Organisation et fonctionnement du collège des commissaires généraux
.
Après la publication sur notre site des confidences de la République sur le transfert de Lumumba et ses compagnons, nous avons reçu un document de Jean Omasombo Tshonda sur l’organisation et le fonctionnement du collège des commissaires généraux.
Compte tenu du nombre très important d’éléments contenus dans ce travail de mémoire, nous invitons tous ceux qui veulent savoir le rôle joué par chacun des acteurs à le lire attentivement avant d’émettre leurs avis.
Affaire Lumumba : Organisation et fonctionnement du
Collège des Commissaires Généraux
20 septembre 1960 — 9 février 1961
(par Jean Omasombo Tshonda)
______
SOMMAIRE
Avant-propos ..............................................................
Introduction : empêcher la réconciliation politique entre
leaders congolais et constituer trois principaux
pouvoirs à Léopoldville .........................................
— Kasa Vubu, le chef de l’État, se fait bousculer
pour agir; mais aussitôt retourne à sa cachette
— Mobutu, le chef de l’armée, peureux ! .............
— Justin Bomboko, le Président du Collège, se
montre déterminé dès le départ dans l’action
contre Lumumba ..............................................
I. Le Collège des Commissaires généraux .............
a) Qui a créé le Collège des Commissaire généraux
? ...............................................................
b) Composition du collège ...................................
c) Fréquence des réunions et assiduité des membres
..................................................................
d) Illusion de posséder le pouvoir ........................
e) Le choix de Bomboko pour diriger le Collège ..
II. Groupe de Binza : une structure où se rejoignent
les pouvoirs de Léopoldville .................................
a) Origine du Groupe de Binza ............................
b) Identification des membres et fonctionnement
du Groupe de Binza .........................................
i) Identification des membres ..............................
ii) fonctionnement du Groupe de Binza ...............
III. Responsabilités de ces acteurs des événements
qui se passent au Congo .....................................
a) Des faveurs pour les encourager à agir ..........
b) Des instructions qui ressemblent à des ordres.
IV. Observations générales
AVANT-PROPOS
L’assassinat de Patrice Lumumba intervient en janvier 1961
à un moment où le mandat du Collège défini par Mobutu a
pris fin — en décembre 1960 — et qu’aucun autre acte n’a
pas prolongé celui-ci.
La formation du Collège des Commissaires généraux en
septembre 1960 introduit au sommet du pays un groupe d’acteurs
tout frais émoulus de l’université. Cette incorporation —
et/ou la mission confiée aux membres du Collège — va avoir
un rôle important dans la structuration d’une élite « politicocommerciale
» qui « influencera » la destinée du Congo. En
se reproduisant dans la durée, elle va, en effet, devenir le
modèle de gestion de l’État, les Congolais y ayant dorénavant
pris goût.
Le texte de ce travail repose sur les rapports que nous
avons précédemment transmis à la Commission, principalement
les deux premiers, qui datent des mois d’août et d’octobre
2000 et s’intitulant : « Collège des Commissaires généraux
et autres acteurs Congolais (septembre 1960 — janvier
1961) : Biographies, chronologie des événements et comptes
rendus des réunions » (98 pages); « Acteurs Congolais et
cours des événements : juin 1960 — février 1961 » (218
pages).
Nous nous sommes servi, pour réaliser notre premier rapport,
des données contenues dans 45 procès-verbaux des
réunions du Collège ainsi que de communiqués émanant de
ses membres. La période couverte va de la création du Collège
en septembre 1960 jusqu’à sa dissolution officielle le
9 février 1961.
Rappelons que nos premiers travaux étaient pour la plupart
des monographies qui reproduisaient généralement des
documents. Dans leur rédaction, nous avions, en effet, voulu
éviter de nous engager dans des analyses ou des jugements
qui sortaient du cadre impersonnel, et nous étions efforcé de
réduire la part de l’interprétation afin de laisser la place la
plus importante à une information située dans son contexte.
Par rapport à ces travaux antérieurs, ce texte — qui en
est une synthèse — ne reproduit plus dans leur entièreté
les nombreux documents que nous citons, les « quatre experts
» de la Commission, qui sont les auteurs du rapport transmis
aux parlementaires, en ayant pris connaissance.
Dans ce texte, en cas de renvois à nos travaux antérieurs,
nous utiliserons les sigles R1 ou R2, etc ... pour désigner le
premier ou le deuxième rapport, ... suivis des numéros de
pages auxquelles l’extrait ou l’idée renvoie.
DOC 50 0312/007
INTRODUCTION : EMPÊCHER LA RÉCONCILIATION
POLITIQUE ENTRE LEADERS CONGOLAIS ET CONSTITUER
TROIS PRINCIPAUX POUVOIRS À LÉOPOLDVILLE
À la fin du mois d’août et au début du mois de septembre
1960, la situation politique du Congo devient de plus en plus
confuse. Tout semble être fait pour évincer Lumumba. Cette
situation est la résultante des pressions étrangères jointes
aux intérêts de divers pouvoirs locaux (1).
Après la proclamation des sécessions du Katanga et du
Kasaï en juillet et au début du mois d’août et alors que l’ONU
commence à critiquer de manière ouverte l’action de Lumumba
— surtout avec l’affaire de Bakwanga — le temps
semble venu de détruire les derniers éléments formels sur
lesquels s’appuyent l’autorité du Premier ministre congolais:
le gouvernement et les Chambres. Lumumba est démis de
ses fonctions par Kasa Vubu le 5 septembre 1960. Mais il
faut dans le même temps trouver des hommes et/ou des pouvoirs
pour la parade, en partant de ceux qui émergent ou sont
susceptibles d’acquérir assez rapidement une certaine efficacité.
On ne peut s’attaquer à l’autorité de Kasa Vubu, bien
que celle-ci soit faible, elle doit être au contraire protégée.
C’est du côté de Joseph Iléo — désigné Premier ministre
en remplacement de Lumumba — que l’on se tourne :
l’homme paraît peu habile et ne parvient pas à prendre le
dessus. Avec l’équipe gouvernementale qu’il se constitue, on
le voit incapable de récupérer à lui seul la situation en faveur
des anti-Lumumba.
Un deuxième coup est porté le 14 septembre. Mobutu,
après Kasa Vubu, entre en scène, en annonçant la « neutralisation
» du chef de l’État Kasa Vubu et du premier ministre
Lumumba (2) et la création du Collège des Commissaires.
Parce que la création du Collège prend la place de « son »
gouvernement, seul Lumumba est rejeté, Kasa Vubu conservant
sa fonction de chef de l’État. Certains membres du gouvernement
Iléo, dont Delvaux, Adoula et Iléo lui même, par
exemple, se montreront cependant actifs pendant toute la
durée de vie du Collège (3).
Voici les propos d’une discussion au cours de la réunion
du Collège du 21 décembre 1960 :
« (...) J’objecte que Bo-Boliko ait dit que nous devons remettre
la démission, nous n’avons pas été maîtres, c’est Mobutu
qui doit prendre cette décision » réagit Mukamba.
« C’est un fait exact, dit Pongo, il faut alors dire à Mobutu
de faire une déclaration à la radio et ce pour nous éviter des
répercutions fâcheuses dont nous pourrons être victimes ».
« Cette décision, affirme Watum, doit être prise par le Chef
de l’État. Mobutu avait parlé d’abord de la neutralisation de
deux gouvernements ainsi que le Chef de l’État, il nous avait
demandé d’être de notre côté neutres, mais nous avons, du
moins la majorité, se sont penchés du côté du gouvernement
Iléo, ce qui n’est pas bon pour notre réputation. ».
« Pour Tshisekedi : Cette question est si simple, il faut simplement
considérer les déclarations des leaders politiques qui
étaient d’abord opposés à la formule et qui sont pour le moment
pour. Je dois vous donner ici l’exemple de MM. Tshombe
et Kalonji qui sont pour la continuation du Collège. ».
« Watum réagit en affirmant que le Gouvernement Iléo est
devenu très hostile à notre égard ».
Tshisekedi lui répond :
« Il est exact, mais pour le moment, les esprits des leaders
intransigeants sont au moins apaisés. Je vous parle en connaissance
de cause car j’ai participé à la rédaction du communiqué
de Bolikango, Kalonji et Kasa Vubu. C’est vous dire
que nous sommes en quelque sorte soutenus. ».
André Mandi (4), qui assiste à la première réunion du Collège
tenue le 21 septembre, bien qu’il n’y ait été invité, (il
aurait pu s’intégrer vu le fait qu’il y avait encore de la place,
l’appel aux candidatures se faisant encore) ne trouvera jamais
sa place. La raison en paraît bien simple : il n’a pas
compris ou fait semblant de ne pas comprendre le sens de la
décision qui a mené à la création du Collège. Voici l’intervention
qu’il fait :
«M. Mandi (...) fait remarquer que le Collège étant impartial,
il ne lui appartient pas de se mêler de la politique. Il souligne
que si le Collège des Commissaires décide de déloger
les ministres révoqués et les membres de cabinet, la population
aura l’impression que ce Collège est en faveur d’un Gouvernement
(celui d’Iléo) et contre l’autre (celui de Lumumba.
À ce fait, ajoute-t-il, nous devons rester neutre et oublier les
deux gouvernements neutralisés. ».
*
* *
Avec la mise en place du Collège des Commissaires généraux,
Justin Bomboko, ministre des Affaires étrangères dans
le Gouvernement Lumumba (qui avait contresigné l’ordonnance
de révocation du premier ministre par le chef de l’État)
complète la structure du pouvoir. Aux pouvoirs de Kasa Vubu
(qui reste Président de la République) et de Mobutu (qui s’empare
de la direction de l’armée en écartant Victor Lundula)
s’ajoute celui de Bomboko, promu chef du « Gouvernement ».
Avec ces personnages qui (re) trouvent des postes, ce sont
là les trois pouvoirs formels (présidence, armée et gouvernement)
les plus importants à Léopoldville sur lesquels va s’appuyer
l’action anti-Lumumba.
Mais dès le départ, seul Bomboko semble déterminé à affronter
directement Lumumba. Les deux autres pouvoirs paraissent
assez mous, hésitants voire craintifs. En puisant dans
les documents, voici un aperçu de leurs attitudes à la fin septembre/
début octobre 1960 :
Kasa Vubu, le chef de l’État, se fait bousculer pour agir;
mais aussitôt retourne dans sa cachette
Télégramme du 26 septembre de la Mission Technique
Belge à Élisabethville au ministre des Affaires étrangères et
au ministre des Affaires Africaines à Bruxelles :
« Ai eu hier midi une intéressante conversation avec
Rikhye :
Primo : celui-ci confirme état de désorganisation totale qui
règne à Léopoldville et le manque de détermination de toutes
les personnalités politiques à l’exception de Lumumba.
Kasa Vubu depuis son discours révoquant Lumumba n’a
pris aucune initiative . Il n’a même pas cherché à exploiter
l’état d’émeute qui existait au camp Léopold lorsque Lumumba
y était assiégé. M. Dayal lui a rendu visite à ce moment pour
demander qu’il lance un mot d’ordre d’apaisement et il s’y est
refusé. Rickye a souligné la difficulté qui existait pour les Nations
Unies de faire face à cette situation chacune des tendances
venant trouver Dayal pour lui reprocher sa partialité
et pour demander son assistance contre les autres factions.
C’est ainsi que l’ONU a assuré une garde à chacun des leaders
politiques mais il est évident que celle-ci a pour unique
rôle de protéger la personne gardée contre les attentats arbitraires.
Il a confirmé que Lumumba pourrait être arrêté sur
présentation d’un mandat légalement rédigé. Malgré les affirmations
de Kasa Vubu toutes les délégations qu’il a envoyées
pour arrêter Lumumba n’ont pu réunir le courage suffisant
pour traverser le peloton de garde (...) ».
Pour que le Chef de l’État Kasa Vubu se décide à se séparer
de — et à s’engager contre — Lumumba, deux moyens
ont été employés, déclare Victor Nendaka.
