LA HAINE PAR PROCURATION, PAR CLAUDE KANGUDIE
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, 50 ANS D’INDEPENDANCE.
LA HAINE PAR PROCURATION : QUEL JOUR OUVRIRONS-NOUS NOS YEUX ?
Le Congo, notre Congo est colonie modèle de la Belgique depuis 1885. La Belgique a bien organisé sa colonie. De tous les états colonialistes, c’est elle qui tire meilleure partie de ses indigènes. Il faut rappeler, à ce sujet, que la Belgique fut, à la fin de la deuxième guerre mondiale, le seul état européen à s’être enrichi et largement enrichi au point que le fameux plan Marchal ne concernait pas la Belgique. Le plan Marchal fut un plan économique conçu par les Américains pour relancer et reconstruire les pays d’Europe détruits par la seconde guerre mondiale.
La Belgique, pour ses raisons économiques, mit en coupe réglée le Congo. Le Katanga est riche en minerais de tout genre. Il faut exploiter ces minerais pour la métropole et la Couronne belge. Il fut créé l’UMHK, Union Minière du Haut Katanga. Mais voilà, les besoins étaient immenses et la main d’œuvre insuffisante. Le royaume de Belgique a besoin des richesses de sa colonie, il faut des bras pour cela. C’est ainsi qu’on fit venir cette main d’œuvre d’un peu partout : du Malawi, du Ruanda-Urundi. On alla aussi chercher des bras dans d’autres provinces du Congo. Et au Kasaï notamment.
Pour les travailleurs venant du Kasaï, le colon avait négocié les conditions de travail et de salaire avec eux. Ceci pour les convaincre de quitter leurs villages et familles. Et la machine économique du colon tourna à plein régime. Et nous arrivons en cette année 1942…
Un jeune adolescent d’alors me raconta ceci…Mon fils, je garde un souvenir impérissable de mon enfance. Nous sommes en cette année 1942…Un bon matin, je vois mes parents en train d’échanger entre eux sur un ton que je ne les reconnaissais pas. Au fait, ma mère exigeait à mon père de ne pas sortir ce jour là. Elle avait fait un mauvais songe. Dans ce songe, elle avait vu des militaires de la Force Publique tirer sur des gens. Et il y avait beaucoup de morts. Et il n’était pas question que son homme sorte ce jour là. Mais ce jour là, tous les travailleurs kasaïens avaient décidé de manifester contre le colon blanc. Celui-ci, quand il est allé les chercher au Kasaï, il leur avait promis salaire et conditions de vie décents. Voici bientôt des années qu’ils travaillaient et que le colon ne respectait ni sa parole, ni ses promesses. Chaque fois que leurs représentants soulevaient ce problème, l’UMHK procédait à la distribution de denrées alimentaires « mposo »…en guise de réponse. C’est ainsi qu’arrive ce jour de 1942. Et les travailleurs de l’UMHK, originaires du Kasaï, avaient décidé de manifester publiquement et dénoncer ainsi leurs modestes conditions de travail. C’est à cause de ce songe que cette dame ne voulait pas que son mari aille à cette manifestation. Et comme elle devait sortir pour une course urgente, pour s’assurer que son mari ne restera pas sortir après elle, elle enferma celui-ci dans sa chambre. Elle va ensuite fermer la porte principale d’entrée…Et confier les clés à son fils alors adolescent, avec ordre de veiller à ce que son père ne sorte pas de la maison. Quel dilemme pour cet adolescent quant on pense à notre culture…assumer la garde de son propre père et surtout à la demande de sa maman… !!! Mais, le papa finira par tromper la vigilance du petit en sortant par la fenêtre de la chambre à coucher. Il se rendit donc à leur manifestation contre l’UMHK. Le jeune adolescent fut surpris par les tirs d’armes automatiques qui éclatèrent ce jour là. C’était la première fois de sa vie qu’il entendait la musique de ces engins de la mort. Et sa mère rentre précipitamment…voyant que son songe s’était vérifié. Il demande à son fils, s’il n’avait pas laissé sortir son papa…mais hélas. Les tirs partaient de partout et des morts, il y en avait partout. C’est Aubert Mukendi qui m’a raconté cet épisode entre ses parents en ce jour de 1942.
Un autre épisode. Un jour mon père me raconta une histoire. Il me dit que beaucoup de gens, surtout à Kinshasa, ne savent pas pourquoi la famille de Beltshika est connue et célèbre. Nous sommes en 1942, les Belges viennent de faire des massacres sur les travailleurs kasaïens de l’Union Minière qui revendiquaient pour les promesses non tenues par les blancs. Les Belges ont récupéré tous les corps et les ont enterrés loin des yeux et des oreilles indiscrets. Ensuite, ils ont construit un stade de football sur le lieu de ces fosses communes. C’est le stade Mwanke de Lubumbashi. Ceci pour effacer toute trace de leur crime. Et c’est là qu’intervient Kalubi Beltshika Liévain. Il composa des chansons pour immortaliser ce crime. Des chansons de résistance que nous chantions dans nos maisons pour ne pas oublier les nôtres qui étaient tombés, dit mon père. Et le colon fit tout pour savoir qui composait ces chansons. Mais nous avons bien résisté et jusqu’à l’indépendance, le Belge n’a jamais su que c’était Kalubi Liévain qui créait ces chansons.
