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Publié par Samuel Malonga

Ballade dans le folklore kongo avec Luambo Makiadi

Luambo et le folklore, c’est l’histoire d’un homme et de sa culture. C’est aussi la rencontre d’un artiste avec cette tradition qui a façonné sa vie d’homme. Il s’y met dès le début de sa carrière musicale.  Des années durant, Franco va puiser dans les vécus de son terroir plusieurs mélodies populaires qui l’impressionnent par la teneur de leurs  messages écrits comme des paraboles difficiles à comprendre. En plongeant dans les profondeurs de ses racines, il parvient à déceler dans les mœurs de sa tribu ce qu’il y a de plus merveilleux : le kinzonzi (la palabre) et ce qu’elle a de plus pernicieux le kindoki (la sorcellerie). L’artiste va exploiter avec dextérité ces deux thèmes dans ses  chansons. Celles-ci ont surtout fait le bonheur des habitants des territoires de Kasangulu peuplé des Balemfu et celui  de Madimba habité par les Bantandu qui aiment s’appeler Madimbadiers.

En lingala, on connaît le baroudeur et le provocateur qui sans cesse tire à boulets rouges sur les femmes. En kikongo par contre, ce sont les sorciers qui font les frais de sa colère. Il les stigmatise en dénonçant leurs pratiques diaboliques. Il a même le culot de citer dans ses chansons les noms de certains envoûteurs qui font des ravages dans les villages. Le Mukongo qu’il est, n’est-il pas superstitieux ? Ne croit-il pas à la sorcellerie ? N’a-t-il pas failli lui-même mourir dans son enfance ?  En effet Luambo, à qui personne ne donne six mois de vie à sa naissance a eu une santé chancelante, meurt et reprend vie après administration des piqûres. 

Accusée à tort ou à raison d’être à l’origine de bien des maux, considérée comme la plus grande tare de la société traditionnelle kongo, la sorcellerie a mauvaise réputation. Elle a, semble-t-il, morcelé des familles, brisé des vies, détruit des couples, anéanti l’avenir de certains, inoculé des maladies incurables ou mortelles, fait des orphelins et des veuves. Devenu la voix des sans voix, Luambo s’acharne sur les sorciers pour réveiller les consciences et changer les mentalités. La musique est l’arme qui lui permet de mener à bien la lutte. Depuis la nuit des temps dans la société kongo, les gens se sont toujours servis de la chanson pour éduquer, conseiller, dénoncer, véhiculer un message ou moraliser la communauté. Le baroudeur de la musique congolaise moderne n’a pas dérogé à cette règle. Comme personne avant lui, il a défié les ensorceleurs en mettant leurs pratiques sataniques sur la place publique.

En puisant dans le répertoire traditionnel de son espace culturel, l’enfant de Nsona-Mbata a sorti une bonne vingtaine de chansons en kikongo entre 1958 et 1989. On y distingue pêle-mêle des dédicaces, des fables, des diatribes, de  l’humour, la dénonciation de la sorcellerie ou la coutume. A quelques exceptions près, le village est le cadre où se déroulent les histoires des mœurs que l’artiste raconte.

Aujourd’hui, en essayant d’expliquer brièvement chacun de ces titres, l’occasion est donnée aux mbokatiers qui ne comprennent pas le kikongo de saisir la portée du message qu’ils renferment. Ces chansons sont recensées selon les années de leur sortie dans les bacs.

  1. YIMBI

Label : Loningisa, 1958.

Cette chanson est la première interprétation de la série que l’artiste consacre au folklore kongo. C’est un conte qui met en relief un oiseau fabuleux, une sorte de phénix : yimbi. Certains l’appellent épervier mais en réalité il n’en est pas un. On voit dans la fable une mère au pied d’un arbre en train de supplier le prédateur de lui rendre son enfant. Pour se prémunir du rapt, les parents demandent à leurs rejetons d’être prudents lorsqu’ils sont seuls dans la brousse, car yimbi, emporte les enfants, les bébés et les poussins. Pour se prémunir du danger, la parade est la chanson dédiée à cet ogre volant. A sa vue ou à son approche, Il faut l’entonner en répétant plusieurs fois Ko yimbi ko (Non yimbi non, ne m’attrape pas). Dans le texte, la femme supplie l’oiseau en ces termes : « Remets l’enfant pour que je l’allaite. N’entends-tu pas ses pleurs ainsi que les miens ? Ne vois-tu pas ma tristesse ? ». Les villages de Mawungu, Boko, Sona-Bata, Madimba, Nselo et Kingusi sont aussi en émoi. Dans les années 60, même à Kinshasa, cette fable a été contée par les parents à leurs enfants. En effet, le ya qui précède le nom yimbi est le diminutif de  yaya qui signifie grand-frère ou grande-sœur.

