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Publié par Pedro

 

Chronique sur une signification formelle de Bankoko Baboyi

 

Un titre comme celui-ci met dans la tête de beaucoup que je vais m’étaler, de prime abord, sur les principes de causalité et d’autres thèmes philosophiques. Malheureusement, je suis de ces esprits superficiels qui voient la forme avant le contenu, toujours enclin au ludique et soutenant l’horreur du sérieux. Je m’en vais vous le démontrer tout à l’heure, comme dans une fable de La Fontaine.

 

Bankoko Baboyi est la première chanson où j’ai remarqué, à l’entrée de la deuxième phase de mon adolescence, qu’une chanson pouvait ne pas reprendre toute l’avant-refrain avant d’entamer son refrain. (Je dis « toute l’avant-refrain » au féminin pour permettre au mot « avant-refrain » de se placer dans la même case qu’ « après-midi », qui peut être masculin ou féminin – aucune autre raison). Qu’est-ce que j’entends par ce qui précède au-delà de la parenthèse ? J’étais habitué à la structure de la chanson qui reprenait l’avant-refrain à partir du premier couplet, après l’interlude instrumental. Un avant-refrain (masculin maintenant) commençait par « Naleli mingi o bandeko poso mine poso mine » et terminait pas « Alobi tokozongana te o », puis la guitare solo ou le saxo signifiait qu’on allait reprendre tout l’avant-refrain. Et Franco et quiconque chantait la première voix reprenaient la chanson à partir de « Naleli mingi o bandeko poso mine poso mine ».

 

Quand Bankoko Baboyi vient, je remarque qu’il y a effectivement le même interlude instrumental pendant lequel on entend les paroles où dit que sur la route entre le port de Matadi et IME-Kimpese le volant refuse de lui obéir. Très bien. Je m’attends à ce que l’avant-refrain reprenne « Nakeyi na Poto nasali mosala e sima nazongi mboka e ». Mais non. Pour la première fois dans ma vie, je m’aperçois qu’une chanson peut ne pas faire ça. Le compositeur a décidé qu’après l’interlude instrumental, l’avant-refrain reprendra à partir du couplet qui dit « Mokili mawa te eloko namoneli pasi yango bati miso o ». J’ai commencé à faire attention à cette structure, et la deuxième chanson qui n’a pas repris toute l’avant-refrain, à ma connaissance, fut Maria Mboka. Après l’interlude musical, l’avant-refrain recommence par « Maria Mboka motema mwa nga » au lieu de « Nayoki ya solo opanzi nde sango okaboli nde libala a a ». Mais, dans ma perception d’élève du cycle d’orientation, il me paraissait que Maria Mboka avait beaucoup plus de raison de ne pas reprendre tout l’avant-refrain. C’est comme si « Maria Mboka motema mwa nga » était le commencement d’une autre étape de l’avant-refrain dans la forme : une espèce de rupture. Bankoko baboyi, par contre, avait des couplets de l’avant-refrain qui se ressemblaient, à moins qu’on n’essaie une analyse plus profonde. Laquelle ?  Avant de répondre à cette question, il faut dire que je me suis rendu compte plus tard que j’avais déjà entendu des chansons qui ne reprenaient pas tout l’avant-refrain. Il y en aurait aussi plus tard. Voici une liste de huit chansons qui ne reprennent pas tout l’avant-refrain après l’interlude musical. Elles sont dressées par ordre alphabétique de leurs titres. Certaines sont pré-Bankoko baboyi ; d’autres post-Bankoko baboyi :

 

Titre de la chanson

Commencement de la chanson

Reprise de l’avant-refrain après l’interlude instrumental

Ayidjo

Posa ya la vie esili ngai bandeko nazoki na motema

Naboya mibali nyonso Papa po nazelaka yo namona yo wapi e

Bati miso

Tongo etana nalamuka bandeko Motema ekobeta nga ngai mwana nasali nini

Libala ekoti nde bafamille na kati Ekomi ya matata matata Helena

Caroline mama

Soki bayei koluka nga, ngai nakobomba te lakisa nzela nga nakei

Mobali akopesaka nga makanisi azalaka étudiant na Poto bandeko

Kimakango mpe libala

Mama nalembi nakobondela, Maria wuta lelo nabendi nzoto

Nabondeli ye po atika nalingi te oyo ezali etumbu ya famille

La vérité blesse

Tati yeye Tati lelo nazwi tango po nayebisa yo likambo ekoswa ngai

Boni y’okomi e p’omona ngai e pamba na miso na yo Okomi kolakisa mobulu nayo dis e okobanga lisusu te

