Abbé Jean Loya, martyr de l’indépendance
Abbé Jean Loya, martyr de l’indépendance
Une école secondaire à Ngiri-Ngiri et une rue dans la commune de Bumbu portent son nom. Dans les années 40 et 50, il a travaillé comme prêtre dans le Bas-Congo d’abord puis à Léopoldville avant de mourir dans un accident de circulation suspect. Plus d’un demi-siècle après sa disparition, son souvenir est encore vivant. Cet abbé, indépendantiste de première heure qui a chauffé ses ouailles par ses prêches incendiaires ; ce pionnier de l’indépendance qui par son courage a défié l’autorité coloniale et qui est mort en martyr n’est autre que Jean Loya. Hommage lui est aujourd’hui rendu pour le centenaire de sa naissance car il a écrit avec son sang les tristes dernières pages de la fin de la colonisation belge au Congo.
Sa vie
Originaire de Kipako, Jean Loya est né le 26 décembre 1914 à Kinkondongo (Ngindinga ?) dans le Bas-Congo. Il entre au grand séminaire de Mayidi. Il y fait la philosophie puis la théologie. Au terme de ses études, il est ordonné prêtre le 8 août 1943 à Kisantu. Son confrère de promotion est le futur monseigneur Pierre Kimbondo. Le jeune Loya débute son apostolat dans ses terres à Kipako. Il réussit à réconcilier catholiques et protestants qui dans cette localité se considéraient comme des ennemis irréductibles. Le prêtre va poursuivre sa mission à Kisantu. Outre ses charges ecclésiales, il est nommé en 1948 membre du Conseil de province de Léopoldville pour remplacer l’abbé Stefano Kaoze, le premier prêtre congolais ordonné en 1917. Installer dans la capitale, il devient en 1956 vicaire à la paroisse Sainte Marie (Notre Dame du Congo) à Saint-Jean (Lingwala) ; puis en mai 1959, curé de la paroisse Saint Pie X à Ngiri-Ngiri. Loya y assume aussi l’aumônerie des intellectuels congolais et de l’ABAKO. A l’approche de l’indépendance, ses prédications incendiaires à Saint Pie X drainent des foules nombreuses car le vaillant prêtre n’hésite pas à fustiger les injustices du colonisateur. Bien souvent, lorsqu’il rencontre un Blanc porté en tipoy par des Congolais, il lui demande de descendre et de continuer sa route à pied comme tout le monde. Intellectuel engagé ayant pour devise "Soyons nous-mêmes", il est partisan de l’indépendance immédiate et inconditionnelle. Loya est fiché par les services de la sécurité coloniale comme l’un des plus dangereux activistes du Congo. Il est aussitôt mis dans le collimateur. Catalogué membre de l’ABAKO, l’ecclésiastique participe à toutes les grandes réunions de cette organisation et mène la lutte pour l’indépendance du Congo dans l’ombre. Avec Raphaël Batshikama, l’abbé est l’une des têtes pensantes du parti où il joue un rôle moteur. Certains de ses amis le poussent à embrasser une prometteuse carrière politique. Le jeune abbé refuse et reste fidèle à sa vocation sacerdotale. Dans la foulée des événements qui suivent les émeutes du 4 janvier 1959, son implication personnelle sera discrète, efficace et déterminante.
Le 4 janvier 1959
Lorsque les troubles éclatent à la place YMCA, Jean Loya se trouve à Yolo-Nord sur la chez ses parents. C’est là que plus tard Kasa-Vubu, recherché par la police coloniale, vient trouver refuge. Accusé d’être l’instigateur des événements qui ont ébranlé Léopoldville, le fugitif qui a peur d’être trahi par les siens veut aller au Kongo Central pour sa sécurité. L’abbé le lui déconseille et trouve une astuce, celle de maquiller le célèbre fuyard. Étant trop brun, la sœur du prêtre applique avec finesse sur sa figure de la poudre obtenue après avoir broyé des morceaux de braises. Puis le futur président enfile la soutane de Jean Loya qui le prend à bord de sa coccinelle. Ce stratagème permet au faux abbé accompagné du vrai prêtre de franchir incognito toutes les barrières dressées par la police coloniale. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ! Son jeu repéré, Jean Loya est appréhendé puis jeté au cachot du camp Léopold (Kokolo) où il aurait été victime de sévices corporels et aurait reçu des menaces de mort. L’abbé est libéré quelque temps plus tard sur intervention d’un commissaire de police belge. Une fois libre de ses mouvements, alors qu’il se sait ficher, il récidive. N’écoutant que la voix du devoir, le prêtre téméraire va à Kinkole négocier avec les pêcheurs pour la traversée vers Brazzaville des leaders de l’ABAKO recherchés à Léopoldville. Comme il commence à donner le tournis aux autorités, il devient la bête noire des milieux coloniaux qui se livrent à une filature assidue du prêtre. Les Belges le présentent désormais comme le cerveau de ce qu’ils appellent "le nationalisme Bakongo à Léopoldville".