Moralité : La vie requiert une certaine prudence.

  1. YA MBALA (grand-frère/aîné Mbala)

Label : Surboum African Jazz, 1961.

Une dédicace à celui qui est comme un exemple à suivre. On l’appelle munderi (le blanc) Mbala. Cet homme courageux homme va droit aux buts pour atteindre ses objectifs. Tout le village  s’émerveille de lui car il voyage pour Kinshasa. Dans la capitale, il va vivre l’indépendance, il va voir des voitures, des esprits malins (matebu), des cigarettes, des motos et bien d’autres merveilles de La ville. Mais selon sa descendance, le fameux Mbala dont il est question dans la chanson n’est autre que le grand véclubien Mingiedi Mbala Nzeteke (1892-1993). Franco aurait dédié ce titre à ce donateur de V.Club et de l’Abako en guise d’hommage pour services rendus. Cet Angolais fut un ami du président Kasa-Vubu. C’est bien lui qui a payé les honoraires de l’avocat français Me Croquez venu expressément à Léopoldville pour défendre Kasa-Vubu et Daniel Kanza lors du procès de l’Abako qui a fait suite aux événements du 4 janvier 1959. 

Moralité Le courage paie.

  1. KINGOTOLO MBUTA NGANI MBOTE (Bonjour aîné Kingotolo)

Label : Surboum African Jazz, 1961.  

Dédié à Antoine Kingotolo alors secrétaire général de l’ABAKO, ce titre est une chanson patriotique dans  laquelle Luambo fustige la colonisation et les colons. Une première car Luambo parle politique. L’artiste demande à Kingotolo qu’il laisse partir les Blancs maintenant que nous avons acquis notre indépendance. Que doit-on faire de ces gens méprisables qui ont pillé de fond en comble notre pays, se demande-t-il. Il suggère que Kasa-Vubu, le père qui nous a été envoyé  dirige le Congo.

Moralité Savoir se débarrasser des amis indignes de confiance.

  1. MBONGO ZI YA VONI (L’argent de l’aîné Voni)

Label : Surboum African Jazz, 1962.

C’est une interpellation. Se moquant presque de lui, un aîné demande à Franço pourquoi il n’est pas sage. Étonné, il répond en demandant aux plus jeunes d’entonner cette chanson pour lui prouver qu’il a de la sagesse, de la prudence, qu’il ne peut oublier ses parents, qu’il sait que l’argent dont on parle n’est pas le sien mais qu’il appartient à son grand-frère Voni, qu’il a toujours de la retenue et compte sur lui-même.

Moralité : Ne pas compter sur les biens des autres même s’ils appartiennent à votre propre frère.

  1. MA NKEWA (Maman singe ou La guenon)

Label : Surboum African Jazz, 1962.

http://www.mbokamosika.com/2019/10/ma-nkewa-de-franco-decortiquee-par-samuel-malonga.html

 

  1. LOMBOLA

Label : Surboum African Jazz, 1962.

Luambo tire dans le folklore local cette mélodie qui dans les années 60 est entonnée dans des veillées mortuaires à Kinshasa. Son titre originel est NGOMBELE (j’ai perdu quelqu’un ou quelque chose de valeur). Il s’agit d’une personne qui est fâchée contre les siens. Ces derniers profitent de sa générosité mais ne lui témoignent en retour aucun signe d’amour. L’intéressé qui a vite compris leur ingratitude leur dit sans ambages qu’il n’est plus leur aîné et qu’il ne les aiderai plus à l’avenir.  

Moralité : La cupidité tue l’amour.

  1. SANSI FINGOMA NGOMA (joue le petit tam-tam)

Label : CEFA, 1963.

En route, des connaissances arrêtent Franco et lui demandent pourquoi ne joue-t-il pas ce tam-tam qu’il a toujours avec lui. Il leur dit que lorsqu’ils le voient passer avec son instrument, il s’en va quelque part où une horde de filles l’attendent. Il leur demande gentiment de le laisser partir et qu’il leur fera plaisir une autre fois. Car s’il ne part pas, les garçons et les filles qui attendent son arrivée ne danseront pas.

