Rochereau à l’Olympia
Tout commence en 1969 lorsque Rochereau veut sortir du carcan musical national pour devenir une vedette internationalement connue. Même s’il a fait ses preuves en Afrique, l’Europe est encore à conquérir. L’Olympia est la seule vitrine susceptible de rendre sa musque visible dans le vieux continent.
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Son manager. Grégoire Ngwango dit Selija et la présidence de la république sont aux premières loges pour la réalisation du projet. La bonne nouvelle du passage du seigneur Rochereau au grand music-hall parisien finit par être annoncée. Il est prévu à la fin de l’année qui vient. Avec cette production, l’idole d’ébène va acquérir une stature internationale. A vrai dire, Rochereau est le premier artiste africain mâle qui s’y est produit. Car avant lui, deux femmes ont eu l’honneur de l’y précéder. D’abord la Sud-Africaine Myriam Makeba, la Mama Afrika, puis la diva égyptienne Oum Khaltoum. Elles s’y sont produites respectivement en mai et en novembre 1967.
La préparation
Le groupe se donne à fond pour la réussite du spectacle et pour relever le défi que cela représente pour la musique et la culture congolaises. Rochereau met la barre très haut. Le rendez-vous de l’Olympia doit être quelque chose de spécial, de nouveau, un concert pas comme les autres. Inspiré par le passage de Claude François, Rochereau décide d’en faire un show. Commence alors un casting à travers la capitale pour dénicher les filles et les garçons qui vont cristalliser le spectacle. A côté des artistes-musiciens, deux danseurs et cinq danseuses bombardées du nom de ″Rocherettes″ sont intégrés dans le groupe pour donner à la chorégraphie plus d’entrain et de substance. Si le nom ″Rocherette″ réussit à s’imposer tant dans le jargon musical congolais que dans le parler kinois, celui de ″Rocheret″ alloué aux garçons ne rencontre pas le succès escompté. Devenu vite désuet, il disparaît au lendemain de son invention par Rochereau. Il est vite remplacé par le sobriquet d’un des deux danseurs. Ils sont aussitôt appelés ″Kinsekwa″. Pour être physiquement en forme, des séances de gym ont lieu à l’athénée de Kalina (Gombe) sous la conduite d’un moniteur d’éducation physique. Les danseuses sont aussi soumises à une formation traditionnelle et rituelle chez une guérisseuse mongo puisque le show devrait présenter quelque chose d’africain et de congolais,
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A côté des séances de répétition, la discographie du groupe est étoffée. De nouvelles chansons sont mises sur le marché du disque (Asambalela, Riverra, Tika nameka, Fétiche). A côté des nouveautés sont ajoutés des titres pour compléter le répertoire (Moussa, Paulina, Mystère, Moto akokana Nzambe akosukisa etc). Sont aussi ajoutés les titres de Luambo (Obwa osud djeme), du bien-aimé petit-frère Pamelo Mounka (Masuwa) et d’Eboa Lotin.
Le gouvernement met la cité de la Nsele à la disposition du groupe pour préparer l’événement. L’African Fiesta National dit Le Peuple y est interné pendant neuf mois. Tout doit être réglé à la minute près pour prouver et pour convaincre la France et le monde. l’honneur de la musique congolaise étant en jeu. Dans l’entre-temps, des ″concerts-répétitions″ ont lieu tous les samedis au bar Suzanella Maison Blanche à Yolo Nord. Il y a eu même un test grandeur nature du show au Théâtre de Verdure au Mont Ngaliema.
Coquatrix à Kinshasa
Au tout début de l’année 1970, Bruno Coquatrix a besoin d’assurance. Malgré la promesse qu’il a faite à Rochereau et comme hanté par le doute, il a grand envie de savoir à quoi ressemble ce groupe congolais. Il veut personnellement le voir en action pour se faire une idée de ce à quoi peut s’attendre le public parisien. Rendez-vous est donné à la Suzanella car la RDC ne dispose à l’époque d’aucune salle capable de contenir ne fut-ce qu’un demi-millier de spectateurs.
