépé Kallé en Europe ne se font pas sans enregistrement. Loin se son Empire Bakuba, il enregistre en solo d’abord le LP Moyibi avec Nyboma puis Pon moun paka bougé qui a fait tabac dans les bacs. Le duo qui se retrouve souvent ensemble rapellent aux mélomanes le souvenir de l’époque Bella-Bella, Lipua-Lipua ou Les Kamales. En 1989, Nyboma revient à la charge. Ensemble avec Madilu, il met Stop feu rouge – Voisin dans les kiosques. Plusieurs autres grands de la musique congolaise unissent leurs voix dans des featurings dignes de ce nom. La rencontre de Tabu Ley avec Luambo Makiadi et Michelino Mavatiku dans Lisanga ya Banganga (Afrisa et TP OK Jazz), le duo Papa Wemba-Koffi Olomide dans Wake up ou Papa Wemba – Barbara Kanam dans Triple option, les retrouvailles en 1983 entre Tabu Ley et Pamelo Mounk’A pour les 20 ans de la carrière de ce dernier accompagné par l’Afrisa sont les preuves d’une étroite collaboration entre les musiciens de diverses formations musicales. Outrepassant les frontières politiques, Rapha Boundzeki se fait accompagner par Debaba et Defao de Choc Star dans certains de ses titres (Adjaro, La pesa bolingo). Le featuring s’internationalise avec le passage de Jimmy Cliff à Kinshasa en 1987. Le Congo culturel rencontre la Jamaïque. La rumba et le reggae, deux musiques lointaines et proches à la fois se fondent dans un album. Cliff réussit à se faire des enregistrements avec trois différents orchestres de la place. Il réalise Shout for freedom avec l’OK Jazz, Girls and cars avec l’Afrisa et Love me avec Grand Zaiko Wawa. A cette occasion. Adamo Ekula et Djo Poster chantent à côté de la star jamaïcaine.
Tout compte fait, le traditionnel nzonzing autrefois conçu par Simaro Lutumba, Youlou Mabiala et Verckys Kiamuangana a évolué dans le temps. Il a pris des formes diverses tout au long de son parcours. S’il a occasionné la multiplication de groupes, il a au moins le mérite d’avoir enrichi la discographie congolaise. Dans la structure fonctionnelle des orchestres kinois, il a fait évoluer les mentalités et libéré l’artiste. Il lui a donné l’occasion d’échanger ses connaissances avec ses pairs, de profiter de leur expérience et de tisser des liens profonds d’amitié. En rapprochant les musiciens de diverses tendances sur le plan artistique et social, il a été un vrai rendez-vous du donner et du recevoir. Le nzonzing a favorisé et diversifié la créativité. Il a donné au musicien l'occasion de se surpasser et à la musique congolaise d'exceller sur le plan phonographique.
Samuel Malonga