Oya Sela

O motema ekosala ngai pasi  ngai likambo te o Ya Sela

Okozikisa nga motema soki nayoki yo na likambo o Ya sela Leya

Ngoya

Nakamwe mingi o nakamwe mingi mama Ndenge osali ngai e

Bolingo mosusu bolingo ya mbongo e Ya ngai na yo Bolingo ya mbongo te

Sata

Mokolo nini tokokutana Sata Mbula nini nakoyoka mongongo na yo

Mbula nini y’okozonga mboka yo Sata

D’autres titres

D’autres commencements

D’autres reprises

 

De retour à Bankoko baboyi, il fallait donc une analyse plus profonde où le début de la chanson est une narration, une succession d’évènements : « Je vais ici, je fais ceci, puis je reviens. J’arrive ici, je me renseigne et on me dit tout ce qu’il faut. Je me rends ici et à mon retour, il m’arrive ceci, etc. » La narration s’achève et le compositeur commence à interpréter ce qui lui est arrivé : « Mokili mawa te eloko namoneli pasi … ».

 

Ça, ça me rappelle quelque chose d’autre. En 1972 ou 1973, notre professeur de français, M. Guy Tordeur, se rend à Kinshasa dans sa VW beetle (la même marque de voiture, nous disait-on, dont le volant a désobéi au conducteur de Bankoko baboyi entre Matadi et IME). Qui ramène-t-il à travers la route poussiéreuse de Ngombe Matadi ? Paul Lomami Tshibamba, l’auteur de Ngando le Crocodile. C’est la première fois que certains d’entre nous écoutaient un écrivain parler. Il nous raconta comment il a été chassé du séminaire par les prêtres. Pendant une leçon de philo, nous dit-il, il insiste que, contrairement à la ligne des principes de causalité qui leur était enseignée, quand on voit de la fumée s’exhaler d’une chaumière il ne fallait pas dire qu’il y avait du feu dans la case, mais plutôt que « QUELQU’UN avait allumé le feu dans cette case-là ». Ce raisonnement fut considéré comme dangereux et la direction de l’école lui montra par où quitter la mission catholique. Ce que Lomami Tshibamba voulait nous expliquer, c’est qu’il est parfaitement normal pour un africain de penser que si tu as un accident d’auto, quelqu’un a bloqué le volant.

 

Maintenant, je vais demander aux mbokatiers de compléter le tableau ci-dessus avec d’autres chansons dont l’avant-refrain ne recommence pas par le début après l’interlude instrumental.

 

Pour confirmer que les choses ne sont pas aussi simples quand on s’amuse à la recherche d’une théorie de classification de la structure de la chanson, voici l’exemple d’une chanson qui me donne l’impression qu’elle contient une introduction. Cette introduction, je ne veux pas la considérer comme le commencement d’un premier couplet de l’avant-refrain. C'est-à-dire, quand on reprend l’avant-refrain après l’interlude instrumental, c’est comme si la reprise portait sur toute l’avant-refrain et non pas quelque part au milieu, comme les chansons dans le tableau ci-dessus.

 

Titre de la chanson

Introduction

Véritable commencement de l’avant –refrain

Mokrano

Mado nalingaki yo o Lelo nazali kokamwa na oyo osali nga a a solo eleki nga Nakobosana te

Mado natiaki yo confiance Olongoli na nga posa ya kolinga

D’autres titres dans cette structure

D’autres introductions

D’autres véritables commencements

 

Il y a des chansons dont l’introduction est un couplet qui reviendra dans l’avant-refrain ou dans le refrain.

 

Titre de la chanson

Introduction

Véritable commencement de l’avant-refrain

Reprise de l’avant-refrain après l’interlude instrumental

Ntumba

Ntumba, yeba ozali moziki ya Fiesta ngo tozala a a a po nakoma sérieux

Ntumba mama toyebanaki ngai na yo na Lubumbashi kino lel’oyo tozali kaka na yo

Nakanisi ozalaki na sanza na Lubumbashi oyaki mobembo

 

Et il y a des chansons qui ne reprennent pas l’avant-refrain. Les couplets de l’avant refrain sont chantés une fois chacun et l’on enchaine directement AVEC le refrain. Un exemple de ces chansons est Mofuku na Libenga.