Accident ou assassinat ?
Jean Loya séjourne à Kisantu où il a passé le week-end auprès de son évêque et ami monseigneur Kimbondo. Il est spécialement venu de Léopoldville pour lui dire au revoir. En effet, comme la date du 30 juin 1960 approche, l’abbé veut sortir du pays pour ne revenir qu’après la proclamation de l’indépendance. Un voyage est prévu pour Bruxelles et Rome. Une façon pour lui de prendre du recul pour ce que beaucoup qualifient d’engagement politique du prêtre. Le lundi 30 mai 1960, il doit rentrer à Léopoldville car son départ pour l’Europe a lieu le lendemain. Il prend congé de son hôte et quitte Kisantu dans l’après-midi. Le voilà déjà sur la route du retour au volant de sa modeste VW. Vers 15 heures, il atteint un petit village situé entre Madimba et Sona-Bata appelé Lukusu. Arrivé au niveau de la rivière du même nom, il négocie un grand virage. L’endroit est réputé dangereux. Alors qu’il arpente la courbure, apparaît soudain un grand camion de transport des soldats de la Force publique qui roule en sens inverse. Brusquement, le véhicule de l’armée quitte sa bande et fonce à vive allure sur la voiture de Jean Loya. Celui-ci s’aperçoit du danger mais ne peut éviter la collision car il est trop tard. Le choc est frontal et violent, le fracas assourdissant. L’imposant camion militaire broie carrément la minuscule coccinelle. Bloqué à l’intérieur, l’infortuné ne sortira pas vivant de cet amas de tôles froissées. Est-ce un accident anodin dû à l’imprudence du chauffard militaire ou au contraire un véritable assassinat politique camouflé ? La population penche pour la seconde option. Elle croit à un homicide, à une exécution planifiée et commanditée par l’administration coloniale qu’elle tient pour responsable de la mort de Jean Loya. L’autorité coloniale aurait empêtré l’ecclésiastique dans un traquenard pour l’éliminer. L’aumônier des évolués n’avait-il pas été fiché et mis dans le collimateur de la sécurité ? L’abbé rebelle disparaît tragiquement un mois jour pour jour avant la proclamation de l’indépendance pour laquelle il s’est tant battu comme prêtre, intellectuel et Congolais. A-t-il payé de sa vie son activisme, son patriotisme, son nationalisme et son héroïsme? Était-il l’homme à abattre à cause de sa liberté de parole et de ses actes de bravoure ? Quoi qu’il en soit, le prêtre indocile a accumulé toutes les rancœurs des autorités coloniales autour de sa personne et de son nom. Trente jours seulement avant de quitter définitivement le Congo, la colonisation belge venait de faire sa dernière victime. Combattant de l’indépendance, intellectuel brillant et militant de première heure, Jean Loya ne verra jamais la libération de son peuple du joug colonial.
Stèle à Lukusu
Le lundi 30 mai 2011 à 15 heures, soit 51 ans jour pour jour et heure pour heure après la disparition de Jean Loya, le gouvernorat du Bas-Congo a réhabilité ce digne fils du pays. Une stèle est érigée en sa mémoire juste à l’endroit où il a été tué sur la Nationale n°1 à Lukusu. Mais l'ONG "Solidarité Lukaya" pour qui le défunt prêtre est un martyr de l’indépendance mieux un héros national, se bat pour qu'un véritable monument soit construit à cet emplacement.
Ses écrits
L’abbé Jean Loya s’est intéressé à l’écriture dès sa sortie du séminaire. Ses écrits sont en kintandu (une variante du kikongo), sa langue maternelle et en français. Son premier livre "Nsi ya itemuka" (Pays de renaissance) paraît à Kisantu dès 1943. A partir de 1945, ses réflexions apparaissent dans Tribune Libre et La Voix du Congolais, deux journaux basés à Léopoldville. En 1955, il publie un recueil de contes intitulé "Bimpa bi ma Nsiesi ye ma Ngo" (Les contes de la gazelle et du léopard). En 1992, une fable tirée de ce livre paraît aux éditions Loyola en forme de BD sous le titre Ngo ugonda ngudi mu bwifi bukudia : Le glouton léopard tue sa mère. C’est une bande dessinée bilingue dont le texte adapté par le Père Ndundu est illustré par Jean-Claude Kimoni Totakanda.
Samuel Malonga