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Bruno Coquatrix arrive à Kinshasa en janvier 1970 et assiste au show devant un monde fou. Satisfait, rassuré et convaincu de la prestation du groupe, le Français confirme le passage de la vedette congolaise dans le célèbre music-hall parisien à la radio et à la télé. Avant de rentrer en France, il demande à Rochereau d’utiliser plutôt la guitare basse en lieu et place de la contrebasse quelque peu dépassée. Aussitôt parti, Rochereau et les siens effectuent les derniers réglages du spectacle. Deux semaines avant le grand événement, l’African Fiesta National est à Bangui sur invitation personnelle du président centrafricain Jean-Bedel Bokassa pour agrémenter une soirée.
Le jour j
Au soir du samedi 12 décembre 1970, l’orchestre African Fiesta National Le Peuple au grand complet monte sur la scène de l’Olympia. Le groupe se présente de la manière suivante :
Chant : Rochereau, Paul Ndombe et René Kasanda Karé
Guitares : Attel Mbumba (lead), Michelino Mavatiku et Denis Lokasa (rythmique), Faugus Izeidi (mi-solo), Philo Kola et Muena (basse)
Saxophone : Deyesse Empompo
Trompettes : Willy Mbembe et Vieux Biolo
Batterie : Seskain Molenga
Percussion : Armando Ama
Danseurs : Pascal Kabemba alias Kinsekwa et Gaston Dilenga alias Dilens
Danseuses : Marie-Claire Saïdi, Mariatou Paouwa, Annie Mbuli, Marie-Thérèse Yoka et Angélique Yeni.
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Le spectacle nommé ″Fanfare nationale du Congo-Kinshasa″ est retransmis en direct simultanément sur les ondes de la radio nationale et de RFI. La salle est comble, Les 2.000 places se sont arrachées comme des petits pains. Dans ses indiscrétions, Michelino Mavatiku affirme sur sa page Facebook que c’est Marie-Claire Saïdi, la "cheftaine" des Rocherettes, qui monte la première sur les planches de la salle mythique ce soir-là. Elle annonce et présente l’idole d’ébène en ces termes : « Et voici le seigneur Rochereau.» Aussitôt la petite présentation terminée, c’était vite parti pour deux heures non-stop de show à vous couper le souffle. Le groupe arrive par sa prestation à conquérir le public parisien dans cette folle nuit du 12 au 13 décembre 1970. Le directeur artistique de l’Olympia, Jean-Michel Boris, qualifie la prestation de l’African Fiesta National de ″world music″. Il évoque même ″une ambiance de tous les diables, un bordel d’anthologie″. Le succès du groupe est total. Pari gagné, Rochereau vient d’être internationalisé.
Assailli par les journalistes, Rochereau qui est emporté par la fièvre de sa réussite n’a qu’une seule phrase pour réponse : ″J’ai gagné.″ Les félicitations fusent de partout. Les grandes vedettes de la chanson et du cinéma français organisent un dîner en son honneur au restaurant Maxim’s de Paris.
Invité pour deux spectacles, l’orchestre va jouer encore pendant 14 jours d’affilé et ce jusqu’au 31 décembre 1970 inclus. Le grand Ley et son groupe donnent au total 18 shows et 18 bals ou soirées dansantes à la taverne de l’Olympia en 15 jours, d’abord comme tête d’affiche puis en première partie de Julien Clerc.
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Au retour et à l’orée de l’année 1971, l’orchestre déjà internationalisé par ce passage à l’Olympia change d’appellation. Rochereau arrive à faire un jeu des mots en fusionnant le nom du groupe et celui de son label. L’African Fiesta National (Le Peuple) des éditions ISA devient AFRISA pour African International Service Artistique. Le style et la danse Jobs sont aussitôt remplacés par un nouveau style de musique : le soum djoum.
Samuel Malonga