Moralité : S’en tenir à ses engagements.

  1. FUALA MBOMBO NGULU KADIA  (François a mangé le groin de cochon)

Label : CEFA, 1963.       

Une chanson humoristique qui en dit long sur certaines pratiques et croyances ancestrales. Dans le village circule une effroyable rumeur : Fuala (François) donc Franco a mangé le groin (le museau du cochon) pour vivre longtemps et pour être en avance sur les autres. Lorsque la nouvelle arrive à ses oreilles, Franco le confirme et menace de se suicider pour avoir enfreint l’interdit.

Moralité : Respecter les tabous pour éviter la malédiction.

  1. MANTALE

Label : Pathé, 1965.

Cette chanson parle du fantasme d’une personne qui veut se faire violence. Cet individu qui pourrait être un enfant s’en va trouver Mantale. Il lui fait part de son projet totalement absurde, une requête pour le moins surprenante. Son rêve le plus fou est d’être giflé à défaut de recevoir un coup de pied digne de ce nom. Il approche Mantale qui peut-être connaît celui qui pourrait l’aider à la réalisation de ce projet pour le  moins inique celui de recevoir la baffe qu’il a toujours souhaité.

Moralité : Faire attentions aux idées folles.

  1.  BANDOKI KABASAKA YE NERAKA

Label : Pathé, 1965.

Cette locution est dénuée de sens et n’a rien avoir avec le kikongo à part bien entendu le substantif bandoki qui s’y trouve. Elle est la parfaite l’illustration des erreurs commises lors de l’impression de l’étiquette du disque vinyle, ce morceau de papier circulaire qui porte le titre et le nom du compositeur ainsi que d’autres descriptions qui se rapportent à l’élément audio qu’il renferme. Le vrai titre de cette chanson devrait être BANDOKI KABASALA YE NKENDA KO (Les sorciers n’ont plus de pitié). L’histoire se passe dans un village. Un monsieur dont les enfants sont  ″mangés″ par les sorciers réunit tout son monde et leur dit sans détour que ce sont les ensorceleurs qui sont à la base de la mort de sa progéniture. Avec ce titre, Franco inaugure la série des chansons où il s’en prend ouvertement à la sorcellerie.

Moralité Avoir le courage d’affronter ses bourreaux.

  1.  BENO BAKONGO SIKA  (Vous les Bakongo, parlez)

Label : Epanza Makita, 1967.

Un accusé quitte précipitamment son village est part sur la route de Madimba en catimini afin de trouver la solution à ce problème. Malheureusement pour lui les autres villageois s’en aperçoivent. Or un adage des anciens préconise que toute affaire portée devant le tribunal traditionnel doit être mise en chanson pour que tout le monde soit au courant. Ladite chanson est demandée par les sages qui sont très fâchés par le fait que ce monsieur a enfreint la coutume léguée par les ancêtres lequel régit la société traditionnelle.  Les paroles sont les suivantes : Parlez, vous les Bakongo car cette affaire va vous surprendre, nous irons même à Nkamba pour trouver la solution, nous irons au tribunal, vous allez traiter ce problème en catimini.

Moralité Respecter les règles établies.

  1.   LUVUMBU

Label : Éditions Populaires,1967.

Connu surtout sous le titre de LUVUMBU NDOKI (Luvumbu le sorcier ou le sorcier Luvumbu), ce chant traditionnel connaît un très grand succès auprès des mélomanes. Luvumbu fait des ravages dans le village avec sa sorcellerie alors que c’est à lui que les anciens ont laissé la responsabilité de la famille. Il a ″mangé″ tous ses jeunes frères et sœurs.  Emporté, Fuala (Franco) lui crache la vérité en face et lui dit que le clan ira voir le ngunza (prophète). Outre Luvumbu, les noms des autres sorciers du village sont aussi cités. Sortie quelque temps après la pendaison de Bamba, Anany, Kimba et Mahamba, la chanson est censurée et Franco connaît de très sérieuses difficultés avec le régime Mobutu.

Moralité Ne pas avoir peur de dire la vérité.

  1.   KU KISANTU KIKUENDA KO (Je n’irai pas à Kisantu)

Label : Éditions Populaires,1969.