Nous avons voulu relater ces faits par souci historique. Voici maintenant comment le colon va réagir contre les travailleurs kasaïens de l’UMHK. L’UMHK se rendit compte que ce groupe ou cette catégorie de travailleurs allait lui posait des problèmes. Il fallait trouver des solutions pour que cet esprit revendicatif ne devienne pas contagieux avec les autres ethnies ni ne se répète à l’avenir. C’est ainsi qu’un travail psychologique d’intoxication fut entrepris contre les Kasaïens. A l’instigation du colon, toutes sortes de bruits, d’accusation furent répandus sur la communauté kasaïenne du Katanga. On persuada nos frères du Katanga qu’ils étaient dominés chez eux. Les meilleurs postes, étaient pour les Kasaïens, les Kasaïens allaient finir par prendre leurs places, bientôt le Katangais ne sera plus chez lui au Katanga etc…Le principe de « diviser pour bien régner » fut de mise. C’est ainsi que naquit la diabolisation des Kasaïens au Katanga, suite à un conflit social mettant en danger les intérêts vitaux de la Belgique.
Nous arrivons en 1960. Le Belge n’acceptait pas l’indépendance du Congo. La vache à lait, on ne la lâche pas comme ça…Il fallait se rendre encore incontournable à tout prix. Le terrain de la division était déjà fertile depuis 1942. Il a suffi aux Belges de réveiller le démon qu’ils avaient insérer dans les cœurs de nos frères et sœurs du Katanga. Et le venin mortel fit son affaire…C’est ainsi que nos frères du Katanga, avec qui le Kasaï a des liens séculaires, furent induits en erreur par le colon. Les Kasaïens et Kasaïennes furent contraints de quitter le Katanga, parce que le Katangais voulait rester chez lui, avec sa richesse. De ces événements malheureux, plusieurs Congolais et Congolaises perdirent la vie. C’est un épisode douloureux de l’histoire de notre pays.
Nous arrivons en 1990. Mais revenons en arrière, en 1978. Quelques parlementaires courageux, fatigués des promesses et mensonges du président Mobutu décident de créer un parti politique d’opposition, l’UDPS, Union pour la Démocratie et le Progrès. La lecture de la marche politique de ce parti est pleine de beaucoup de rebondissements. La lutte politique entre personnes fut déviée. Les méthodes jadis utilisées contre les Kasaïens au Katanga, par le colonisateur belge, furent remises à l’ordre du jour par les services de Mobutu. Le point culminant de cette intoxication-désinformation fut atteint avec « l’entêtement » d’Etienne Tshisekedi qui ne voulait pas se faire dompter par Mobutu. Tout le monde se rappellera des assertions qui circulaient à Kinshasa : « soki omoni muluba na nioka, boma muluba, tika nioka ». Nous arrivons en cette année 1990. La confrontation Mobutu-Tshisekedi étant devenue trop frontale, le président Mobutu instrumentalisera certains de nos compatriotes du Katanga, dont Nguz dit Karl-i-Bond et Kyungu wa Kumwanza d’Oliveira. Les pogroms et purifications ethniques contre les Kasaïens et Kasaïennes furent commis encore, au Katanga. Comme en 1942. Comme en 1960. Les ressortissants du Kasaï furent spoliés de leurs biens, tués et relégués dans leur propre pays pour le seul tort d’être du Kasaï, province d’origine d’Etienne Tshisekedi. Ceci à l’instigation du président Mobutu, garant « de l’unité nationale et de la Nation ». Ces crimes furent perpétrés dans l’indifférence générale de la communauté nationale. Et réparation n’a jamais été faite jusqu’à ce jour. La voie ferrée du Katanga jusqu’à Ilebo fut un grand mouroir de nos compatriotes.
Nous sommes en 2006. Le vecteur du mal, le cycle vengeance-répression est toujours parmi nous. Jean-Pierre Bemba vient de perdre les « premières élections » démocratiques du Congo. Il est contraint à l’exil dans les conditions que nous connaissons. Mais voici qu’une purification, qui ne veut pas dire son nom, s’est abattue sur nos frères et compatriotes de l’Equateur. On retrouve les mêmes ingrédients et méthodes appliqués contre les Kasaïens. Les mêmes méthodes depuis 1942. Ce sont les opposants naturels du nouveau régime, dit-on. Nombre de Congolais et Congolaises, issus de l’Equateur, ayant embrassés le métier des armes disparaissent, comme des Kasaïens hier, dans l’indifférence totale. Leur tort ? Celui d’être de la même province que Joseph Désiré Mobutu et Jean Pierre Bemba. Ceci est un complot contre notre pays et son intégrité. Ces compatriotes par leur métier des armes, sont les remparts qui défendront le Congo demain. Et ils sont tous en train d’être décimés par le nouveau pouvoir. Avec des prétextes inavouables. Hier, c’étaient les Kasaïens les ennemis du pouvoir de Mobutu. Aujourd’hui, ce sont nos frères de l’Equateur, province d’origine de Jean-Pierre Bemba, qui sont les ennemis du nouveau pouvoir. Est-ce qu’à ce titre, doivent-ils être traités de la sorte ? Et le pouvoir qui viendra demain, comment traitera-t-il les Katangais ? Le Belge qui nous avait inoculé ce venin est déjà parti. Qui nous demande de continuer dans ce cycle de la honte et du déshonneur ? Voici 50 ans que nous sommes indépendants, quand finira cette haine par procuration ?
Nous avons parlé des faits selon notre angle. A d’autres de nous compléter et de nous contredire. Nous devons avoir le courage d’extirper les maux qui nous rongent, surtout depuis 50 ans de notre indépendance. Nul n’a le monopole de la vérité si ce n’est Dieu. La vérité est une notion intemporelle. Elle finit toujours par triompher.
Claude KANGUDIE