1° Des conseillers étrangers, des ambassadeurs et
d’autres émissaires, qui rencontrent directement Kasa Vubu,
exercent sur lui des pressions constantes pour finir par lui
arracher les décisions voulues.
2° Des étrangers occupant des positions plus subalternes
s’emploient à agir sur l’entourage du Chef de l’État. Cinq personnes
de son entourage sont susceptibles d’amener Kasa
Vubu à changer de position. Il s’agit de Vital Moanda, Antoine
Kingotolo, Gaston Diomi, Fulbert Luyeye et Raymond Bikebi.
Il apparaît qu’à cause de la décision de révocation de Lumumba,
(le signataire) Kasa Vubu lui-même n’aurait pas apprécié
l’influence de ses conseillers sur lui. Ainsi, A.J.J. Van
Bilsen perdra son poste au cabinet du chef de l’État. La lettre
qu’il (Van Bilsen) adresse à Kasa Vubu le 2 octobre 1960,
non reprise dans nos précédents rapports, est remplie d’éléments
éclairants.
« À Monsieur Kasa Vubu, Président de la République à
Léopoldville
Cher Monsieur le Président,
Je Vous remercie de m’avoir reçu hier, en votre Résidence,
et suis heureux d’avoir pu faire avec vous un large tour d’horizon.
Je voudrais, comme je vous l’ai proposé, dans les pages
qui suivent, revenir sur les divers thèmes de notre conversation
et en expliciter certains aspects.
1. Sur nos relations personnelles
Mais avant toutes considérations sur la situation politique,
je veux vous dire combien il m’a été dur, après les événements
du 5 septembre, de devoir me résoudre à interrompre
notre collaboration, M. Kini estimait que ma présence n’était
pas souhaitée à cause des attaques de l’Ancien Premier ministre
contre moi, et combien je suis navré aujourd’hui de
devoir constater à nouveau que dans votre évaluation les inconvénients
de ma présence auprès de vous sont plus grands
que les avantages, que les services que j’aurais pu être amené
à vous rendre.
Dès le 6 septembre vers midi, j’avais signalé à M. Kini, par
téléphone, que les attaques de la radio contre moi posaient
un problème de sécurité et je suggérais que je vienne rejoindre
la Résidence pour y demeurer temporairement. Le Chef
de Cabinet m’a répondu qu’en raison des attaques lancées
contre moi, et parce que j’étais mis en cause comme un des
principaux instigateurs du «complot» et un agent du colonialisme
belge et occidental, il était inopportun que je me trouve
à la Résidence. Les jours suivants et après les attaques de
M. Lumumba contre moi au Parlement, M. Kini m’a encore
confirmé ce point de vue. C’est ainsi que lorsque finalement
le jeudi 8 septembre M. Kini m’a fait savoir qu’il y avait un
mandat d’arrêt contre moi tout en insistant pour que je ne
vienne pas à la Résidence, j’ai décidé, le lendemain, 9 septembre,
de quitter le pays.
À Brazzaville, je me suis efforcé de me rendre utile en aidant
le ministre Bomboko, lors de son passage, ainsi que le Premier
ministre (Iléo), notamment à l’occasion de la première
prise de contact avec les délégués du Katanga, MM. Kimba
et Yav. J’ai pu, à plusieurs reprises entrer en communication
téléphonique avec vous.
Étant donné l’importance pour le Congo et pour votre Gouvernement,
des délibérations du Conseil de Sécurité, je me
suis alors rendu à New-York, selon le désir de M. Bomboko,
avec l’accord de M. Iléo et après avoir pris contact avec vous
au téléphone.
Ensuite, je suis passé par Bruxelles, ayant acquis la conviction
lors des conversations de Brazzaville entre MM. Iléo
et Kimba et Yav que les clés de la rentrée du Katanga dans la
République se trouvaient en grande partie à Bruxelles, la résistance
des Katangais étant étroitement liée aux appuis
matériels et moraux reçus en Belgique. M. Bomboko était au
courant de ce projet.
De Bruxelles je comptais rentrer à Léo le 23 septembre.
J’ai tenté de vous téléphoner à ce sujet le 22. M. Nsau m’a dit
alors que vous préfériez que j’attende que vous m’appeliez,
et ce pour des raisons de sécurité, la situation n’étant pas
encore éclaircie tout à fait.
Me rendant à cet argument, j’ai différé mon retour de 8 jours.
Puis, la situation s’étant consolidée pour une longue période
par l’installation par vous-même du Collège des Commissaires
Généraux, j’ai décidé de rejoindre mon poste. Le fait que
M. Reynaert m’avait annoncé avoir été appelé par vous et par
M. Iléo me confirmait dans mon sentiment que la situation
s’était suffisamment éclaircie.
Hier, au cours de nos entretiens, j’ai dû me rendre compte
que tout en me conservant votre entière confiance, vous estimez
que ma présence auprès de vous était à ce moment
« compromettante », car vos adversaires politiques et aussi
l’armée ne supportaient pas la présence et l’ingérence de
Belges, et ce sans discrimination.
Il va de soi que ce serait fort indiscret de ma part, après
cela, d’insister, voire de plaider l’importance que pourrait avoir
pour vous la collaboration technique qu’en qualité de conseiller
politique je pourrais vous apporter. Selon votre désir,
j’ai décidé de me retirer temporairement et même de quitter
Léopoldville. Je partirai d’ici quelques jours, après avoir revu
un certain nombre d’amis et pris contact — discrètement —
avec les membres du Collège des Commissaires Généraux.
Je tâcherai également d’avoir quelques entretiens avec des
dirigeants de l’ONU.
Entre-temps, je m’efforce d’obtenir de la Fondation Ford —
dont je vous ai un jour amené à déjeuner le représentant au
Congo, M. Heaps — les moyens financiers pour faire un
voyage d’étude dans quelques pays africains. Je vous signalerai
mes adresses successives et vous me ferez parvenir occasionnellement
des notes sur des sujets susceptibles de vous
intéresser et d’intéresser le Gouvernement, surtout en vue de
la conférence constitutionnelle.
Ceci étant dit, et mon départ ne posant plus aucun problème,
je veux être tout à fait franc en vous disant qu’à mon
sens mon éloignement, temporaire ou non, par vous, pourrait
être considéré comme un signe de faiblesse.
Il y a des Belges partout à Léopoldville, depuis le Chef de
Cabinet adjoint de l’ex-Premier ministre Lumumba, les Chefs
de Cabinets ou Chefs de cabinet adjoints de presque tous les
ministres ou ex-ministres, et probablement aussi les Conseillers
des Commissaires Généraux, jusque même au sein
de l’armée où certains Belges continuent de servir en uniforme
et jouir de la confiance des officiers, sous-officiers et
soldats.
Or, on sait au Congo, comme en Belgique et même ailleurs
dans le monde, que je suis votre Conseiller. Ce n’est pas parce
que je me trouve à Bruxelles que ... M. Lumumba cessera de
prétendre que je suis votre mauvais génie ou même que ... je
me trouve auprès de vous dans votre Résidence, comme il l’a
déjà dit.
Par contre, vous, en m’éloignant, vous semblez accuser le
coup, vous risquez de donner l’impression qu’en effet, à vos
yeux aussi, je suis « brûlé », et vous semblez craindre les
reproches de vos adversaires.
Par mon voyage d’étude — d’environ un mois — je vais
tenter d’éviter que mon éloignement ne soit trop remarqué.
Car il est évident qu’en ce moment la place normale de vos
conseillers est à vos côtés, sauf s’ils se trouvent en mission, -
et que mon retour immédiat à Bruxelles susciterait des commentaires.
On chercherait les causes de ce qu’on appellerait
une « disgrâce », et cela ne serait pas bon ni pour vous ni
pour moi ...
Ceci étant dit, il va de soi, Cher Monsieur le Président, que
le Conseiller est là pour répondre lorsque celui qui l’a appelé
lui demande un avis, et non pour imposer ses vues le jour où
il l’estime utile ou revendiquer comme un « droit » d’être présent
auprès de la personne qui a fait appel à lui.
Sé/- A.J.J. Van Bilsen. ».
Mobutu, le chef de l’armée, peureux !
Le 14 septembre, « (…) tout de suite après le coup d’État
de Mobutu, la conférence de presse, (...) il était ivre mort. Il
avait vidé une bouteille de whisky à la conférence de presse,
Mobutu évidemment », déclare Serge Michel (5). Différentes
autres sources concordent à dire qu’après avoir joué le rôle
lui confié de déclencher le coup d’État, Mobutu se montre
dépassé. Il est écrit : « écrasé par le poids de la charge (…)
fut remis sur pieds par le docteur d’Aremberg, fondateur du
Fond Médical Tropical FOMETRO ». Un autre témoignage est
plus précis : « dépression ; piqûres du docteur d’Aremberg; a
réagi comme Ponce Pilate : il était parfaitement au courant ».
À la réunion du Collège du 24 septembre, Nussbaumer
déclare : « Le Colonel a peur d’arrêter les gens » (6).
Télégramme du 26 septembre 1960 du Consulat de Belgique
à Brazzaville au ministre des Affaires étrangères à Bruxelles
:
« J’ai reçu de Lahaye les informations suivantes pour vous,
Caeymax et ministre des Affaires Africaines
(...) Influence prépondérante de Kettani et Dayal sur Mobutu.
Mobutu a donné ordre libérer Mpolo, Gizenga et Lumumba.
Mobutu craint aussi fraction Batetela fort agissante
dans l’armée nationale.
(...) Signé Lahaye
Sé/Dupret » .
Télégramme du 26 septembre de la Mission Technique
Belge à Elisabethville au ministre des Affaires étrangères et
au ministère des Affaires Africaines à Bruxelles.
« (...)
Secundo : le départ des Russes, des Tchèques et des Polonais
a permis aux autres représentations diplomatiques
d’exercer une activité plus intense. Les Anglais et les Américains
ont estimé devoir accorder leur appui à Mobutu. Celuici
est presque aussi inefficace que les autres et son activité a
été fort diminuée par suite des attentats qui l’ont fort impressionné.
Il est en tout cas hostile à toute solution violente. ».
Justin Bomboko, le Président du Collège, se montre déterminé
dès le départ dans l’action contre Lumumba
Contrairement à Kasa Vubu et Mobutu, Bomboko est universitaire,
produit de l’Université Libre de Bruxelles. En juillet,
au moment où éclate la mutinerie, Bomboko prend position
pour l’intervention de l’armée belge contre l’avis de son Premier
ministre et du Chef de l’État. En août, il s’attaque à Lumumba
au Parlement. Déjà au mois d’août, lorsqu’il prend
ses fonctions au cabinet de Lumumba, Serge Michel dit avoir
vite observé : qu’« (…) en tout cas Bomboko ne joue pas le
jeu de Lumumba » (7). En septembre, c’est encore lui qui appose
son contreseing pour approuver la révocation de Lumumba
par Kasa Vubu.
Télégramme du 26 septembre stipulé :
« Voici un télégramme de New-York pour vous.
De la délégation Belge à l’ONU, n° 354 pour ministre des
affaires Africaines. Votre 341. Lumumba bénéficie appuis officiels
communistes et sera soutenu par tous si finalement il
gagne. Voie choisie par lui semble être réconciliation que celle
adjoint Bomboko parti hier pour Léopoldville cherche empêcher.
Il faut faire comprendre qu’avec Lumumba à personnalité
active et fascinante réconciliation n’est pas compromis
mais échec certain à terme rapproché.
Sé/Loridam+
P.S. veuillez lire à la place de celle adjoint Bomboko que f
e l e adjoint Bomboko ... ».
Télégramme du 13 octobre du Consulat de Belgique à Brazzaville
au ministre des Affaires étrangères à Bruxelles; à reproduire
au ministre des Affaires Africaines et à la Mission
Technique Belge à Elisabethville :
« Avons ce jour entretient intéressants avec Cordy. Il en
résulte
Primo : Bomboko très tendu est entièrement préoccupé par
conflit avec ONU suite refus laisser arrêter Lumumba (...) Avis
Cordy être de maintenir blocus temps maximum compatible
avec nécessité de ne pas perdre la face et entre-temps de
faire organiser coup de main par petit commando indépendant
de Force Publique.