Chanson traditionnelle arrangée par Luambo dans laquelle un dialogue s’engage entre un Muntandu et un Musi-Ngombe. Le premier parle de la sorcellerie qui fait rage chez lui au village. Même ceux qui sont installés à Kinshasa, dit-il, ne sont pas épargnés par la colère meurtrière des sorciers. Le second réplique que cette pratique diabolique dans son territoire a longtemps pris fin grâce à Simon Kimbangu qui à Nkamba a réussi à convertir tout le monde. Le Muntandu a très peur. Alors qu’il se trouve dans la capitale et suivant les conseils qui lui a été prodigués, il jure de ne plus se rendre à Kisantu devenu une cité maudite où les ensorceleurs font la loi.

Moralité Mieux vaut prévenir que guérir.

 

  1.  NSENGA

Label : Éditions Populaires,1970.

Chanson traditionnelle arrangée par Luambo. Nsenga est une plante frêle de grande taille aux feuilles immenses. Chez les Bakongo, ce nom est surtout porté par les filles tout comme Mansanga. Très fâché, un certain Muakasa s’en prend aux siens. Il voit certains membres de sa famille dans ses rêves. Sa fille dont le mari a honoré la facture du mariage n’arrive pas à concevoir. S’il demande aux uns d’ouvrir les yeux, aux autres ils leur exigent de mettre fin à leurs pratiques mystiques. Je n’en peux pas, Nsenga, dit Muakasa, il y a un problème. Une fois de plus, Luambo s’attaque à la sorcellerie.

Moralité  Il faut savoir parfois affronter ceux qui te font souffrir.

  1.  CAMP LUKA

Label : Éditions Populaires, 1970.

C’est un quartier de Kinshasa majoritairement habité à l’époque par les Bayaka. Les Kinois les appellent péjorativement Luka ou Nkalu. En effet, Luka est  un acronyme qui dérive de L’Union Kwangolaise pour la Liberté et l’Indépendance. Ce parti politique fondé en 1959 regroupait tous les Yaka du Kwango. En imitant leur façon de parler, Franco leur dédie cette mélodie où le lingala est couplé au kiyaka qui est une langue proche du kikongo. Ce titre est aussi un hommage rendu au folklore yaka.

  1.  KINSIONA ( Malheur, solitude, chagrin, abandon, état d'orphelin)

Label : Éditions Populaires,1974.

La chanson n’est pas dédiée à Bavon Marie-Marie comme beaucoup le pensent. C’est plutôt une diatribe contre sa propre famille. Dans ce titre, Franco fait allusion à un fait qu’il a personnellement vécu lors du décès de son frère quatre ans plus tôt. Alors qu’il est en train de pleurer son cadet disparu, les membres de la famille qui sont en concertation comme le font toujours les Bakongo lorsqu’il y a un problème, l’invitent à se joindre à eux. Dans sa tristesse, Franco ne comprend pas que les siens ne puissent percevoir la douleur qui le ronge en ce moment précis. Lui qui n’a connu l’aide de l’oncle ni de la tante dans sa jeunesse supporte mal ce qui ressemble à une demande d’assistance. Toutefois, il suggère aux jeunes d’écouter patiemment les anciens lors des palabres afin de grandir sagement, car d’eux dépendent l’avenir de la tradition et la sauvegarde de la coutume.

  1.  KINZONZI KI TATA MBEMBA (La palabre de papa Mbemba)

Label : Éditions Populaires, 1974.

Luambo aborde l’un des volets les plus importants de la vie et de la culture kongo : le kinzonzi. Dans la chanson, la sagesse ancestrale est incarnée par un ancien qui s’appelle Mbemba dont le nom signifie aigle. Comme l’école de la  tradition n’existe pas et que celle-ci ne se transmet que de bouche à oreille, l’artiste encourage les jeunes à fréquenter les anciens pour s’enquérir de leur sagesse. Leur participation aux réunions familiales où se négocient des difficultés relatives au deuil, au mariage ou au divorce ; où se règlent des différents contentieux sans que les protagonistes ne soient offensés, leur permettra de maîtriser l’usage de cet outil précieux. Initiés et ayant maîtrisé l’ensemble du savoir traditionnel kongo, les jeunes Ne-kongo de Kinshasa ou de Zongo ne seront pas un jour trompés. Chez les Bakongo, le kinzonzi n’est pas que de la simple palabre mais plutôt un art qui permet de traiter les problèmes par la sagesse.

Moralité  La parole vertueuse des anciens est une lumière pour les jeunes.

  1.  MAMBU MA MIONDO (Les problèmes de Miondo)

Label : Éditions Populaires, 1974.