 

 

 

Chers mbokatiers, les chansons qui vous viennent à l’esprit, classifiez-les comme :

1.       Dans la lignée de Bankoko baboyi

2.       Dans la lignée de Mokrano

3.       Dans la lignée de Ntumba

4.       Dans la lignée de Mofuku na libenga

5.       D’autres lignées

6.       Dans la lignée de Fifi nazali innocent, c'est-à-dire la norme où l’on reprend tout l’avant-refrain.

 

Pedro

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M
Pedro,<br /> Voilà pourquoi la musique est un art. Parfois, un artiste réalise une œuvre dont il est incapable d’expliquer personnellement. Un jour, les journalistes allemands, lors d’un championnat européen auquel participait la France avec Zidane, qualifiait ce dernier d’un « danseur », au sens artistique du terme. C’est-à-dire que ces spécialistes ont trouvé en un footballeur « Zidane » en l’occurrence, les qualités d’un danseur.<br /> C’est pourquoi il faut des érudits pour décortiquer les caractéristiques des chansons congolaises. C’est ce que tu fais ici Pedro. À cet égard, l’analyse qualitative de la chanson congolaise fait partie de la particularité et du succès de mbokamosika. Cette disposition à déceler ce qui est caché aux yeux du commun des mortels n’est possible que par des personnes à la formation multidisciplinaire.<br /> <br /> Messager
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P
Mon goût des spéculations sur la structure de la chanson congolaise a commencé à Lubango où j’enseignais à l’école secondaire avec des collègues blancs qui se plaignaient de la « monotonie de la musique congolaise ». Ils s’étonnaient que j’aime tellement une musique « qui ne faisait que répéter les mêmes choses ». Ça risquait d’appauvrir mon esprit, disaient-ils. J’essayais alors de leur expliquer que chaque chanson était en fait différente d’une autre. Même les chansons que je viens de caser ensemble ne se ressemblent qu’en un seul critère : où est-ce que l’avant-refrain reprend après l’intermède instrumental ? Il y a toujours une différence. Par exemple, je dis que l’introduction de la chanson Ntumba est reprise plus tard dans le texte de la chanson (Ntumba yeba ozali moziki ya Fiesta ngo tozala a a a po nakoma sérieux). Par ce critère, Ntumba se case avec Café Rio (Ban’a mboka bakomela na Café Rio oooo). Mais, ce n’est pas exactement la même chose. Une seule voix chante l’introduction de Ntumba. La même voix continue en solo avec le véritable commencement de la chanson (Ntumba mama tokutanaki ngai na yo na Lubumbashi kino lel’oyo tozali kaka na yo). L’introduction de Café Rio, en revanche, est chantée en chœur, avant qu’une voix solitaire ne commence la chanson (Nzala ezali na nga / pongi etondi na miso …). Donc, Nzele Sukuma peut se caser avec Mofuku na Libenga si l’on considère Olukaka makambo e okozwa comme un slogan ou une devise. Ce sont des mots parlés avant qu’on ne commence à chanter. Olukaka makambo est entonné par une personne et un groupe de gens répond Okozwa. De la même manière, une personne dit Kopo na loboko et un groupe de gens répond Lisolo na monoko. La personne entonne encore Moziki pembeni et le groupe répond Mofuku na libenga. Maintenant, je ne sais même pas si Nzele Sukuma a un refrain. Je ne crois pas que Moninga e moninga e soit un refrain proprement dit. Par contre, Kisasa elingaka bisengo na bisengo kopo na maboko lisolo na monoko est sans doute le commencement d’un refrain. Je les case donc ensemble tout en sachant qu’elles sont différentes à beaucoup d’égards. Bref, cette tentative de classifier les chansons par leurs structures rehausse l’idée que la chanson congolaise n’est pas aussi monotone qu’on le croirait.
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M
Pedro,<br /> Ton article a une portée académique. En attendant que les mbokatiers répondent à tes questions, je te suggère d'auditionner la chanson "Nzele Sukuma" de Bombenga et le Vox Africa et d'essayer de la classer. Elle commence par *Olukaka makambo eh, okozua". Donc elle commence par un proverbe. Qu'en penses-tu?<br /> <br /> Messager
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