Sés/ Dupret-Westhof ».
Dans la gestion quotidienne réelle, on le dira par après,
une structure informelle à laquelle Mobutu et Bomboko participeront
sans Kasa Vubu, le « Groupe de Binza », se chargera
d’organiser effectivement le pouvoir émietté. Cette nécessité
deviendra plus urgente lorsque Ndele, après
Nussbaumer — tous commissaires généraux —, se sera fait
agresser début octobre à Léopoldville par les partisans de
Lumumba.
Télégramme du Consulat de Belgique à Brazzaville au
ministre des Affaires étrangères à Bruxelles
« De Davignon pour Rothschild citation
Très urgent
J’ai rencontré dès mon arrivée délégation Katangaise qui
paraît satisfaite de l’entretien qu’elle a eu avec Iléo. (...) Croquez
vient d’apporter nouvelles Léopoldville où désorganisation
complète. Il semble que Mobutu agisse en accord avec
Kasa Vubu. Symptôme général : manque de détermination
dans l’action ce qui explique Lumumba pas encore hors état
nuire. Problème primordial paraît donc écarter Lumumba et
avoir union leaders congolais contre lui. Paraîtrait politique
que Katangais fassent déclaration générale avant retour Elisabethville
en ce sens (...). Mention conférence générale suffit.
Important que cette instruction puisse leur être adressée
par télégramme signé Tshombe. (...). Fin citation
Sé/Dupret ».
*
* *
Ainsi se termine cette première phase qui conduit progressivement
à l’isolement de Lumumba, c’est-à-dire, à sa garde
dans sa résidence encerclée, avant son achèvement ultérieur.
Au cours de cette phase, certains avaient espéré voir la crise
se résoudre de manière pacifique. Outre les tentatives de
conciliation entreprises par la commission de Weregemere et celles de M. David, Conseiller du représentant de M. Hammarskjöld
à Léopoldville, il y eut des interventions de Congolais.
Parmi celles-ci, on doit noter la démarche du Parti du
Peuple dirigé par Nguvulu (co-fondateur du MNC en octobre
1958), un parti formellement marxiste mais en fait fort modéré
dans les actes et proche de l’Abako. Les dirigeants de
ce parti tentèrent de persuader Lumumba d’accepter la décision
de Kasa Vubu et de mener l’opposition soit sur le plan
parlementaire, soit en réorganisant son parti à partir de son
fief de Stanleyville.
Quant au thème de la réconciliation, il continuera à être
évoqué dans les derniers jours de septembre, donc après la
mise en place du Collège, spécialement à partir du 24 septembre,
lorsque le Colonel Mobutu décidera de libérer Mpolo
et Gizenga et lorsque des délégations de militaires, dirigées
par le commandant Pwati, prendront contact avec Lumumba,
Kasa Vubu puis avec les autorités provinciales. À ce moment,
l’idée d’une réconciliation entre Lumumba et Kasa Vubu prend
souvent la forme d’un projet de conférence de la table ronde,
ouverte à tous. Le 26 septembre, Ileo mettra le monde politique
en garde contre une démarche qui le défavorise et qui lui
paraît illusoire : « Ce n’est pas en serrant la main de M. Lumumba
que M. Kasa Vubu aura résolu la crise congolaise. ».
Pour d’autres, dont Lumumba, un problème de relations entre
le Chef de l’État et le Chef du Gouvernement se pose;
mais le Parlement a indiqué la solution en imposant la coexistence
et la réconciliation.
Pour d’autres encore, Bolikango par exemple, la crise tient
principalement à la composition du gouvernement et à la répartition
des fonctions. Plusieurs commissaires mettent l’accent
sur la « crise institutionnelle », responsable des carences
dans la gestion et dans le mode de fonctionnement de
l’administration du pays.
Bref, ces tendances se retrouvent dans l’opinion politique
internationale. On ne pourrait toutefois en déduire qu’elles ne
recouvrent pas d’autres réalités, intérêts ou objectifs; ainsi, le
diagnostic de « crise institutionnelle » constitue, dans bien des
cas, l’alibi des forces qui verraient dans la balkanisation du
Congo une solution. De même, la recherche d’une solution
par le rétablissement de la coexistence entre Kasa Vubu et
Lumumba (donc aussi par le rétablissement de ce dernier dans
sa fonction du Premier ministre) est préconisée par ceux qui
soutiennent Lumumba et les tendances dont il est l’expression
historique.
À la fin de cette période, le Collège, pris en main par Ndele
et puis Bomboko, se convainc de la nécessité d’isoler Lumumba
et exige son arrestation. Il s’est rapproché ouvertement
de Kasa Vubu, Mobutu le boude. Si ce ne paraît pas
encore déterminé à donner l’assaut qui étouffera Lumumba,
l’opération — bien que lente — a déjà commencé. Il n’y a
plus d’illusion à se faire chez les partisans de Lumumba :
Mobutu n’est plus avec eux. Nkulufa, porteur d’une note de
Lumumba au Colonel, s’est vu menacé d’arrestation par ce
dernier qui, après lui avoir prodigué quelques conseils sous
un ton brutal, lui a remis une somme d’argent. Nkulufa viendra
dire à ceux qui l’ont envoyé, rapporte Onawelo, un proche
parent de Lumumba lié d’amitié à ce dernier : « José (Mobutu)
akomi mosika », ce qui se traduit par « José (Mobutu)
est déjà fort engagé (dans l’anti-lumumbisme) ».
I. LE COLLÈGE DES COMMISSAIRES GÉNÉRAUX
a) Qui a créé le Collège des Commissaire généraux ?
La déclaration que fait Mobutu dans sa conférence de
presse lors de son coup d’État concernant la lutte à mener
contre le communisme semble être un élément significatif de
l’enjeu. Elle constitue l’antithèse du discours de Lumumba.
Le 9 août 1960, celui-ci, après avoir ordonné l’expulsion de
l’Ambassadeur de Belgique et la rupture des relations diplomatiques
avec cette dernière, parlait de la France, de l’Angleterre,
des USA, de la Belgique et des missions catholiques
« comme agents de subversion et représentant l’impérialisme
néocolonial ».
Mobutu, lui, annonce le 14 septembre l’idée de la création
du Collège sans citer le nom mais détermine son sens voire
ceux qui vont le composer et l’assister : « (...) Aucun officier
ne sera ministre, ce n’est pas notre rôle. Nous demandons
plutôt aux universitaires et techniciens congolais de diriger
désormais le pays en dehors de toute option politique. Ceux
qui sont encore à l’étranger soit en stage soit à l’université
doivent rentrer d’urgence. (...) Ce sont eux qui feront ensuite
appel à des techniciens étrangers pour les aider à gérer le
pays. Je fais appel à des techniciens Américains et aux Anglais
pour qu’ils répondent favorablement à notre demande
» (8).
André Lahaye pense que Mobutu n’est pas l’initiateur du
projet de « Collège des Commissaires Généraux ». Mais
Lahaye dit ne pas savoir de qui il émane, prenant vite la précaution
d’ajouter qu’on ne peut songer à lui-même ! Selon
plusieurs sources, l’initiative de la création du Collège serait
externe à Kasa Vubu, qui continuait à préférer voir Iléo gouverner.
Bref, la paternité de ce projet est à rechercher ailleurs
que chez les Congolais.
Mobutu a parlé d’une réunion des officiers qui avait précédé
la conférence de presse. Les officiers Marlière et Kettani
y auraient pris part et auraient été au courant. Serge Michel
déclare :
« (...) on a pratiquement terminé parce qu’en fait on l’avait
même photographié (9). Il (Mobutu) est filmé(...), on voit l’officier
marocain à côté de lui. Or là, Kettani a carrément avoué,
en laissant faire des officiers marocains qui n’avaient plus le
casque bleu, qui étaient simplement des officiers marocains
et qui accompagnaient dans ses déplacements, le jour du coup
d’État, qui accompagnaient Mobutu. Il y avait un chauffeur et
il y avait les deux officiers, il y avait un lieutenant et un capitaine,
un capitaine qui était toujours à côté de lui, qui lui donnait
des conseils. Et Mobutu suivait (...) » (10).
Pour le recours aux étudiants, on dispose d’une indication
particulièrement significative : une lettre manuscrite écrite de
Bruxelles le 9 juin 1960 par André Mandi à Patrice Lumumba.
Mon cher Patrice,
Les circonstances m’obligent de t’écrire cette lettre. J’y tiens
particulièrement pour te mettre au courant d’une série de problèmes
qui méritent une attention particulière. Comme tu le
sais, un groupe de travail a été constitué à l’issue de la Conférence
Économique et que Mobutu et moi-même en faisons
partie. Les travaux de ce groupe se sont déroulés dans une
atmosphère de corruption déconcertante. Certains collègues
se sont montrés des collaborateurs de l’administration et cela
d’autant plus que l’Administration ou plutôt le ministère du
Congo et les milieux financiers essaient d’inféoder le Congo.
Les problèmes les plus importants qui furent discutés sont :
— Le Statut de la Banque Centrale
— La Société de développement et enfin les parastataux.
En ce qui concerne la « Banque Centrale », je te mets sur
tes gardes. En effet, la Belgique a fait voter des lois d’urgence
pour nommer certains congolais corrompus à des postes de
haute administration. Il y a lieu de ne rien accepter et surtout
prends garde pour des étudiants » (11).
b) Composition du collège
Justin Bomboko, est désigné pour diriger le Collège des
Commissaires généraux. Il avait été jusque là ministre des
Affaires étrangères du Gouvernement Lumumba, puis du gouvernement
Iléo. Albert Ndele, son adjoint, représente le camp
Kasa Vubu. Il était chef de cabinet du ministre « abakiste »
des finances, Pascal Nkay. En fait, cet homme qui prendra la
tête de la Banque centrale, bénéficiait aussi de soutiens extérieurs,
surtout en Belgique, qui le positionnait depuis la Table
ronde économique d’avril-mai 1960 pour diriger les structures
financières du Congo indépendant (12).
Justin Bomboko n’est pas à Léopoldville au moment de la
constitution du Collège des Commissaires généraux. Craignant
les représailles de Lumumba et de l’opinion après qu’il
eut contresigné la révocation de Lumumba par Kasa Vubu, il
a pris la fuite. D’abord caché à l’ambassade des USA à
Léopoldville, il a quitté le Congo. Il sera de retour à Léopoldville
le 2 octobre 1960.
À la première réunion du Collège qui a lieu le 21 septembre,
et qui est présidée par Ndele (qui donne lecture des membres
composant le Collège), quatre Commissaires — Lihau,
Mpase, Loliki et Bolela — se trouvent encore à Bruxelles, et
sont invités à rejoindre Léopoldville au plus tard samedi.
La désignation des membres qui devaient composer le
Collège ne serait pas directement le fait de Mobutu ou de
Kasa Vubu, qui n’auraient fait que dicter quelques noms. C’est
Ndele qui se charge de sa mise en forme avant l’arrivée de
Bomboko. Par la suite, la présence de Bomboko effacera totalement
Ndele. La lecture des P.V. montre combien l’autorité
du premier domine tous les membres du Collège : c’est lui qui
donne l’information, oriente le débat, fait des observations aux
propositions émises par les autres membres. Ceux-ci auront
souvent tendance à vouloir mener des discussions sur le mode
écolier et accordent de l’attention à leur sécurité et aux avantages
liés à leurs fonctions.
Au moment de la composition du Collège, Ndele exclut
André Mandi, un mungala (ethnie Gombe) de la Province de
l’Équateur, bien que celui-ci participe à la première réunion
sans y être invité. Ce dernier, qui s’était opposé à Ndele lors
de la Table ronde économique, avait écrit le 9 juin 1960 à
Lumumba une lettre le mettant en garde contre les manoeuvres
de Ndele présenté comme un pion préparé pour défendre
les intérêts de le Belgique au Congo Indépendant (13).
