CONGOLAIS 4.0 : THADDÉE BADIBANGA ET « L’ÉLÉPHANT QUI MARCHE SUR LES ŒUFS !».
NORBERT X, BRISTOL (Royaume-Uni, 14 janvier 2019). NOUS SOMMES EN 1931. Le monde littéraire francophone se réveille avec un livret extraordinaire par son titre : L’éléphant qui marche sur les œufs (Badibanga, T., L’éléphant qui marche sur les œufs, avec 11 illustrations de Djilatendo, préface de Gaston-Denys Périer et Georges Dulonge Bruxelles, L’Églantine, 1931, 89 p.). On aurait pensé à un symbolisme ou, c’est la profondeur d’une réflexion qui se voudrait très philosophique. Ce sont des contes. Des contes Luba traduit en bon français et publiés en Belgique. L’ouvrage est préfacé par Gaston-Denys Perier et Georges Dulonge et illustré par Djilatendo.
CES CONTES sont de la plume de THADÉE BADIBANGA. Un Congolais. Certains ont longtemps douté de l’authenticité et de l’originalité de l’auteur. Dieu merci que, des décennies après, la certitude de cet auteur, l’un des premiers des auteurs Congolais moderne à avoir remporté un prix littéraire, ne fait plus de doute. « Aujourd’hui, grâce aux enquêtes minutieuses menées par François Bontinck dans l’ « affaire Badibanga » et à l’étude de la correspondance entretenue par Gaston-Denys Périer et Georges Thiry (auteurs de la préface de la première édition de L’éléphant qui marche sur des œufs), on peut affirmer avec certitude que BADIBANGA a bel et bien existé et qu’il faut le traducteur en langue française des soixante-deux contes qui composent son œuvre (à l’origine couchés sur papier en langue luba-lulua) » (Silvia Riva, Nouvelle Histoire de la Littérature du Congo-Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 27).
ORIGINAIRE de Luluabourg (actuelle Kananga), il fut un ancien élève des pères de Scheut, il reçut des préfaciers la tâche de recueillir, moyennant un salaire, des contes qui furent alors réunis en un volume et bien illustrés par les artistes Congolais Djilatendo et Albert Lubaki. Puisqu’il eut le mérite de transcrire ces contes ainsi récoltés en français, il est considéré comme le premier auteur francophone d’origine congolaise. Surtout qu’en 1932, Badibanga reçut le prix de Langue française de l’Académie française, symbolisé par la prestigieuse médaille Mazarin.
CERTES, la version actuelle et publiée des contes a été retravaillée par les préfaciers pour rendre le français de Badibanga compréhensible aux non-initiés.
CE PETIT ouvrage qui ouvre les portes de la littérature francophone aux Congolais ressemble aux Fables de Jean de la Fontaine, aux Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet ou encore au Petit prince d’Antoine de Saint Exupéry.
DANS la littérature négro-africaine, nous sommes dans la moule du L’étrange destin du Wangrin du Malien Ahmadou Hampaté Bâ, l’auteur de la phrase célèbre disant qu’en Afrique « un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle » ou encore dans les Contes et nouveaux contes d’Amadou Koumba du Sénégalais Birago Diop dont sont tirés les récits de « Ngor Niebé, l’homme qui ne mange pas du haricot », « L’Os de Mor Lame » ou encore « Sarzan » d’où est tiré le poème le plus célèbre de la littérature négro-africaine « Souffles » : « Écoute plus souvent/Les choses que les êtres/La voix du feu s’entend/Entend la voix de l’eau/Écoute dans le vent/Le buisson en sanglot/C’est le souffle des ancêtres/Ceux qui sont morts ne sont jamais partis… »
DEUX contes peuvent être racontés alors :
« HISTOIRE DU RÊVE ET DE L’OMBRE.
Le Rêve et l’Ombre étaient de très grands camarades. Un jour, l’Ombre avait vu en dormant que son ami le Rêve lui apportait dix chèvres. Or, le matin, à son réveil, il n’avait rien vu et il en était très fâché.
Quelques jours après, l’Ombre avait dit au Rêve d’aller dans son champ, à tel endroit, prendre une calebasse de vin qui lui était réservée. Or, en partant, le Rêve avait emmené avec lui d’autres camarades. Arrivé sur les lieux, le Rêve avait tout simplement regardé dans la petite rivière qui était tout près d’un palmier et avait vu l’ombre d’une calebasse, sans pouvoir la prendre ; naturellement, la calebasse était suspendue tout en haut du palmier et le Rêve n’était pas assez habile pour pouvoir regarder en l’air. Après maints efforts, le Rêve retourna avec ses amis, furieux de cette fausse promesse.
Le soir, en retrouvant l’Ombre, il lui dit :
– « Pourquoi m’as-tu trompé aujourd’hui ? »
Et l’ombre de même lui demanda :
– « Pourquoi aussi m’as-tu trompée de dix chèvres, dans mon sommeil ? »
Et,
« LE CAMÉLÉON FAIT PEUR À L’IGUANE.
Il y a une bête qui dévore tous les insectes nuisibles, c’est l’iguane. C’est un mangeur de sauterelles. Un jour, allant à la chasse, il rencontra un caméléon.
- Ah, dit-il dans son cœur, aujourd’hui j’aurai beaucoup de viande.
Il s’approche alors du caméléon et lui dit :
- Qui es-tu ?
Le caméléon lui répondit :
- Je suis un enfant de Dieu.
Quand l’iguane entendit cela, il douta et dit encore :
- Si tu es un enfant de Dieu, montre-moi quelque chose qui peut me convaincre que tu es un enfant de Dieu.
Alors, le caméléon se jeta par terre et passa par trois ou quatre couleurs différentes.
L’iguane prit peur et laissa s’enfuir le caméléon. »
COMME tous les contes africains qui ont un rôle moral, tout en sachant leur côté ludique, le titre de ces contes aussi et tous les contes de la plaquette de Badibanga inspirent à la réflexion profonde, à des leçons à tirer dans la vie quotidienne en société, chose qui n’est pas donnée à tout quidam de rue, surtout que nombreux seront de ceux qui, alors que le sage lui montre la lune, lui ne verra plutôt que le doigt pointant le ciel.
AU FAIT, le titre de ces contes dont le conte ne figure même pas dans l’œuvre rappelle une légende populaire chez nombreuses populations africaines et congolaises : « la maladresse d’un éléphant qui écrase par mégarde les œufs d’un engoulevent (…), c’est le point de départ d’une désastreuse réaction en chaîne qui touche, l’un après l’autre, tous les animaux de la forêt » (Riva, S., Ibidem), un effet domino ou un effet papillon, commençant peut-être par l’éléphant lui-même ou non, surtout que ces œufs étaient des œufs de vipère et que la forêt fut alors désormais remplie de petites vipères aux morsures vénéneuses et au venin mortel.
D’OÙ la sagesse conseille que l’on soit grillon ou cancrelat, il faut savoir s’attendre au sort réservé à tous les insectes. Aussi, éviter alors d’aller à la chasse sans lance appropriée, tu risqueras de lancer des mottes de terre et des pierres à une antilope orgueilleuse galopant et sautillant les herbes devant tes yeux ! Ou éviter de mesurer la profondeur d’un ruisseau avec le doigt de sa main.