Kinshasa et ses mythes
Lorsque Kinshasa était encore Léopoldville, plusieurs rumeurs couraient dans la ville. Racontées par les noctambules qui après avoir pris un verre avec des amis ou après un concert rentraient tranquillement chez eux. Ces histoires devenues à la longue de vraies contes populaires étaient souvent liées à la nuit et à la rumba.
Cette musique qui s’installa dans Léopoldville, cette capitale qui devint de plus en plus cosmopolite et qui abrita les populations venues de tous les coins du pays. Celles-ci cohabitaient tant bien que mal. La rumba était parvenue à fédérer les différentes tribus congolaises dans une sorte d’unicité culturelle à la kinoise. Cette civilisation citadine aidée par la promiscuité favorisa dans les cités-dortoirs la foison d’histoires abracadabrantes autour des personnages quasi mystiques que beaucoup après avoir juré de les avoir vus, donnaient leur description jusqu’au moindre détail. Des histoires à dormir debout qui avaient fait le tour de la ville et auxquelles tout le monde croyait. Léopoldville by night miroitait la peur des rencontres insolites inlassablement racontées par ces Bana Kin qui voulaient dompter la nuit. Qui étaient ces personnages fabuleux qui avaient alimenté les fantasmes collectifs de la capitale congolaise à l’époque coloniale?
1. Mamiwata
C’était la sirène. Une femme de très grande beauté que bien des promeneurs de nuit auraient aperçue en train de prendre son bain de minuit au clair de lune au bord du fleuve à Kinsuka. Certains affirmaient aussi que la belle créature agissait parfois de jour dans des écoles. Selon la rumeur, elle signalait parfois sa présence dans des salles de classe. Les élèves voyaient la craie se déplacer d’elle-même et se mettre à écrire le nom Mamiwata au tableau noir. Ce qui créait la panique. C’était les rares fois que la sirène se manifestait de jour. Dans la vie courante, plusieurs célibataires endurcis étaient taxés d’avoir des relations amoureuses avec des sirènes. Ces femmes de nuit venaient leur rendre visite nuitamment. Femme très jalouse, elle ne tolérait jamais la rivalité. L’amant risquait la mort s’il se donnait le luxe de mener une double vie.
2. Satonge
La description de ce personnage était celle d’un être qui avait la forme d’une moitié d’homme. Il avait un œil, un bras et une jambe. Un vrai monstre qui faisait penser au cyclope! Pour ceux qui l’avaient aperçu, sa présence était signalée dans la forêt de Saint Joseph.
3. Kinshasa
Un géant de plus de 2m qui terrorisait les noctambules. Le fantôme ne menaçait ni ne faisait du mal à personne. Sauf que se retrouver devant ce colosse aux heures perdues de la nuit n’était pas de bonne augure. Il fallait donc ne pas trop traîner la nuit au risque de le rencontrer. La légende affirmait que ce fantôme était celui de la toute première personne décédée à Kinshasa.
4. Marie-Louise
Une dame qui était morte mais qui ne voulait pas rester au paradis. Chaque soir, elle revenait à la vie et se rendait au lieu où se produisait Wendo Sor qui l’avait immortalisée. Lorsque l’artiste entonnait cette chanson, la peur gagnait le bar car les gens redoutaient qu’elle n’y viennent. Bien des noctambules avaient confirmé l’apparition de la bonne dame lors de l’exécution de sa dédicace. Elle était, semble-t-il, enterrée au cimetière de Kasa-Vubu, à côté duquel se trouvait un grand dancing où se produisaient les différents artistes-musiciens de l’époque. Le fantôme de la revenante Marie-Louise hantait les bars de Kinshasa la nuit.
De par l’attrait mystique attribué cette composition de Wendo, bien des Congolais à l’époque avaient accordé à cette chanson des pouvoirs surnaturels dont celui de réveiller les morts surtout lorsqu’elle était jouée aux environs de minuit. De ce fait, la chanson "Marie-Louise" qui déplût au clergé catholique fut considérée comme un air diabolique. En effet un curé belge, sûrement agacé par les folles rumeurs qui y circulaient, la déclara satanique et invita les fidèles à la censurer. Banni de l’Eglise et emprisonné un moment, Wendo fut contraint de quitter la capitale pour se réfugier à Stanleyville (Kisangani). Considéré comme le premier vrai tube de la musique congolaise moderne, "Marie-Louise" était sorti en format 78 tours en 1948 sous le label Ngoma. Notons que c’est dans cette chanson qu’apparaît pour la première fois le vocable "sébène" que Wendo avait utilisé pour désigner les jeux de guitare de Bowane
5. Mundele ngulu ou mundele muinda
Un éleveur de porc qui selon la légende avait une lampe-torche magique. Lorsque quelqu’un le croisait, il lui fixait avec le réflecteur de sa lampe. Celui-ci se métamorphosait aussitôt en cochon. La victime était ensuite transformée en jambon la nuit et vendue le lendemain matin sur les marchés de la place. Dans son livre ″Terre de la chanson″, Manda Tchebwa rapporta que le mythe ″mundele ngulu″, selon certains témoignages recueillis dans le cercle des kinois de souche, se rapporterait à un fermier blanc qui tenait sa ferme porcine dans la région de Kinsuka, près du fleuve Congo. Ses porcs, extrêmement engraissés, avaient fini par inspirer une légende qui voyait à travers ces bêtes gavées à outrance, des hommes noirs issus des captures nocturnes et qui, par quelques procédés magiques, se retrouvaient transformés en porcs. D’où l’expression Mundele (le blanc) qui transforme les hommes en ngulu (porc). On l’appelait aussi mundele mwinda à cause de la lampe torche qu’il avait toujours avec lui.
Par contre, selon Zola Mululendo appuyé par l’historien Ndaywel, le Blanc transformait des êtres humains en animal par des moyens magiques ou par des pratiques occultes. Cette rumeur rapportait que les victimes étaient métamorphosées pour nourrir les Belges qui souffraient de la faim en raison de la Première Guerre mondiale. Les Congolais pensaient que les victimes étaient tuées, dépecées et partagées entre Européens. Quand ils n’avaient plus de réserves de viande humaine, les Européens recommençaient l’opération. Le recrutement forcé de travailleurs dans l’après-guerre avait suscité, du moins renforcé, cette croyance en un cannibalisme sorcier blanc. Cette rumeur aurait contribué énormément à l’expansion du kimbanguisme. Au-delà de tout soupçon et pour marquer son ancrage dans cette ville qu’il avait terrorisée, l’avenue de l’Université porte le surnom de avenue Mundele ngulu comme pour se rappeler du bon vieux temps..
Ces histoires de noctambules avaient alimenté les conversations des Kinois dans une ambiance fébrile. Les plus peureux avaient du mal à affronter la nuit devenue le symbole des rencontres insolites. Ces récits fabuleux que l'on peut aujourd'hui qualifier de mythologie kinoise avaient fait le lit des colporteurs de la peur jusque dans les années 70.
Samuel Malonga