Thomas Kanza ne pouvait faire partie du Collège, non parce
qu’il s’affichait comme proche de Lumumba mais parce que
Kasa Vubu et ses partisans « abakistes » comme Ndele ne
pouvaient admettre son incorporation dans le groupe. Thomas
Kanza ou Joseph Okito, n’ont pas commencé dans le
lumumbisme et ne sont pas demeurés des lumumbistes fidèles
tels que l’histoire et/ou l’opinion retient généralement
d’eux (14).
Dans la composition du Collège des Commissaires généraux,
les critères d’« ethnie » et d’« école » ont certes facilité
le choix des membres. Mais il ne s’agit là que d’éléments repères
dont le socle était de plus en plus le clientélisme, suite
à l’influence non seulement des pouvoirs politiques mais aussi
de ces enseignants d’universités belges sur leurs (anciens)
et peu nombreux étudiants congolais. La composition du Collège
devait être anti Lumumba. Seuls certains postes semblent
avoir fait l’objet d’une délibération réelle.
Les Commissaires généraux sont pour une grande majorité
originaires du Bas-Congo (ethnie Yombe), du Kasaï (toutes
les tendances) et de Bandundu (district du Lac Léopold II).
Du point de vue de la représentation provinciale, Léopoldville
compte à elle seule près de la moitié des membres; la Province
Orientale, le Katanga et le Kivu sont les provinces les
moins représentées; certains de leurs membres sollicités ont
refusé. Malgré le nombre moyen de ses membres, la Province
de l’Équateur est pourtant la plus intégrée dans la prise
de décision. C’est que, si le problème de la majorité ethnique
kongo à Léopoldville joue, les Bangala, moins organisés politiquement,
ont occupé de nombreux postes dans l’administration
coloniale et surtout dans l’armée.
La majorité des membres du Collège des Commissaires
généraux entretiennent des relations avec les milieux catholiques.
C’est le cas également des collaborateurs du journal
« Courrier d’Afrique » qui entre en conflit avec Lumumba dès
la création du MNC en octobre 1958. Les trois (fausses) lettres
de Lumumba diffusées en septembre 1960 auraient été
rédigées par des personnes proches de ce milieu. Lumumba
interdit la parution du « Courrier d’Afrique », mesure qui est
levée par Kasa Vubu. Le Collège utilise ce périodique pour
diffuser des écrits s’en prenant à Lumumba.
c) Fréquence des réunions et assiduité des membres
Au mois d’octobre 1960, les Commissaires sont au nombre
de 37, les retardataires du début ayant rejoint l’équipe de
départ. Mais il y aura encore des nouveaux arrivants : Pongo
est intégré au Collège à cause de son activisme (15) contre les
lumumbistes, Auguste Kalanda vient prendre la place laissée
vacante par Albi Bindo qui, profitant d’une mission en Belgique,
n’est plus revenu. Peut être a-t-il été dégouté de tout ce
qu’il avait observé, tout comme José Nussbaumer — à qui il
fut même confié l’important poste de Commissaire titulaire de
l’Intérieur — qui affirmera après quelques participations : « Je
suis là parce qu’on a fait appel à moi. Je retournerai (en Belgique)
dès que çà sera fini. ».
TABLEAU
Membres du Collège des Commissaires généraux
College van commissarissen-generaal
c) Fréquence des réunions et assiduité des membres
Au mois d’octobre 1960, les Commissaires sont au nombre
de 37, les retardataires du début ayant rejoint l’équipe de
départ. Mais il y aura encore des nouveaux arrivants : Pongo
est intégré au Collège à cause de son activisme (15) contre les
lumumbistes, Auguste Kalanda vient prendre la place laissée
vacante par Albi Bindo qui, profitant d’une mission en Belgique,
n’est plus revenu. Peut être a-t-il été dégouté de tout ce
qu’il avait observé, tout comme José Nussbaumer — à qui il
fut même confié l’important poste de Commissaire titulaire de
l’Intérieur — qui affirmera après quelques participations : « Je
suis là parce qu’on a fait appel à moi. Je retournerai (en Belgique)
dès que çà sera fini. ».
TABLEAU
Membres du Collège des Commissaires généraux
Bomboko Justin
Ndele Albert
Bokonga Charles
Cardoso Mario
Bindo Albi Valentin
Kalanda (Mabika) Auguste
Kazadi Ferdinand
Lebughe Pierre
Lihau Marcel
Masanga Joseph
Mbeka Joseph
Naam
—
Nom
Uitgeoefende functie
—
Fonction exercée
Vertaling
—
Université / École fréquentée
Commissaris-generaal voor Buitenlandse Zaken en de Buitenlandse
Handel; voorzitter van het College — Commissaire Général aux
Affaires Etrangères et Commerce Extérieur; Président du Collège.
Commissaris-generaal voor de Financiën en de Monetaire
Aangelegenheden; ondervoorzitter van het College. — Commissaire
Général, Finances et Questions Monétaires ; Vice-Président
du Collège.
Commissaris-generaal voor de Werkgelegenheid en de Sociale
Voorzorg. — Commissaire Général au Travail et à la Prévoyance
Sociale.
Commissaris-generaal voor de Nationale Opvoeding, de Jeugd en de
Sport; woordvoerder van het College. — Commissaire Général à
l’Education Nationale, à la Jeunesse et sport; porte parole du Collège.
Commissaris-generral voor de Ambtenarenzaken. — Commissaire
Général à la Fonction Publique.
Vervangt eind oktober A. Bindo, die zijn post in de steek heeft gelaten. —
Remplacera fin octobre A. Bindo qui a déserté son poste.
Commissaris-generaal voor de Landsverdediging. — Commissaire
Général à la Défense Nationale.
Commissaris-generaal voor de Landbouw en de Middenstand. —
Commissaire Général à l’Agriculture et aux Classes Moyennes.
Commissaris-generaal voor de Justitie. — Commissaire Général à la
Justice.
Commissaris-generaal voor de Openbare Werken. — Commissaire
Général Aux Travaux Publics.
Commissaris-generaal voor de Economische Coördinatie en het
Plan. — Commissaire Général à la Coordination Economique et
Plan.
Université Libre de Bruxelles
Louvain
Louvain
Louvain
Université Libre de Bruxelles
Université Lovanium de Léopoldville
Université Lovanium de Léopoldville
Université Lovanium de Léopoldville
Louvain
Université Lovanium de Léopoldville
Université Lovanium de Léopoldville
_____________
( 15) Eerst is hij verbindingsofficier van het Collège des
Commissaires généraux met het buitenland, vervolgens wordt hij, op
voordracht van Aubert Mukendi, Commissaire (adjoint) au Transport
et aux Communications; tot slot wordt hij opnieuw verbindingsofficier
nadat hij Lumumba op 2 december 1960 naar Leopoldstad heeft teruggebracht.
_____________
(15) D’abord officier de liaison du Collège des Commissaires généraux
avec l’extérieur, il devient Commissaire (adjoint) au Transport
et aux Communications sur proposition d’Aubert Mukendi; enfin,
redevient officier de liaison après qu’il ait ramené Lumumba à
Léopoldville le 2 décembre 1960.
À la première réunion du Collège, le 21 septembre, le désordre
est total.
« (…) M. Mbeka voudrait faire deux remarques :
1° Il fait d’abord arrêter la procédure des travaux du Conseil
pour la bonne continuation des affaires. Il souligne ce
point étant donné que par manque de procédure et méthode,
le Collège peut être automatiquement amené à être aussi inefficace
que les ministres qui n’avaient pas encore de méthode
2° Il peut ensuite avoir la discipline au sein du Collège tant
au point de vue ponctualité que dans la manière de prendre
la parole. Il fait remarquer que depuis le commencement tout
le monde prend la parole quand il lui plaît sans demander, et
ainsi tous les membres arrivent à parler à la fois.
Les membres du Conseil jugent très pertinentes ces observations
et promettent désormais d’être disciplinés. ».
La régularité des membres aux réunions est très contrastée,
généralement faible. 21 membres sur 37 n’ont pas participé
à la moitié des 45 rencontres pour lesquelles des P.V.
sont disponibles. Bomboko est présent à 15 réunions et, pour
un certain nombre desquelles il arrivait à la fin ou les quittait
au milieu; Ndele assiste à 14 rencontres et Kandolo, lui, à 9
seulement. Ce qui amène certains membres du Collège à discuter
de la possibilité d’octroi d’une prime à ceux qui se font
réguliers, comme Tshisekedi et Kashemwa les deux plus réguliers
de tous, avec 33 présences. Il est proposé le 21 décembre
1960 « qu’une lettre de menace soit adressée aux
absents réguliers, notamment MM. Ndele et Kandolo pour leur
menacer la démission au cas où ils ne veulent plus venir aux
réunions. ».
Des telles mesures n’avaient aucune chance d’aboutir,
d’abord parce qu’elles touchent Bomboko ou Ndele, ensuite
parce que ceux qui se déchaînent contre les absents ignorent
ce que ceux-ci font en dehors du Collège.
En fait, plus de la moitié des réunions du Collège ont été
tenues avec moins de cinquante pour-cent des membres présents,
encore que parmi ceux-ci beaucoup arrivaient en retard.
La réunion du 15 novembre n’aura compté que 8 membres
! Un fléchissement se fait sentir au niveau de la présence
aux réunions à partir du mois d’octobre; il s’accentuera en
novembre.
Sur les 45 réunions du Collège pour lesquelles des P.V.
sont disponibles, 10 sont dirigées par Bomboko, 11 par Ndele,
6 par Ngwete, 3 par Bizala, 2 par Kazadi, Mbeka et Bokonga
respectivement, 1 par Loliki, Lihau, Mushiete, Mukendi, Watum
et Cardoso. On voit qu’il y n’y a aucun ordre de préséance
entre les membres compte tenu des postes occupés, à part
ceux du Président et de son Vice; en leur absence, « n’importe
» quel membre prend la direction de la rencontre, titulaire
ou adjoint, peu importe. Trois procès-verbaux n’indiquent
pas le nom de la personne qui a assuré la direction en l’absence
de Bomboko et de Ndele; un de ces P.V. ne donne
même pas la liste des présences à la réunion.
On dispose de (presque) tous les P.V. de réunions de la
première période de l’existence du Collège, soit de septembre
à décembre 1960. Sur les 45 procès verbaux des réunions
du Collège des Commissaires généraux disponibles,
44 couvrent cette période. Par la suite le Collège a vu son
mandat prolongé de manière non déterminée, aucune périodicité
ne fut fixée ni aucune mesure ne l’a déterminé.
« (...)
Bo-Boliko : (...) je voudrais savoir, puisque nous sommes à
8 jours du 31 décembre date à laquelle il était porté à la connaissance
du public que le mandat des Commissaires Généraux
prendra fin, ce que va devenir le Collège après cette
date. Je suggère que nous devons, dès maintenant, préparer
toenotre
acte de démission pour être logique avec nous même,
cet acte sera apporté au Chef de l’État et au Colonel Mobutu,
quitte à ceux-ci de nous dire où en est la situation exacte et
encore à eux de nous indiquer les mesures à prendre. ».
« M. Tshisekedi : Dans cette histoire de date, c’est un manque
de finesse que le Colonel Mobutu avait commis. Au fond,
il n’y est pas question de nous en aller et de laisser un vide au
pays avant que les politiciens soient arrivés à une décision
commune » (16).
La fréquence mensuelle des réunions se présente comme
suit : 6 pour le mois de septembre, 19 pour octobre, 11 pour
novembre, 8 pour décembre et 1 pour janvier 1961. À partir
de la dernière réunion du mois de décembre 1960, tenue le
27, on ne dispose plus des comptes rendus des réunions du
Collège des Commissaires généraux jusqu’à l’annonce de son
arrêt le 9 février 1961. Et donc aucun compte rendu n’existe
avant la seule réunion du 21 janvier 1961 qui eut lieu quatre
jours après l’assassinat de Lumumba. Des convocations sont
lancées pour certaines rencontres, comme pour celles de 5
et 6 janvier 1961. On pourrait penser que l’envoi de convocations écrites (lors des réunions antérieures, le mode de convocation
était oral) pour des réunions qui doivent se suivre
constitue un signe que rien n’allait plus au Collège à ce moment-
là. La baisse d’assiduité des membres constatée depuis
plusieurs semaines déjà est devenue critique; le temps
de vie du Collège étant dépassé, sa survie devient incertaine,
d’autant que d’autres regroupements (équipe gouvernementale
Iléo, Groupe de Binza, ...) concurrents se tiennent parallèlement.