Dans cette adaptation, le panafricaniste Franco parle de la lutte pour l’indépendance des pays africains encore colonisés : Angola, Rhodésie (Zimbabwe), Mozambique et Guinée-Bissau. Ça a bardé dit-il pour la récupération de la terre des ancêtres dans ces pays frères. Il demande aux Portugais Salazar, Caetano et Despinola d’accorder son indépendance à l’Angola. Les noms de certains grands leaders indépendantistes dont Josua Nkomo et Amilcar Cabral sont cités.  Deux langues se côtoient dans cette chanson, le kikongo et le lingala. Notons que dans certaines compilations de  ses œuvres, cette complainte porte le titre de MABUIDI (Il est arrivé quelque chose de grave, nous avons un problème).

Moralité :  Défendre ceux qui souffrent.

  1. KIMPA KISANGAMENE (Le mystère plane

Label : Éditions Populaires, 1983.

 Le substantif kimpa a plusieurs significations en kikongo. Il veut tour à tout dire jeu, légende, devinette, mystère, caractère difficile d’une personne, stratégie selon le contexte de son usage. Dans cette chanson, Luambo parle d’un fait mystérieux, une sorte de jeu démoniaque qui est comme accroché au ciel et qui n’est autre que de la sorcellerie.

L’artiste dévoile leur manière de nuire. Les sorciers ont en effet d’intenses activités nocturnes. Ils conduisent des avions et des camions, se rencontrent dans le marché de nuit, avalent de la chair humaine, mangent les enfants. Luambo leur demande d’accepter leurs méfaits. Entretemps, il s’étonne de voir ces personnes maléfiques qui sont pauvres le jour devenir subitement riches une fois la nuit venue. Pendant que les autres s’endorment, les sorciers étalent leur opulence invisible : jets privés, magasins, voitures, camions, policiers de nuit. Luambo crie sa colère et son exaspération tout en demandant à certains responsables de la famille dont Ma Ngudi (mère des jumeaux) et Ma Tunga (cadette de la famille) d’ouvrir les yeux pour éviter l’hécatombe qui menace de. La consultation des prophètes n’est pas exclue. Advienne que pourra conclut-il tout en mettant les sorciers en garde. 

 Dans la foulée, Luambo cite le nom de Bavon Marie-Marie qu’il continue de pleurer bien des années après sa disparition. La question qu’il faut se poser est celle de savoir si le soliste de Négro Succès n’avait pas lui aussi été victime de la sorcellerie. Dans cette chanson, on sent la rage de Franco qui mobilise les parents pour les prévenir du danger qui guette la lignée. Voit-il sa fin venir ? Se sent-il personnellement menacé ou visé par les sorciers qu’il toujours combattus? Comme Siongo dans ″Maseke ya meme″ et ″Mamona mbua″, Luambo livre à son tour un message fort sur la sorcellerie  qui pourrit sa famille.  

Moralité : Ne pas mettre sa langue dans sa poche pour défendre l’intérêt général.

  1.  LUKOKI

Label : Éditions Populaires, 1988.

Franco s’adresse à Na Lukoki. Rappelons que le préfixe ″na″ qui précède un nom est un indicatif de politesse. Il est souvent utilisé par les Balemfu (la tribu de Franco) et les Bantandu en lieu et place de la particule ne″ si souvent employée par l’ensemble des Bakongo ou Ne-Kongo. Lukoki, a coutume de prendre sans permission les poissons salés (minsambu) qui ne lui appartiennent pas. Le propriétaire s’énerve et lui dit de ne plus recommencer ou le cas échéant d’en faire la demande.

En réalité, c’est une allégorie qui de façon voilée parle de la sorcellerie. Une lutte mystique semble s’engager entre deux initiés à l’occultisme traditionnel. Et pour cause ! Le sorcier Lukoki s’en va souvent nuitamment se ″servir″ dans la lignée d’une personne tout aussi avertie que lui en ″mangeant″ à son insu les membres de son clan. Celui-ci le met en garde et menace de répliquer de façon disproportionnée à la provocation. Il suggère toutefois au bourreau de sa lignée de ne pas oser regarder en arrière pendant ses forfaits. L’intéressé demande aussi aux autres mystiques du village en l’occurrence Luyeye et Mampuya de conseiller Na Lukoki. Il n’oublie pas de lui rappeler l’article premier qui régit le règlemente d’ordre intérieur de la sorcellerie : "Konso muntu ye kanda diandi, konso muntu ye luvila diandi″ (A chacun sa famille, à chacun son clan). Cette loi d’or qui réduit le champ de prédation du sorcier interdit celui-ci de faire des victimes en dehors de son lignage.

