Discours du président Kasa-Vubu devant les Chambres réunies
En septembre 1960, la jeune République du Congo avait deux gouvernements. Celui de Joseph Ileo avec son Collège des Commissaires généraux installé par Kasa-Vubu mais non reconnu par le Parlement et celui de Lumumba désavoué par le Président mais légal pour les deux Chambres. Devant cette cacophonie et considérant que le Parlement est en pleine confusion, Kasa-Vubu réagit immédiatement. Il décide alors d’ajourner les chambres pour un mois. Mais en réalité, les parlementaires ne se réuniront qu’une année plus tard au Conclave de Lovanium. Le jeudi 27 juillet 1961 à la « Colline inspirée », le Président prononce son discours sur l’Etat de la Nation devant les deux Chambres réunies pour la circonstance. C’est un document inédit tiré des archives du journal Le Potentiel.
Samuel Malonga
Messieurs les Députés,
Messieurs les Sénateurs,
Depuis plus de dix mois notre malheureux pays connaît des épreuves terribles. Les passions politiques se sont déchaînées.
En des nombreux endroits, les enfants de ce pays se sont affrontés et entre-déchirés. Des forces centrifuges ont joué, et menacent gravement l’unité de l’héritage du 30 juin 1960. Certaines
influences extérieures ont attisé les dissensions, cherchant à faire de notre pays le théâtre idéal de la guerre froide.
Cette crise politique terrible a compromis la sécurité des personnes et des biens, elle a ébranlé les structures économiques et les finances publiques, elle a provoqué un chômage dramatique.
Pour mettre fin à ce cauchemar, il a été question depuis des mois de réunir le parlement. Car, seule une solution parlementaire peut résoudre définitivement la crise actuelle (.) Aussi, c’est
avec émotion, c’est avec un véritable soupir de soulagement que je salue la rentrée en scène du parlement.
Messieurs les Députés, Messieurs les Sénateurs,
C’est, aujourd’hui, je crois, la date la plus importante depuis notre indépendance, parce que mûris et fortifiés par l’expérience du malheur, vous vous retrouvez, tous, décidés à oublier
suffisamment ce qui vous a opposé pour vouloir avant tout sauver le pays. C’est surtout votre volonté d’entente, c’est votre volonté d’aboutir qui ont permis la réouverture du Parlement
(.)
Ce qui convient au pays au moment où il va élaborer sa constitution, c’est un gouvernement de large union nationale dans toute la mesure du possible. Car, il faut un esprit d’entente
nationale pour régler le problème essentiel des futures structures du pays et seul un gouvernement d’union nationale est capable de promouvoir les majorités spéciales requises pour le vote de
la Constitution.
Mais, ce que le pays attend surtout de vous, Honorables Députés, Honorables Sénateurs, c’est que vos travaux se déroulent dans un véritable esprit d’entente. Pour une jeune République qui
vient à peine de célébrer son premier anniversaire, nous avons eu plus que notre part de deuil.
En jetant un regard circulaire sur cette Assemblée, je me remémore les visages d’amis nationalistes congolais qui étaient avec nous à Kisantu, à Bruxelles, mais qui aujourd’hui, ne sont plus.
Ils étaient tous si jeunes.
Peu de pays peuvent se permettre de perdre prématurément une si grande partie de leur élite. Mais, en plus de tous les disparus dont j’ai personnellement les souvenirs, je me dois de vous
rappeler les innombrables autres Congolais dont les corps mutilés ont inscrit une page sombre de notre histoire. On peut difficilement imaginer que tant de souffrances, que tant de lourdes
pertes aient pu se produire dans un si court laps de temps.
Je vous invite, Honorables Sénateurs, Honorables Députés, à vous lever et à observer une minute de silence à la mémoire de tous les parlementaires et de tous les autres Congolais morts pour
que vive la Patrie.
Messieurs, je vous invite à oublier tout le passé. Il y a eu des deuils dans tous les camps. Plutôt que de se livrer à l’esprit de vengeance, entendons-nous pour sauver le pays, qui, sinon,
risque de mourir (.)
Messieurs, nous dénonçons volontiers certaines influences étrangères comme responsables de la crise congolaise.
Et, nous avons raison.
Nous médisons volontiers de la Loi Fondamentale comme ne nous convenant pas.
Nous avons raison. Mais ce qui est encore plus vrai, c’est que nous ne résoudrons nos problèmes difficiles que par nos propres forces. C’est en nous-mêmes que se trouve la solution de la
crise. C’est de notre volonté d’entente, c’est de notre volonté d’aboutir.
Joseph Kasa-Vubu
Président de la République du Congo
Lovanium, jeudi 27 juillet 1961