Les Commissaires généraux affirment au cours de
leurs conseils que Iléo leur devient hostile. Le 28 décembre,
le Collège a une rencontre avec l’équipe gouvernementale
proposée par ce dernier (Iléo). Les Commissaires généraux
pressentis pour y faire partis se montrent réticents à son appel.
« (Ils) ont fait savoir qu’ils devaient préalablement s’en
référer au Colonel Mobutu et à M. Kasa Vubu, le Chef de
l’État » (17). Iléo ira présenter son équipe ministérielle à Kasa
Vubu le jours d’après. Il ne parvient pas à le convaincre, ce
qui donne du répit au Collège qui va ainsi prolonger son existence
en attendant la table ronde promise. Mieux, en attendant
voir « résolu » le cas Lumumba. À ce moment, se prépare
l’offensive militaire qui donna l’espoir de voir réduits assez
rapidement les bastions lumumbistes de l’Est du pays, espoir
qui se soldera par un échec cuisant. Gilbert Pongo, un élément
les plus fracassants du Collège contre Lumumba a été
fait prisonnier et l’Administrateur général de la Sûreté,
Nendaka, en avait échappé belle.
Victor Nendaka affirme qu’il y eut une réunion du Collège
qui dura deux jours, les 13 et 14 janvier 1961, marquée par la
participation d’une délégation venue du Congo Brazzaville.
Nendaka croit savoir que l’objet de cette rencontre fut l’affaire
Lumumba. Sans disposer de ce procès verbal qui aurait été
riche en informations, nous avons néanmoins trouvé pour cette
période des allocutions de Bomboko, Ndele ou des communiqués de Bolela, qui continuent à se présenter au nom du
Collège, ironisant sur le sort de Lumumba déjà assassiné. Si
la date n’est pas mentionnée sur certains documents, leur
contenu indique qu’ils datent d’après le 17 janvier 1961.
Une allocution de Bolela dont le document porte le n° 56,
intitulé « éditorial », à la radio de Léopoldville. Bolela s’en
prend au Conseil de Sécurité de l’ONU qui tenait une session
dans laquelle l’« affaire congolaise » est inscrite à l’ordre du
jour. Cette réunion a inscrit à l’ordre du jour, affirme le porte
parole du Collège, les points suivants : « 1° neutralisation de l’Armée congolaise que commande
le Général Mobutu;
2° libération de M. Patrice Lumumba de sa prison du Katanga
pour qu’il reprenne sa place de Premier ministre de la
République du Congo;
3° réouverture du Parlement congolais;
4° expulsion du Congo de tous les Belges, afin qu’ils soient
sans doute remplacés par des communistes. ».
Dans sa conclusion, M. Bolela s’adressant à l’ONU déclare:
« Que l’ex-Premier ministre Lumumba se trouve en prison au
Katanga ou à Thysville, c’est toujours au Congo, le pays qui
l’a vu naître. C’est là une affaire qui ne regarde que nous et
personne d’autre. ».
Suivront d’autres communiqués :
— Allocution de Mr. Bolela du 22 janvier 1961: le nom de
Lumumba n’est pas cité, l’ennemi du Congo, c’est le communisme;
les provinces rebelles sont celles du nord-est (sous
contrôle de Gizenga et Kashamura), le Katanga et le Sud-
Kasai ne sont pas cités.
— Allocution de M. Bolela du 24 janvier 1961: l’accent est
mis sur les tortures et les tueries qui se passent dans les provinces
et les territoires rebelles sous Gizenga et Kashamura,
sur les « faux » nationalistes dont se « prévalent certains ».
Pas un mot sur le transfert et le sort de Lumumba.
Avec la mise en place du Gouvernement Iléo le 9 février,
c’est la fin à la « mission » du Collège annoncée par Kasa
Vubu. Deux anciens Commissaires généraux, Lihau et
Bomboko, — Bizala ayant « refusé » le poste de l’Education
— font partie du Gouvernement formé; l’ex Président du
Collège (garde) redevient ministre des Affaires Etrangères.
Un de deux portent parole du Collège, A. Bolela, viendra faire
une allocution à la radio le lendemain. Il rend hommage au
Président Kasa Vubu, annonce « l’acquis à l’idée d’un grand
Congo fédéral et prospère, qui se voit confier les rênes de
commandement » (18). Cette manière de clôturer les travaux
du Collège, et surtout les idées exprimées dans les divers
communiqués à la radio semblent désigner l’ennemi et le sentiment
qu’on éprouve à son égard, mais aussi quels seraient
les alliés et le sens de la victoire ainsi obtenue.
d) Illusion de posséder le pouvoir
C’est Mobutu qui annonce, en septembre 1960, la création
du Collège. Dès sa mise en place, celui-ci a cherché à
mieux comprendre sa mission et le cadre de son évolution. Il
n’y aura point de réponses précises, cela suscite des ambitions
souvent démesurées. Voici une discussion qui a eu lieu
à la réunion du 24 septembre 1960 :
« M. Bizala demande des précisions. Il voudrait savoir qu’est
ce qui nous amène ici ?
Sur quoi le Président (Ndele) lui répond : nous avons répondu
à l’appel du Colonel Mobutu. Ce Collège doit donc prendre
en mains la conduite du pays c’est-à-dire jouer au Gouvernement
M. Tshibamba : Selon le Colonel Mobutu, il s’agirait seulement
de liquider les choses courantes. S’agirait-il des choses
primordiales c’est-à-dire urgentes ?
M. Tshisekedi demande que le Collège définisse sa compétence.
Il nous appartient, poursuit-il, de définir notre rôle.
Le Colonel s’est lavé les mains en nous appelant. Neutralisation
: quid ? J’entends par là que nous prenons la place des
ministres, ne fût-ce que tout l’exécutif. Nous devons avoir la
même compétence qu’un gouvernement. nous aurons une
compétence plus que les ministres, celles de légiférer.
(...)
M. Ngwete fait une observation: je ne vois pas comment
ne pas prendre toute la situation en mains. Mais est-ce là la
réelle interprétation de M. Mobutu ? On a des exemples où
l’on s’est heurté à sa volonté; d’où il faut le consulter au préalable.
M. Tshibamba fait alors remarquer que nous ne serons pas
jugés seulement pas les Congolais, mais par l’opinion internationale
(l’ONU, les Ambassades, etc.).
(...)
M. Lebughe prétend que c’est là une mauvaise interprétation
des intentions du Colonel Mobutu. Pas question de quelques
affaires courantes, mais nous devons avoir tout le pouvoir
(...)
M. Ndele signale qu’il nous est impossible d’exécuter un
pouvoir exécutif actuellement sans pouvoir législatif. Nous
assumons les deux pouvoirs. Comment donner du travail à
tout le monde si l’ordre n’est pas maintenu ? Nous devons
donc assumer tous les pouvoirs. ».
Si telles sont les prérogatives que se donne le Collège,
quel est alors le statut de Mobutu ? à quel niveau le place-til
? et Kasa Vubu, qui malgré la secousse est maintenu à son
poste de Chef de l’État ?
Voici les réponses que donnent les Commissaires au cours
du Conseil du 24 septembre.
« Ndele : Comment considérons-nous le Colonel ?
M. Waku y voit deux phases :
— avant c’est le Colonel qui parlait,
— après l’installation du Collège il dépend de nous, comme
il dit lui-même.
M. Ngyesse : nous avons pris la place des ministres, alors
quels rapports avaient ceux-ci avec l’armée ?
M. Lebughe croit, pour sa part, que toutefois il faudra de
temps en temps l’informer de choses importantes.
M. Tshibamba se demande si en remplaçant le Parlement
et le Gouvernement nous serons les seuls engagés, le Chef
de l’État devant rester neutre.
M. Ngwete fait remarquer ceci : si le Colonel avait pris le
pouvoir, la chose serait claire, nous dépendrions de lui. Mais
actuellement, il est notre subalterne.
M. Ndele : il faut distinguer des phases comme le dit M.
Waku. Dans la deuxième phase, le Colonel Mobutu est notre
subalterne, mais subalterne spécial qu’il ne faut pas marcher
sur la queue. Il est vrai que c’est nous qui donnerons des
ordres au Colonel, mais par délicatesse nous avons l’informer
officieusement. Son pouvoir sans nous est quand même
réel, le nôtre étant officiel. Nous avons besoin de son oui officieusement.
Donc la position du Conseil est très sage.
M. Mpase trouve également sage le processus employé
par le Colonel. Il nous faudra, dit-il, éviter de parler du Chef
de l’État à haute voix.
M. Ngwete : normalement Mobutu ne pouvait pas neutraliser
le Chef de l’État sans prendre le pouvoir. Cela a réussi
parce que toute la situation a été faussée au point de départ,
quant au Chef de l’État, il a été considéré comme un leader
politique et non comme un homme neutre.
M. Lebughe se demande si le Colonel Mobutu maintient
encore aujourd’hui sa neutralisation du Chef de l’État.
M. Mpase fait remarquer que les faits actuels prouvent qu’il
ne le maintient plus. ».
Avec la libération de Mpolo et Gizenga, libération que Mobutu
« décide » sans se référer au Collège déjà en fonction,
les Commissaires généraux se mettent à l’épreuve du pouvoir.
Mieux, ils commencent réellement à mesurer leur pouvoir,
sa dimension et sa portée. À cette même réunion du
24 septembre, les interventions des Commissaires se poursuivent
:
« M. Cardoso pose la question de savoir si nous devons
mettre le mandat d’arrêt (de Lumumba) à exécution oui ou
non, le Colonel Mobutu n’ayant pas répondu.
M. Lihau fait savoir qu’il a demandé au Colonel s’il pouvait
utiliser la gendarmerie. Ce dernier a répondu par la neutralité,
etc. L’Armée est plus ou moins disposée à exécuter les
mandats d’arrêt.
(...)
M. Ngwete estime qu’ayant répondu à l’appel du Colonel
Mobutu, les Commissaires Généraux ne peuvent tolérer qu’il
ne les soutienne plus. Cela étant, la solution est simple : on
n”existe plus. ».
Au conseil du 27 septembre, l’inquiétude persiste. « Le
Colonel Mobutu n’exécutant pas toutes les promesses faites,
les membres du Collège, se demandent dans un autre ordre
d’idées, s’il jouait un jeu franc. Pour preuve de l’incertitude, le
Colonel n’a pas réalisé la double ceinture autour de la résidence
de M. Lumumba. ».
Menaçant de démissionner, les membres ne vont pas jusqu’à
mettre à exécution ce qui paraît être un voeu. C’est qu’on
ne lâche pas (une position de) le pouvoir, même faible ou
inexistant. Malgré la déception, peut être qu’il faudra continuer
à y insister, peut être qu’une fois sa marchera.
Pour sortir de cette impasse, le Collège cherche des issues.
Certains de ses membres, comme Cardoso, sont allés
jusqu’à estimer au Conseil du 24 septembre, que « Mobutu
est une corde à notre arc. Il faut essayer d’en avoir une deuxième. Au lieu de compter seulement sur l’Armée, dit-il,
tâtons aussi du côté de la police pour voir. ».
Le Collège se rapproche du Chef de l’État en allant chercher
de son côté une légitimité, ou mieux obtenir tout ce qu’il
désire comme pouvoir. Ce qui est fait le 29 septembre : Kasa
Vubu, qui procède à l’installation du Collège, promulgue un
décret « constitutionnel » relatif à « l’exercice des pouvoirs
législatifs et exécutifs à l’échelon central ». Si le Collège trouve
une satisfaction rapide du côté Kasa Vubu, c’est parce qu’aussi
ce dernier retrouve à travers cet acte, une ouverture pour sa
propre réhabilitation. Car, il est maintenant vu que la seule
nomination par Mobutu n’avait pas suffit.
