Ne pas dépasser la ligne des micros
Ne pas dépasser la ligne des micros
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J’ai relu l’article du 8 mai 2011 par Mwan’a Mangembo sur http://www.mbokamosika.com/article-choquez-le-defi-gagnant-de-jossart-et-bimi-aux-isifi-73423861.html et dans un des commentaires de l’auteur en réponse à Ya Moti, quelque chose a retenu mon attention. Jossart, dit-on, a imposé cette règle qui interdit à quiconque dans l’attaque-chant (y compris lui-même) de dépasser la ligne des micros. Ce comportement symbolise la starisation d’un des chanteurs et Jossart a lui-même tenu à respecter cette règle jusqu’à ce jour où il est l’incontestable « vieux na biso » au sein de l’orchestre Zaïko Langa-Langa. Qu’est-ce qu’on entend par dépasser la ligne des micros ? Il s’agit de Mbuta Mashakado qui patine et veut démontrer ses talents de danseur-pop devant les autres chanteurs ou d’Evoloko qui se place devant tous les autres chanteurs quand il entonne son Pétrole. Donc il ne s’agit même pas d’une institutionnalisation de la pratique où le micro de Rochereau dans l’African Fiesta National est carrément devant celui de Pépé Ndombe, même quand ce sont seulement les deux qui chantent et que la chanson n’a pas de section entonnée et d’une réponse en chœur par des back-vocals. C’est-à-dire, à mon avis, la structure de la chanson justifie une telle disposition géographique des micros sur le podium. Il y a des chansons où l’un des chanteurs est clairement le « lead-singer » et les autres sont les « back-vocals », et « back » signifie en arrière-plan. Donc, je dirais que dans les orchestres où cette disposition a été adoptée, c’était une façon de dire « Voilà le chef ! ». Vous verrez qu’il y a un clip où Viva la Musica chante Ngonda, et Papa Wemba est devant ba-petits na ye.
Photo de l' African Fiesta National "Le Peuple", extraite du livre: "Les coulisses de la musique congolaise", de Faugus Izeidi
En Angola, il y avait en règle générale une différence entre les orchestres (bandas) et les chanteurs-compositeurs individuels (vocalistas). Les chanteurs-compositeurs angolais que l’on connaît pouvaient être accompagnés soit par l’orchestre Os Kiezos, soit par l’orchestre Jovens do Prenda, soit par un autre orchestre (Dimba dia Ngola, Os Bongos, etc.). Donc les Alberto Teta Landu, André Mingas, António Paulino, Artur Adriano, Artur Nunes, Bonga, Calabeto, Carlos Baptista, Carlos Burity, Carlos Lamartine, Chico Montenegro, David Zé, Dionísio Rocha, Elias dya Kimuezu, Gaby Moy, Jacinto Chipa, Joaquim Viola, Lourdes Van-Dúnen, Luiz Visconde, Mário Gama, Minguito, Paulino Pinheiro, Pedrito, Prado Paim, Proletário, Robertinho, Ruy Mingas, Santocas, Santos Júnior, Sofia Rosa, Teta Lágrimas, Urbano de Castro, Voto Gonçalves, Zé Viola (je m’excuse de n’avoir cité qu’une femme), même s’ils préféraient enregistrer leurs chansons accompagnés de certains musiciens (et parfois c’est la maison d’édition qui les imposait), pouvaient se faire accompagner par n’importe quel orchestre (et cela dépendrait aussi du promoteur du concert). Et la structure de la chanson angolaise (le semba) est influencée par ce type d’organisation. Il y a le chanteur-compositeur individuel (o vocalista principal), qui entonne, et les back-vocals qui répondent en chœur appartiennent à l’orchestre. L’orchestre, ses instrumentistes et ses back vocals vont accompagner un autre chanteur au prochain concert ou même pendant le même concert. C’est comme ça. L’image que je viens de peindre de l’organisation de la musique angolaise d’un certain passé montre qu’il ne serait pas nécessaire qu’il y ait une règle qui interdirait qu’un chanteur dépasse la ligne des micros. Si c’est un orchestre, il n’y a pas de star. Si c’est une star, elle n’appartient pas à un orchestre.
