Le destin croisé de Franklin Boukaka et Chantal Kazadi
Le destin croisé de Franklin Boukaka et Chantal Kazadi
Ils sont deux auteurs-compositeurs que tout uni ou presque : le talent, l'art d'Orphée dont ils partagent l'amour et le micro devant lequel ils étalent leur savoir-faire. Ils ne se sont pourtant jamais croisés de leur vivant. Chantal commence sa carrière musical au moment où Franklin Boukaka avait déjà écrit des hits inoxydables. Le premier a eu une courte carrière alors que le second a commencé la sienne au crépuscule de la colonisation.
Les deux artistes ont pourtant la même passion pour la musique. Ils sont chanteurs et leurs voix emballent les auditeurs, leurs œuvres marquent les esprits. Voici deux joyaux de la musique congolaise moderne qui meurent de façon inexpliquée sous les balles des militaires.
S’il est presque établi que la chanson Zadio relate une histoire amoureuse qui va condamner Chantal Kazadi, Franklin Boukaka est lui soupçonné d’avoir écrit un texte injurieux à l’endroit du président Marien Ngouabi. Dans Dia bikola (manger des feuilles comestibles), il est question de la complainte d’un homme qui en a marre de ne consommer que des légumes alors que son voisin ne mange que de la viande. Le pouvoir interprète mal l’expression ″monoko na ye se ya ngombe″ contenu dans le texte. Le régime marxiste le qualifie d'outrage au chef d’Etat qui avait des lèvres épaisses. Ce qui place son nom dans la liste noire.
En 1971, Chantal Kazadi après son arrestation par des militaires et sa condamnation à mort au terme d'un procès expéditif a sûrement été torturé avant d’être assassiné et son cadavre jeté dans la Lulua. Drainé par les eaux de la grande rivière, son corps n’est jamais retrouvé. Quasiment une année plus tard sous le faux prétexte d’avoir participé au putsch avorté d’Ange Diawara et son M 22, Franklin Boukaka est arrêté et exécuté une nuit de février 1972. Cette décision politiquement incorrecte est prise au plus haut sommet de l’État. On ne sait pas où a été inhumé son corps. On se demande même s’il a seulement été enterré. N’a-t-il pas lui-même dévoilé dans sa chanson prémonitoire Nitu ani ya mbi la malchance qui l’habite?
Pourtant, dans cette ténébreuse histoire écrite en lettres de sang, la façon dont périssent les commanditaires de ce double homicide crapuleux intrigue. Les deux officiers supérieurs ne vivent pas longtemps après leurs forfaits. Le général Léopold Masiala qui a décidé de la vie de Chantal Kazadi décède en août 1975, officiellement suite à un crash d’hélicoptère mais une liquidation déguisée selon la rumeur publique. A Brazzaville, le commandant Marien Ngouabi qui par procuration a téléguidé l'assassinat de Franklin Boukaka meurt en mars 1977 assassiné par un commando diligenté par ses propres frères d’armes. Quatre ans après Chantal et cinq ans après Franklin, Léopold et Marien meurent l’un après l’autre de mort violente au beau milieu de la même décennie.
La mort de Franklin Boukaka et de Chantal Kazadi a suscité la curiosité de la population malgré le silence et l’opacité imposés autour de ces cas par le pouvoir militaire dans les deux Congo. Privés de tombes dignes de ce nom, les deux victimes des armées de leurs pays respectifs ont nourri l’imagination des mélomanes sur le comment et le pourquoi de leur exécution sommaire. La disparition du général Masiala et du commandant Ngouabi dans des conditions non élucidées jusqu'à ce jour, a par contre laissé beaucoup de questions en suspens qu’elle en a donné des réponses. Fauchés dans la fleur de l’âge (32 ans pour Franklin et 20 ans seulement pour Chantal) dans des circonstances suspectes, leur passage éclair sur cette terre des hommes a imprimé une marque particulière à leur destin croisé.
Samuel Malonga