En apprenant cela, Mobutu se fâche pour ce qui paraît être
un désaveu, un geste qui méconnaît son autorité. Voici la
nouvelle qui a été annoncée au Collège trouvé en plein conseil,
le jour même :
« (...) M. Kapela entre pour annoncer que le Colonel Mobutu
est très fâché de ce qui vient de se passer ce matin chez
le chef de l’État et prépare un communiqué qui passera ce
soir à la radio.
M. Ndele propose qu’une délégation composée de MM.
Kazadi, Kapela et Tshisekedi aillent voir immédiatement le
Colonel et lui expliquer la portée de notre geste. En cas de
maintien du communiqué, tout le Conseil est d’accord pour
démissionner en bloc au cas évidemment où ce communiqué
serait un démenti. ».
Un premier constat : ce n’est pas Ndele, le Vice-Président
du Collège et Président ad intérim en l’absence de Bomboko
qui conduit la délégation; il n’en fait même pas partie. Un
deuxième constat, à travers la réaction du Conseil, se lit le
«désarroi» des Commissaires généraux. On avait craint à ce
moment que n’éclate un conflit entre Mobutu et Kasa Vubu,
ce qui aurait renforcé les chances d’une réconciliation entre
politiques Congolais, et donc un possible retour de Lumumba
dans le jeu. Mais Kasa Vubu et Mobutu ont tous deux peur de
Lumumba, de même que les Commissaires généraux.
Mobutu lui-même n’est pas encore assez fort, il ne rassemble
pas sous son autorité toutes les unités et personnalités
de l’armée. Il continue à identifier les meilleurs éléments
pour les approcher. Le paiement des soldes grâce à l’argent
qui commence à arriver de Belgique constitue le meilleur appât
auquel beaucoup de Congolais mordent.
Mobutu ne peut encore décider sans le visa de son « entourage
politique et militaire » qui en partie approche aussi
Kasa Vubu. Son jeu paraît être celui-ci : il juge le Chef de
l’État faible mais le préfère à Lumumba qui l’écrase; il va continuer
à tenir à distance le Collège, qui présente beaucoup
d’ambitions de pouvoir, en le gardant comme un organe sans
force mais qui sera utilisé en fonction des opportunités.
Télégramme du 18 novembre du ministre des Affaires étrangères
à Bruxelles au Consulat de Belgique à Brazzaville :
« (...) Belgique n’a pas à prendre position à l’égard d’une
autorité centrale tant que Congo ne demande pas rétablissement
relations diplomatiques. Considère que Collège Commissaires
n’ont pas grand avenir politique car ne disposent
pas d’un support ethnique ni d’un appui des partis. Cet élément joue également en leur faveur car les leaders politiques
ne les considérant pas comme de rivaux leur permettant d’effectuer
travail effectif. Belgique continuera à donner suite à
leurs demandes et à régler avec eux questions purement techniques.
» (19).
Pourtant les Belges restés au Congo par exemple agissant
soit en leur nom propre (R.2, pp. 72-73), soit en celui de
leur autorité politique à Bruxelles (20) qui leur attribue des tâches
(R.2, p.192) ou qu’ils tiennent au courant de leurs activités
quotidiennes selon l’opinion de leur pays vont appuyer le
Collège pour atteindre et obliger Kasa Vubu à agir afin de
réussir des actions directement politiques.
Télégramme du 1er décembre de l’Ambassade de Belgique
à Brazzaville au ministère des Affaires étrangères à Bruxelles;
reproduire au ministère des Affaires Africaines et
Caeymax :
« e/70/a communiqué à Crokart qui m’informe :
(...)
8. Suite évasion Lumumba, réaction immédiate Collège
Commissaires Généraux et gouvernement Iléo indispensable
sous double aspects militaire et psychologique. Cependant
désorganisation et inerties totales et Kasa Vubu être inopérant
à ce jour. Nombreuses pressions en cours pour
provoquer cette action. Impossible sera tenté. » (21).
e) Le choix de Bomboko pour diriger le Collège
Si Bomboko est choisi, en son absence, pour diriger le
Collège, c’est parce qu’il est considéré comme constituant un
pouvoir à même de contrer Lumumba. Comment expliquer ce
choix ?
Malgré sa participation à la Table Ronde politique de Bruxelles,
Bomboko est un des rares politiques Congolais opérant à
Léopoldville, non membre du PNP, qui continue à désavouer
l’octroi rapide de l’Indépendance au Congo par la Belgique.
Ainsi le jugement de Lumumba sur la colonisation s’oppose à
celui de Bomboko pour qui « Les Belges ont été des bons
colonisateurs. Il y a eu quelques imperfections mais rien n’est
parfait dans ce monde ... ».
Bomboko joue un rôle politique favorable à l’intervention
des troupes belges en juillet 1960 contre l’avis de son gouvernement
et même du Chef de l’État. Il passe pour l’homme
qui protège les Belges au Congo.
Télégramme daté du 18 octobre 1960 du Consulat de Belgique
à Brazzaville au ministre des Affaires étrangères à
Bruxelles :
« Reçu de Lahaye information suivante : Citation au cours longue conversation avec un ami Belge,
Bomboko s’est amèrement plaint des articles dans lesquels il
est décrit comme pro-belge. Bomboko déclare que de tels
articles sont très néfastes pour l’opinion politique congolaise,
toujours sous le coup de la propagande de Lumumba. Demande que journaux belges (22) cessent publier articles de ce
genre et se déclare obligé attaquer gouvernement belge pour
se maintenir. Il assura son interlocuteur de son désir de parvenir
à renouer une réelle entente entre Belgique et Congo et
s’affirma plus occidental que congolais. ».
Bomboko passe pour le produit du professeur A. Doucy,
son parti l’« Union Mongo » naît à Bruxelles la veille de la
tenue de la Table Ronde politique. Dans sa lettre datée de
Bruxelles le 30 mars 1961, adressée à M. Collard, François
Perin parle de ce soutien :
« (…) Quant aux hommes dits de gauche du gouvernement
Iléo (celui de février 1961), c’est-à-dire Justin Bomboko
et Cyrille Adoula, c’est une erreur foncière de les avoir soutenu,
parce qu’ils ne jouissent pratiquement d’aucun appui
populaire. Ce sont des hommes seuls, occidentalisés, effrayés
par la puissance de Lumumba et secrètement envieux à
l’égard de la fascination qu’exerçait sur les foules le leader
assassiné.
Notre ami Arthur a raison quand il appuie Sendwe parce
que ce dernier a derrière lui tout un peuple au Katanga. En
conseillant son ex-élève Bomboko, compromis avec Mobutu
dans le coup d’État militaire qui a supprimé le Parlement à
majorité lumumbiste, Arthur Doucy s’appuie sur le vide (le parti
de Bomboko, l’Union Mongo, créé artificiellement et hâtivement
en mars (?) 1960 avec l’appui de Solvay représente un
député sur 137).
L’erreur de Doucy est celle d’une optique purement individualiste.
On ne joue pas un rôle même occulte en télécommandant
un homme isolé, fût-il universitaire. ».
Bomboko est utile parce qu’il faut gagner l’ONU et garder
le soutien de la Belgique. En obtenant la direction du Collège,
Bomboko est dorénavant à la tête d’une structure qui le place
en bonne position au côté des deux autres acteurs politiques
les plus importants de Léopoldville : Kasa Vubu et Mobutu.
Les trois pouvoirs, ce sont le Collège représentant l’exécutif,
la présidence de la République et l’armée. Ce sont là les pouvoirs
émiettés qui s’organisent et à partir desquels l’opposition
à Lumumba va opérer pour retourner la situation en sa
faveur.
Mais le grand absent, c’est le pouvoir législatif, c’est-à-dire
les deux Chambres. Pour cela, le cadre de concertation efficace
de ces pouvoirs devient le « Groupe de Binza ».
II. GROUPE DE BINZA : UNE STRUCTURE OÙ SE REJOIGNENT
LES POUVOIRS DE LÉOPOLDVILLE
Le Collège des Commissaires généraux n’avait pas intégré
les trois personnes désignées au Katanga conviées à rejoindre
Léopoldville (R.1, p.2). Aussi, certains membres du
Collège (dont son président Bomboko et son vice président
Ndele) faisaient-ils partie d’une structure parallèle informelle
mieux informée et intégrée dans le déroulement des événements
du Congo. Il s’agit du « Groupe de Binza », du nom d’un quartier résidentiel de Léopoldville (23). Il s’agit d’un sujet
sur lequel les informations sont rares, les témoins-acteurs
se sont toujours gardés d’en parler. Divers travaux importants
sur la crise congolaise l’évoquent, sans le décortiquer.
a) Origine du Groupe de Binza
Il n’existe à ce jour qu’une étude connue sur le Groupe de
Binza, celle de Walter Geerts (24). Mais celle-ci ne traite du
sujet qu’à partir de mars-avril 1961, c’est-à-dire après l’assassinat
de Lumumba. Pourtant, ce groupe avait commencé
à fonctionner dès les premières semaines de l’Indépendance
du Congo. Voici un témoignage de Serge Michel:
« (...) Holden Roberto confiait tout à Fanon et quand ils
sont arrivés, moi je ne savais pas très bien, je savais qu’il se
passait beaucoup de choses à l’ambassade de Tunisie, mais
je n’étais pas au courant jusqu’à ce point-là et là Fanon me
dit : « Serge, laisse tomber Lumumba, passe pour Kasa
Vubu » devant Yazid et Omar Ousedik. Alors je lui dis : « Je
m’excuse, mais je voudrais quand même que tu t’expliques ».
« Écoute, il est cuit, il est grillé, il n’en a plus pour longtemps,
n’oublie pas que tu représentes surtout l’Algérie ici, et que
bon, tu es attaché de presse de Lumumba, c’est entendu,
mais n’oublie jamais que tu es ici au titre de la coopération
fraternelle inter africaine et que tu es d’abord FLN. ».
Bon,
moi, évidemment, je pose la question au vrai responsable,
parce que Fanon n’était pas responsable, qui était Yazid, et je
lui pose la question. Il me dit « Oh, écoute, sois prudent. Sois
prudent, mais je n’ai pas de conseil à te donner. Tu vois, du
calme, mais t’emballe pas et sois prudent, c’est tout ce que je
peux te dire. ». Et ça se passait, ils sont arrivés vers le 20, un
peu avant le 20 août, donc les jeux étaient déjà faits. Et là je
veux quand même en savoir plus, j’ai des doutes. Et il me dit :
« Écoute, il y a un groupe qui travaille très fort et qui sont des
gens sérieux et qui travaillent au Groupe de Binza (...) » (25).
À ses débuts, les rencontres du Groupe de Binza se tiennent
plus dans les Ambassades. À ce sujet, encore un témoignage
de Serge Michel :
« (...) Fanon me disant : « J’ai confiance en lui, tu peux
marcher avec Holden et tu peux tout savoir. ». Et c’est comme
ça que par la suite je l’ai su et les réunions, pour plus de
sûreté, se déroulaient à l’Ambassade de Tunisie, pas toujours,
parce que c’était pas toujours nécessaire d’aller à l’Ambassade
de Tunisie mais quand la réunion était importante et
réclamant certaine sécurité, certains secrets, etc, mais aussi
la collaboration et l’appui de l’étranger, Tunis c’était une courroie
de transmission, et j’ai eu la confirmation quand j’ai fait le
discours de la conférence (panafricaine), Habib Bourguiba junior
était fou furieux et le soir au restaurant s’approche de
moi et me dit : « Ah bravo ton discours, c’est papa qui va être
content. » (26).