Moralité : Respecter la parole donnée.

Conclusion

Ces chansons folkloriques dégagent une certaine sagesse, celle-là même qui régit la société traditionnelle kongo. Au-delà des imperfections caractéristiques à la personne humaine, les leçons morales qui s’y dégagent mettent en lumière l’élégance qui a animé les mœurs ancestrales à travers ses tares et ses qualités. Franco qui par sa mère a grandi dans la pure tradition kongo a utilisé le folklore pour mettre le doigt dans la plaie en parlant à sa manière directement aux traditionalistes-conservateurs gardiens d'une mentalité dépassée et perverse.

 

Samuel Malonga

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M
Merci pour cette belle compilation. Mais pourquoi Franco a cessé chanter en Kikongo apres 1967? Il avait peur d'etre taxer comme un tribaliste ? Et pourquoi les Kinois ont toujours tendence de taxer le gens qui parle le Kikongo comme villageois et se moquer d'eux (ce qui ne pas le cas quand les gens parle le Lingala de Equateur, Tshiluba ou Swahili) et c'est quand que cette phenomene a commencer ? Parce que mon pere dit souvent que les gens parlait le Kikongo ya l'Etat a Kinshasa avant 1965.<br /> <br /> Est-ce que les Yaka, Humbu, Suku et Mbala sont aussi Kongo comme les Ntandu, Manianga, Yombe, Ndibu et d'autres communautés qui vivent au Kongo Central?<br /> <br /> <br /> Est-ce que c'est possible de faire aussi un compilation four l'artiste Paul Mwanga, qui est le maitre compositeur de la chanson Kikongo. Il est souvent oublier par gens, est-ce que c'est n'est parce que il a des origines Angolaise ?
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S
Mfumueto,<br /> La dernière chanson de Franco en kikongo date de 1988 et non de 1967. En plus, dans leur insolence, les kinois appelaient villageois tous ceux qui n'étaient pas nés dans la capitale donc pas seulement les Bakongo qui à l'époque étaient les plus nombreux. Pour un conservateur kinois, même un lushois était mouta alors que Lubumbashi est la 2e ville du pays. Drôle non? <br /> <br /> A Kinshasa, avant 1965, c'est toujours le lingala qui se parlait, pas le kikongo ya l'État.<br /> Le tribalisme dont tu parles n'a jamais existé dans notre musique. Docteur Nico qui fut muluba et le musonge Mulamba Mujos ont composé des chansons en kikongo. Le muyanzi Tabu Ley a écrit des hits en tshiluba et en swahili.Josky Kiambukuta le mukongo a chanté en swahili etc. Les exemples sont légions. Voir cet article : http://www.mbokamosika.com/2016/03/les-langues-dans-la-musique-congolaise-moderne.html.<br /> Quant à Paul Mwanga, Mbokamosika a écrit beaucoup d'articles sur lui. Tu peux les trouver en tapant son nom dans la fenêtre "recherche".
S
Cher frère Blondé,<br /> Depuis le début de ce mois de folles rumeurs circulent annonçant le décès de Mbilia Bel. Ce n'est pas la première fois que la chanteuse est déclarée morte. Jusque-là sa famille biologique n'a ni confirmé ni infirmé la nouvelle, encore moins les grands médias kinois. Est-ce un fake news? Cependant, un autre chanteur a tiré sa révérence le 4 décembre dernier. Il s'agit de BEN NYAMABO, fondateur du groupe mythique Choc Stars et compositeur de la chanson Riana.
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B
Je ne suis pas affirmatif donc je me renseigne. En effet, je viens d'apprendre sur ma page facebook que Mbilia Bel vient de décéder à Paris. Les amis, j'ai peur de cette vérité, donc j'attens plutôt une infirmation.
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B
Merci mon cher Samuel. J'espère que l'affaire reste au niveau de la mauvaise rumeur. Quant à Ben Nyamabo, je ne le connais pas mais par contre son orchestre est bien connu ici. Je conviens que Dieu aussi et surtout aime les bonnes choses mais avoue que cela nous cause de la peine. Qu'il repose en paix.
M
Sam,<br /> <br /> Encore une brillante analyse qualitative permettant à ceux qui ne maîtrisent pas le kikongo à saisir le message de Franco à travers ses oeuvres.<br /> <br /> Messager
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