Photo fournie par Sam Malonga
Mais puisque les choses du monde ne sont jamais en noir et blanc, voici le bémol. Après l’indépendance, mbuta Matadidi arrive à Luanda et fonde l’orchestre Inter-palanca. Maintenant, nous avons la structure de la rumba congolaise où un chanteur-compositeur renommé, comme au Congo, a son orchestre – les mêmes musiciens pour lui seul. Plus tard, Diana, qui a chanté dans l’Inter-palanca, fonde aussi son orchestre Olympia. Puis, il y a le duo Pépé Pepito et Nono Manuela. Ils ont leurs propres musiciens. Puis, c’est Maku qui chante avec l’orchestre Estrela do Povo. Mais, il y a aussi un orchestre composé d’artistes semba et d’artistes de la rumba congolaise qui opère comme un orchestre typiquement angolais, c'est-à-dire qu’il accompagne une série de vocalistas pendant un concert organisé. C’est l’orchestre Primeiro de Maio. Je crois qu’il y a même un moment où il y a des vocalistas de renom qui y chantent comme des back-vocals, de sorte que, si l’orchestre veut se produire de façon indépendante avec un répertoire digne d’un orchestre congolais, il peut aussi le faire. C’est un orchestre hybride. L’orchestre Semba Tropical a même eu Voto Gonçalves comme chanteur résident. Ces orchestres ne sont pas les premiers à opérer de la sorte. L’orchestre Kissanguela avant eux avait déjà dans son sein des grosses pointures comme Santos Júnior et Dina Santos. Il y avait aussi eu l’orchestre FAPLA-Povo. Plus récemment, Dom Caetano (un des vocalistas que je n’ai pas cités plus haut) participait comme chanteur résident dans la Banda Movimento qui, avec la Banda Maravilha, est l’un des orchestres qui ont le plus résisté dans ce siècle, comme s’ils ont remplacé Os Kiezos et Jovens do Prenda.
Et puisque c’est rare que les choses du monde soient en noir ou blanc (je viens de le dire), il y a des cas limites. Par exemple, je ne sais pas comment classifier Eduardo Paim. A présent je dirais qu’il est un vocalista individual qui est accompagné par n’importe quel orchestre, mais quand il s’est épanoui, il avait toujours sa guitare même pendant un concert et je crois qu’il avait un orchestre fixe (Eduardo Paim est né à Brazzaville en 1964, donc il ne faut pas l’oublier). Un autre orchestre fixe, As Gingas, était composé de quatre chanteuses deux desquelles étaient des sœurs et leur maman était la manager et propriétaire de l’orchestre. Je crois qu’elles se produisaient avec le même orchestre. L’autre orchestre familial est Impacto 4 – deux frères et deux sœurs qui ont commencé à jouer des instruments quand ils étaient tout petits. La petite Edwina jouait déjà la guitare-basse à sept ans. A présent, la plus jeune de ces 2 frères et 2 sœurs, Yola Semedo, qui jouait à l’orgue, est une star en solo, souvent accompagnée par ses frères et sœur d’Impacto 4, mais aussi par d’autres orchestres.
Photo fournie par Samuel Malonga
Je ne sais pas comment ça se passe avec les groupes et les artistes du kuduro et hip hop, puisqu’ils font du play-back la plupart du temps. Nous vivons dans un siècle où les gens qui ne seraient pas décrits comme des chanteurs en 1970 ont trouvé leur place dans le monde musical. Parmi d’autres véritables chanteurs individuels qui chantent R&B, tarrachinha, kizomba, semba ou d’autres rythmes, nous avons à signaler chez les femmes Yola Araújo, Ary, Margaritha do Rosário, Patrícia Faria, beaucoup d’autres et Pérola qui en 2005 fut la meilleure chanteuse d’Afrique Australe aux All-African Kora Awards. Parmi les hommes, nous avons Paulo Flores, C4 Pedro, Anselmo Ralph, Puto Português et d’autres. Il y en a tellement que, comme vous voyez, je n’ai pas cité Kyaku Kyadaff qui a interprété Siluvangi wapi accordéon que nous avons écoutée très récemment. La dernière fois que je l’ai vu chanter, il était accompagné par un orchestre (cette fois-ci, le mot portugais n’est pas banda, mais orquestra) avec des violons, des clarinettes et d’autres instruments dits classiques. Les musiciens sont assis, y compris les back-vocals ; le vocalista est debout, seul devant tous.
Pedro