_____________
(23) Le « Groupe de Binza » c’est-à-dire le groupe de Congolais
qui vont « organiser » le pouvoir en s’opposant et succédant à Lumumba
n’est pas le même qu’un autre regroupement antérieur du
même nom qui avait fonctionné à l’époque coloniale en comptant des
Européens parmi ses membres
« (...) L’ambassade de Tunisie entretenait les meilleurs rapports
avec Adoula, d’abord Adoula et puis Kasa Vubu et Iléo,
etc. Les Marocains, eux c’était assez différent, çà se passait
par l’intermédiaire du général Kettani. Kettani, qui était, en
fait, un général français et qui en tant que général, âgé déjà,
était le plus haut gradé dans l’armée marocaine. Il avait quitté
depuis très peu de temps l’armée française et le général
Kettani s’est retrouvé chef des casques bleus au Congo, avec
entre autres missions de former l’armée congolaise, c’est-àdire
de partir de la Force Publique et d’en faire une armée et
pour ce travail Lumumba avait délégué Mobutu, qui était secrétaire
d’État à la Défense Nationale, puisque Lumumba en
était le ministre. Lumumba était premier ministre et ministre
de la Défense Nationale entre autres, Mobutu était secrétaire
d’État et était en rapport quotidien avec Kettani. Il est particulièrement
intéressant de voir le chemin rapidement parcouru
par Mobutu qui, au moment du premier coup d’État au début
septembre 1960, fait son premier coup d’État toujours accompagné
d’un capitaine des transmissions de l’armée marocaine,
un officier marocain qui lui-même évidemment met son unité
et ses moyens à la disposition de Mobutu » (27).
b) Identification des membres et fonctionnement du
Groupe de Binza
Les Commissaires généraux F. Kazadi et J. Mukamba qui
se chargèrent d’escorter Lumumba, Okito et Mpolo de l’escale
de Moanda pour la poursuite du trajet vers la mort ne
font pas directement partie du Groupe de Binza. Comme
d’autres personnes encore (Nussbaumer, Iléo ...), ils étaient
associés à certaines rencontres du Groupe afin de remplir
l’une ou l’autre mission.
Informel et non structuré, le Groupe de Binza n’était composé
jusqu’à la période où intervient l’assassinat de Patrice
Lumumba que des six membres effectifs, affirme André
Lahaye. Il s’agit de Joseph Mobutu, Victor Nendaka, Albert
Ndele, Cyrille Adoula, Justin Bomboko et Damien Kandolo.
Toutes ces personnes habitaient le quartier de Binza, sauf les
deux dernières citées. C’est le manque d’efficacité des structures
de pouvoir et de la classe politique, la faiblesse de l’administration
qui entraîne un regroupement de personnes intégrées
à des réseaux (rapport avec la Sûreté, les services
occidentaux ...) où se prennent et/ou peuvent se prendre quelques
décisions.
Les membres du Groupe se cooptent ou sont cooptés en
tenant compte de leur expérience dans les partis politiques et
sur base du déroulement de la situation. Un critère important
qui unit ces gens est aussi leur complémentarité, leur appartenance
à des réseaux plus ou moins différents de pouvoir
avant, espèrent-ils, d’arriver à le contrôler réellement. En « excluant
» d’incorporer directement Kasa Vubu, par exemple,
ce groupe paraît être créé « pour faire pièce à la tendance
des leaders du Mouvement National Congolais ». Dans le
passé très récent, quatre membres de son noyau (Mobutu,
Kandolo, Nendaka et Adoula) ont côtoyé Lumumba : Adoula
et Nendaka ont été ses adjoints dans le parti et Mobutu et
Kandolo dans ses cabinets. Ce qui fait qu’ils peuvent estimer
bien le connaître.
Procéder à l’identification des membres et à l’étude du
fonctionnement du Groupe de Binza qui ressemble à un puzzle
peut aider à comprendre la « crise congolaise », les raisons
de l’efficacité de cette association sur le terrain.
i) Identification des membres
1. Justin Bomboko : Il est le chef de la diplomatie dans le
Gouvernement Lumumba comme dans le Collège des Commissaires
généraux, en plus de sa charge de Président. Dans
le Groupe de Binza, il est celui qui peut tenir tête à Lumumba
dans les discussions au parlement (il a été élu député). Il a de
l’audace et ses entrées dans les milieux occidentaux. Ses
discussions avec le représentant de l’ONU au Congo,
M. Dayal, qu’il engueulait parfois, montrent combien il pouvait
s’imposer, même si, par son comportement, l’homme reste
un « grand étudiant », irrespectueux du temps et très occupé
par ses conquêtes féminines.
2. Albert Ndele : Il est proche de Kasa Vubu et de l’Abako.
Il semble avoir été préparé, dès la conférence de la Table
Ronde économique d’avril-mai 1960, à prendre la direction
des finances du Congo (28). Une fois que les résultats des
élections de mai furent connus, André Mandi parlait à Lumumba
de Ndele dans la lettre manuscrite dont une partie est
citée ci-dessus.
« (...) Je t’entretiendrai plus spécialement du cas de M. Albert
Ndele. Celui-ci s’est conduit très maladroitement; il est le
collaborateur le plus direct des milieux financiers et de l’Administration.
Il ne faut pas accepter sa candidature au poste
de direction de cette société car, ce jeune homme nous a
déçus tous. Il vient spécialement à Léo pour essayer de t’avoir
et surtout t’influencer alors qu’ici sa conduite nous a découragés.
Il faudra exiger que un de tes collaborateurs de confiance
soit à la tête de cette Banque quitte à ce qu’il soit entouré
des conseillers que vous pouvez choisir.
D’autre part, Albert défend maintenant Kasa Vubu. Et de
ce fait il a tout arrangé avec ce dernier pour désigner des
gens de droite à la Banque. Comme Mobutu pourra te l’apprendre,
Albert Ndele a mené une campagne anti-Lumumba
quelque chose d’incroyable. En conséquence, il ne faudra rien
accepter des propositions qu’il te fera, elles sont toutes intentionnées
et tout cela est conçu pour t’écarter, toi et tes collaborateurs
aux postes clés de l’Administration du Congo. Je
me suis moi-même insurgé contre ces manoeuvres au ministère,
d’ailleurs Mobutu te dira le tout de vive voix. Il faudra te
méfier systématiquement de Ndele car c’est un mauvais garçon,
il ne vise que l’intérêt des gens de droite et il est corrompu
complètement. Le seul jeune homme qui s’est tenu un
peu à l’écart de toutes ces tractations c’est Loliki Evariste.
Une autre chose est la création de cette fameuse Société
de développement. À franchement parlé, cette société est du
néocolonialisme malgré les aspects flatteurs qu’elle présente.
À mon avis, il faut purement et simplement rejeter la dite Société,
toujours, Albert Ndele a essayé de tout manager pour
que la direction de cette société soit mise entre les mains des
collaborationnistes. Il y a donc lieu de ne pas accepter la création
de la dite Société. D’ailleurs, plusieurs nominations viennent
de vous être proposées au Collège Exécutif Général, la plupart de ces nominations sont partisanes et l’Administration
a essayé tout simplement de placer les gens qu’elle sait
qu’ils défendent une thèse belge.
De toutes façons, j’ai demandé à ce que Mobutu t’entretienne
de tous ces problèmes. Je ne suis pas venu moi-même
parce que je suis en plein examen.
Voici encore un autre aspect du problème. Le ministère du
Congo est en train de tout arranger pour nommer comme stagiaires
diplomates des gens qui sont strictement à sa solde.
Je suis allé protesté au cabinet du ministère pour cette manoeuvre
et comme ils avaient peur que je dénonce cette manoeuvre
ils ont accepté ma candidature. Il s’agit de tout faire pour
que les postes les plus importants soient occupés par des
nationalistes. Il y a donc lieu de surveiller le télégramme qu’ils
ont envoyé au Collège Exécutif pour mon cas et de faire procéder
de toute urgence à trouver une solution. Voici le numéro
de ce Télex : n° 23508/cab. qui est parti le 8 juin 1960.
C’est le seul moyen de sauver le Parti MNC. Il faut que votre
OEil soit partout et surtout aux noeuds des problèmes.
Il faut demander tous les renseignements à Mobutu. C’est
moi-même qui ai exigé pour qu’il accompagne Ndele et les
autres et cela afin de déjouer ses manoeuvres et de te mettre
au courant de son attitude ainsi que celles des autres. Si tu
as strictement besoin de moi il suffit de m’envoyer un télégramme.
Voici mon adresse : André Mandi, 39 avenue Brillat-
Savarin. Il faut lutter Patrice car, c’est pour sauver le Pays et
tu es le seul qui comprends.
Pour finir, j’aimerais t’entretenir brièvement d’un jeune
homme que je trouve très bien. Il est dynamique et très capable.
Il est nationaliste: c’est M. Lumbala. Ce jeune homme est
le seul avec Mobutu et moi-même qui te défendons. Tous les
autres essaient plutôt de défendre Kasa Vubu ou M. Kalonji à
la tête de l’État. À ce propos, Albert Ndele a tout arrangé pour
que l’on porte Kasa Vubu à la tête de l’État. Il vient à Léo pour
justement essayer de contacter les autres partis pour les
amener à faire un front anti-Lumumba.
Donc
1° méfiance à l’égard d’Albert Ndele; rejette toutes les propositions
faites à son nom car il est collaborationniste et surtout
il s’est montré ici anti-Lumumba.
2° rejette la Société de Développement car, c’est du néocolonialisme.
N’accepte rien de cette société à moins d’y placer
à sa tête des gens qui sont nationalistes.
Courage, courage Patrice.
Bien à toi (Sé) Mandi. » (29).
Ndele a donc intégré des réseaux avant de retourner au
Congo; il a gardé des attaches avec ses professeurs et/ou
amis qui continuent à interférer dans son action politique. En
témoigne une longue lettre du 10 décembre 1960 de E. De
Jonghe (30), à ce moment conseiller près le Cabinet du Premier
ministre de la Belgique, qui aborde les principaux problèmes
politiques entre les Congo et la Belgique. D’entrée,
celle-ci commence par :
« Monsieur le Vice-Président,
Puis-je me prévaloir des relations cordiales que nous avons
toujours entretenues pour écrire des choses du Congo. Je le ferai d’une façon claire et directe et sans intention aucune de
vous attirer dans un quelconque imbroglio para-diplomatique.
Mon seul but est de rendre service à mon pays et d’aider
ceux de mes anciens étudiants congolais dont je suis fier et
que je considère comme des grands patriotes qui méritent
bien de leur patrie en ce moment. Je tiens tout particulièrement
à vous féliciter personnellement de votre conduite courageuse
et même héroïque dans la période difficile que traverse
votre beau pays (...). ».
Est-ce à cause de cette lettre ou d’autres interférences du
même genre, le communiqué du Collège dénonçant les pouvoirs
belges (gouvernement et monarchie), qui devait paraître
à Léopoldville le même 10 décembre, ne sera pas diffusé.
La lettre de De Jonghe répondait exactement au contenu du
communiqué « annulé » (31).
3. Cyrille Adoula : Pendant la colonisation, il a été employé
dans le privé et, puis devient commis à la Banque centrale du
Congo, président de la FGTB/Congo et membre de l’Association
des anciens élèves des Pères de Scheut (Adapes). Divers
témoignages le présentent comme un homme raisonné
mais peu sûr de lui-même. « La Libre Belgique » du 10 février
1961 dit de lui : « (…) est l’un des hommes les plus brillants
de la politique congolaise. Il fut formé à l’école du syndicalisme
marxiste, mais a su se détacher de la théorie pour aborder
les vrais problèmes du Congo, et s’est rangé résolument
du côté de Kasa Vubu. ».
Serge Michel parle des soutiens extérieurs dont bénéficiait
Adoula :
« (...) les Marocains pour Adoula, étaient placés en second,
c’étaient les Tunisiens qui avaient le premier rôle. Pour
une raison très simple; c’est que l’un des meilleurs amis
d’Habib Bachour, le chef des syndicats tunisiens, de l’époque,
était Erving Brown. Erving Brown était le secrétaire général
adjoint de l’AFLCIO, syndicat des États-Unis. (...) Il est
resté très longtemps Secrétaire général adjoint et trésorier et
il était évidemment, il avait un poste de responsabilité très
élevé dans la CISL. C’était en même temps l’agent responsable
de la CIA pour l’Afrique du Nord et qui, en 1960, en a
profité pour s’infiltrer au (...) Congo.(....).
J’ai attendu un peu, un peu puis finalement Mobutu voulait
me tuer avec Félix Moumié, je me suis réfugié à l’Ambassade
de Guinée, de Guinée-Conakry, évidemment, il n’y en avait
qu’une. Et puis un message est arrivé du gouvernement provisoire
à Tunis, m’ordonnant de me réfugier à l’Ambassade
de Tunisie, parce qu’ils disposaient d’une radio très forte grâce
à laquelle je pouvais être en rapport avec eux. Alors j’ai traversé
la rue parce que l’Ambassade se trouvait face à face, à
peu de chose près et je me suis réfugié à l’Ambassade de
Tunisie où je suis resté jusqu’à mon départ et là j’ai assisté à
des choses. Fatalement, parce que l’ambassade était toute
petite d’abord, et que j’habitais dedans et que Habib Bourguiba
était parti et qu’il ne restait plus que Mestri. Mestri qui
était un type en début de carrière, il faisait donc des erreurs
me demandait des conseils et puis, en me demandant des
conseils, il m’apprenait pas mal des choses. Il m’a appris les
rapports privilégiés avec Mobutu, à partir du coup d’État, et
puis l’effort qu’il faisait, lui, pour regrouper ses hommes, en particulier Adoula, etc, sur lesquels misaient non seulement
la CISL, non seulement la Tunisie, mais aussi les Américains.
». (32).
4. Joseph Mobutu :
« (...) L’Europe étant carrément pour Adoula. Ils avaient
encore un peu peur de Mobutu, qu’ils connaissaient très peu,
puisque Mobutu à l’époque (août et début septembre 1960)
jouait double jeu. Il était en permanence avec Kettani mais il
venait deux fois par jour nous voir (Cabinet Lumumba). Et
très souvent le soir on le voyait et il restait à traîner une heure
comme çà à boire du champagne, du whisky, beaucoup de
whisky » (33).
5. Damien Kandolo : Au départ, c’est lui l’araignée qui tisse la toile du Groupe de Binza. Il n’est pas universitaire. Il
fait partie du Collège, où il occupe le poste de commissaire
(adjoint) à l’Intérieur. Il est reconnu comme un administratif
efficace. Il est devenu chef de cabinet de Lumumba et assure
le secrétariat du conseil des ministres de son gouvernement.
Il est proche de Ndele pour avoir payé une partie de ses études
[ses origines — son père est tetela, sa mère mongandja
d’Isiro (Province Orientale), il est né à Boma où il passe une
bonne partie de son enfance — et les relations de sa femme,
qui est apparentée à Kasa Vubu, font que Kandolo s’ouvre
plusieurs portes à la fois]. Kandolo a des liens avec Cyrille
Adoula : tous deux ont été des leaders syndicaux importants,
l’un à l’APIC, l’autre dans le mouvement syndical socialiste
(FGTB). Kandolo et Adoula sont fort liés à André Lahaye.
Kandolo et Mobutu se sont rapprochés dans le cabinet Lumumba
où ils ont constitué la tendance modérée et/ou espionne
opposée à celle de Mpolo, Gizenga et Lumbala. Voici
un témoignage de Serge Michel : « (...) J’ai assisté plusieurs fois à un Conseil des ministres.
Au Conseil des ministres, en fait, il y avait Lumumba qui
parlait et puis quelques autres qui plaçaient quelque fois leur
petit couplet, mais le travail véritable se faisait entièrement
dans le bureau de Lumumba qui était situé par Kandolo. Les
ministres avaient beaucoup plus de contact avec
Kandolo(...). » (34).
Au cabinet Lumumba, Kandolo était généralement le premier
à arriver (vers 7h1/2) et le dernier à quitter (rarement
avant 18 heures) son bureau en face de la résidence et du
bureau de Lumumba; il était au courant de tout ce qui s’y
déroulait. Pour certains projets, dit Serge Michel, Kandolo insistait
pour que Lumumba le « laisse travailler » (35).
6. Victor Nendaka : Sans bénéficier d’une parole aisée ou
d’un charisme politique évident, il sait tisser dans l’ombre des
réseaux et contrôler des situations. Il su, sans avoir occupé
auparavant un quelconque poste dans le parti de Lumumba,
reprendre en mains le MNC au moment où son leader était
en prison à Stanleyville, le conduire aux élections de décembre
1959, organiser un congrès à Bukavu et y imposer la
manière de voir de Lumumba (qui finira par être libéré et par
participer à la Conférence de la Table Ronde Politique de Bruxelles). Aux dires de témoins, Nendaka se faisait écouter
par Lumumba, alors que ni Iléo, ni Diomi ou Ngalula n’ont
réussi à tempérer les ardeurs du MNC unitaire créé au mois
d’octobre 1958. Si Nendaka, Mobutu et Bomboko connaissaient
bien Léopoldville, les deux derniers cités savaient aussi
se débrouiller dans les arcanes de la vie bruxelloise pour y
avoir passé de longs séjours.
Nendaka avait des contacts avec des réseaux de Sûreté
extérieurs qui allaient jusqu’à mettre à sa disposition des
agents (36).
À noter que tous ces personnages congolais étaient connus
des services de la Sûreté coloniale qui était parvenue à
les utiliser comme indicateurs en leur octroyant un peu d’argent
pour arrondir leurs revenus modestes (37).
ii) fonctionnement du Groupe de Binza
Le Groupe de Binza représente une génération politique
plus qu’un groupe soudé d’abord par des liens ethniques ou
régionaux. Il influence les décisions qui se prennent dans les
diverses structures formelles du pouvoir, parce qu’il contrôle
un réseau de relations qui s’étend sur tout le pays. Du Katanga
par exemple, Victor Nendaka nous dit qu’il savait tout
ce qui se faisait à travers la personne de Floribert Kasongo,
commissaire principal à la Sûreté de l’État du Katanga (38).
Cette influence du Groupe de Binza, transparaît dans le comportement
des Commissaires généraux : ceux-ci se font une
spécialité des prises de décisions qui n’ont aucun impact, aussi
longtemps que Ndele et, surtout Bomboko ne s’impliquent pas.
Au départ, c’est Kandolo le véritable chef de cette équipe.
Mais à partir de septembre 1960, Mobutu commence à gagner
de l’importance au sein du Groupe de Binza. Il consolide
rapidement sa position, exploitant la situation d’insécurité
créée par les diverses bandes de partisans des acteurs politiques
qui s’affrontent, et la menace que constitue l’armée,
depuis la mutinerie de juillet (qui a révélé combien les politiques
sont fragiles).
Comment va-t-il opérer ? D’abord, il s’allie dès le départ
plusieurs militaires qui présentent des signes, qui ont un poids
sur leurs troupes. Car, si Mobutu était certes militaire, il ne
paraît pas connaître, d’après divers témoignages recoupés,
grand chose à l’armée; il a davantage l’expérience de l’administration
militaire (formation de sergent-comptable) et du journalisme,
où il s’est fait l’homme de Davister. Mais intelligent
et rusé, il va s’appuyer sur des alliés comme Tshatshi ou
Boboso, qui sont des « soldats brutes », s’entourer de conseillers
étrangers instruits, comme Marlière et Kettani. Au
moment où il apprend à contrôler le terrain militaire, il temporise
du côté politique en alternant blocages et ouvertures face
aux initiatives, soit du Collège des Commissaires généraux,
soit de ses autres collègues du Groupe de Binza. En voici
quelques exemples :
Le Commissaire Ngwete déclare lors de la réunion du Collège
de 24 septembre : « (...) Le Colonel Mobutu ne sait pas
encore ce qu’il veut faire. ».
Télégramme (n° 693) du 20 octobre 1960 du Consulat de
Belgique à Brazzaville au ministère des Affaires étrangères à
Bruxelles :
« J’ai reçu information suivante de Lahaye pour ministère
des Affaires africaines et Caeymax :
Citation :
sur intervention commissaire Général intérieur, au cours
nuit hier, plusieurs opérations gendarmerie ont eu lieu. Notamment
Sendwe Jason fut arrêté ainsi que Kashamura (...).
Mobutu donna ordre libérer intéressés. Ceci a provoqué grand
désappointement Commissaires Généraux.
Interventions énergiques en cours auprès Bomboko.
Tshimanga serait aussi libéré. Ce renseignement non recoupé
cependant les interventions du Colonel Mobutu si elles
perdurent rendront pays ingouvernable et redressement espéré
impossible. Fin citation.
Sé/Dupret ».
Télégramme du 1 décembre 1960 de l’Ambassade de à
Brazzaville au ministre des Affaires étrangères à Bruxelles; à
reproduire au ministre des Affaires Africaines et caeymax
« e070/a communique à crokart qui m’informe :
1. attire votre attention sur gravité causé situation provoquée
par évasion Lumumba. Désorganisation administrative
congolaise et inertie Mobutu gênent mesures coordonnées
pour intercepter Lumumba en route vers Stan. Malgré multiples
efforts déployés le 30 par Divers Commissaires Mobutu
n’a pu être touché.
(...)
Sé/Rothschild ».
Mobutu, un mungala (ethnie Ngbandi) de la Province de
l’Équateur, est tout le contraire d’un Bolikango. Celui-ci, malgré
son influence sur les Bangala, est resté l’instituteur s’attendant
à ce que les jeunes lui obéissent et le reconnaissent
comme « l’ancien ». C’est le modèle des missionnaires qui
l’ont formé. Sa volonté de rapprochement avec Lumumba,
qu’il estimait politiquement affaibli après son arrestation, finit
par le faire éjecter du réseau de soutien financier belge et
éloigner des partisans du Groupe de Binza. Iléo — aussi un
originaire de la Province de l’Équateur, mais de la partie sud
comme Bomboko, ethnie Mongo — est un anti-Lumumba depuis
la crise du MNC en juillet 1959 mais il n’est pas efficace
politiquement. La constitution de son gouvernement en septembre
1960 a été laborieuse, contrastant avec la détermination
et la vivacité qu’avait montrées Lumumba.
À partir d’octobre, les rencontres du Groupe de Binza se
tiendront plus souvent chez Mobutu parce qu’il dispose de
l’espace nécessaire (l’ancienne villa du colonel Vandewalle),
mais aussi parce que l’hôte « contrôlant » l’armée, le lieu rassure
les membres du groupe. Mobutu prend son temps pour
acquérir de l’expérience : il tarde à prendre position, il soupèse
ses décisions. On l’a vu « pousser » à faire un coup d’État en septembre et, puis, pavoisant devant un Lumumba
maltraité à sa résidence le 2 décembre 1960. Il s’agit pour lui
d’un geste qui affirme son courage (39) et lui attire plus d’estime
voire de crainte de la part des anti-Lumumba et mêmes
des partisans de ce dernier. Avec ce Mobutu, on aurait bientôt
affaire à l’homme fort « au geste viril » souhaité par
d’aucuns dont le Professeur à l’Université de Liège, Marcel
De Corte (40). Il commence à se construire, à donner preuves
de son efficacité dans le contrôle de la situation (41).
Sans lui porter beaucoup d’estime, le Groupe de Binza,
qui a lui-même besoin d’une cohésion politique, s’appuie sur
Kasa Vubu comme symbole de la légalité contre Lumumba.
Kasa Vubu n’a pas les qualités d’un chef, mais il souhaitait
comme Lumumba, incarner tout le pouvoir. Pour effacer Lumumba
qu’il ne peut avoir l’illusion de contrôler, Kasa Vubu
ne sait trop que faire. Le Groupe de Binza et les adversaires
de Lumumba, dit Lahaye, mais aussi Nendaka, étaient conscients
qu’il fallait aiguillonner Kasa Vubu et essayer de le forcer
à agir. Alors que les membres du Groupe de Binza, affirment
Lahaye et Cardoso (un autre porte parole du Collège
des Commissaires généraux), savaient que Lumumba n’était
réellement pas communiste, Kasa Vubu, lui, naïf, était convaincu.
Sur cet aspect, comment le Groupe de Binza apprécie-t-il
Lumumba ? Selon Lahaye, Nendaka et Cardoso, interrogés
par nous, plusieurs de ses membres approuvent la position
de Lumumba, mais n&r