50 BOUGIES POUR ZAÏKO LANGA-LANGA
50 BOUGIES POUR ZAÏKO LANGA-LANGA
″Petit poisson deviendra grand, pourvu que Dieu lui prête vie″. Cette phrase tirée dans une fable de Jean de La Fontaine revêt un sens plénier s’agissant de Zaïko. Lorsque le groupe naît, personne ne parie sur sa longévité. Depuis, l’orchestre est entré dans le panthéon des formations musicales congolaises comme étant celle qui a eu une longue vie. Pour le demi-siècle d’existence de cet ensemble mythique, un rappel des faits marquant de son histoire est plus que nécessaire.
Le groupe voit le jour le mercredi 24 décembre 1969 sous les décombres de l’orchestre Belguide qui vient d’être dissout. Le premier cercle se forme autour du chanteur Jules Presley (Papa Wemba), du soliste Pépé Felly (Manuaku Waku), de Teddy Sukami à l’époque secrétaire administratif de Belguide et de Jersy (Jossart Nyoka Longo). À leur côté se trouvent les fondateurs DV Moanda, Henri Mongombe, André Bita et Marcellin Delo. La première répétition du groupe a lieu le 25 décembre 1969 avec deux musiciens seulement (Manuaku et Wemba). Quelque temps plus tard, le groupe s’élargit avec l’arrivée d’autres membres dont le soliste Matima (qui quitte Stukas), l’accompagnateur Zamuangana (qui abandonne le foot et le FC Juventus au profit de la musique), les chanteurs Evoloko et Mavuela,; Mbuta Mashakado (chanteur pop), Damien Ndebo, Oncle Bapius (basse), Mazaza, Baudouin Mitsho, Nzimbi (persussion), André Bimi (batteur), Otis Mandala, Augu Olemi Eshar et Pierre Nkumu. Gina Efonge (chant) et Meridjo (battérie) intègrent le groupe en 1971, Bozi Boziana en 1973 pour suppléer l’absence d’Efonge Gina en convalescence.
L’orchestre prend le nom de Zaïko puis Papa Wemba ajoute le supplément Langa-Langa qui est une plante porteuse d’espoir. En réalité, les Belgicains qui ont inspiré cette appellation font référence à l’orchestre Zaïco de Bruxelles. Pour marquer la différence entre les deux groupes, D.V Moanda remplace la lettre c par k. Zaïko veut dire Zaïre ya bankoko (le fleuve de nos ancêtres) alors qu’à l’époque le pays s’appelle encore Congo.
La formation musicale qui vient de naître subit l’influence des orchestres des étudiants congolais de Belgique particulièrement Yéyé National et Los Nickelos. Comme eux, Zaïko se trace une nouvelle voie avec la suppression des instruments à vent. Un l’accent particulier est mis sur les solos envoûtants et la danse. On y chante différemment de Tabu Ley et le style de la guitare n’a rein avoir avec celle de Franco ou de Nico. Une formule est inventée dès le début avec l’introduction des cris pour assurer l’animation et exciter les danseurs sur la piste. Après trois mois d’intenses préparations, la sortie parrainée par le seigneur Rochereau a lieu le 28 mars 1970 au Hawaï bar sur Bongolo. Le site est à l’époque le lieu des rendez-vous des Belgicains en vacances à Kinshasa.
Lorsqu’arrive le temps des enregistrements, le groupe soumet à audition quelques chansons au parrain Rochereau. Seules celles pour lesquelles Tabu Ley donne son avis sont pressées sur disques 45 T. Il s’agit de Pauline (Shungu), Mosinzo (Teddy Sukami), La Tout neige (Nyoka) et Francine Keller (Evoloko). Elles sont enregistrées au studio Philips à Kingabwa. Zaïko fait accompagner ces titres par la danse Ngouabin, du nom de son fondateur, un ancien jekoka. C’est le début de la zaïkomania.
Zaíko Langa Langa n’innove pas seulement sur le plan artistique. Le nom du groupe est de temps en temps relooké car bien souvent, il change d’appellation. Au fur des années, il devient tour à tour Tout Choc Zaíko Langa Langa, Tout Choc Anti choc Zaíko Langa Langa, Tout Choc Anti Choc Zaíko Langa Langa Familia Dei.
En 1973, c’est la consécration. Zaïko qui a lancé des tubes à succès (Mbeya-Mbeya, Eluzam, BP ya munu etc) est proclamé meilleur orchestre du pays et de l’Afrique centrale. Manuaku qui a fait la symbiose des styles de Nico, Bavon Marie-Marie et Gerry Gerard, reçoit la palme de meilleur guitariste de l’année. Son doigté caractéristique des rifs endiablés s’impose dans la structure musicale congolaise comme la troisième école à côte de celle de Franco et de Nico.
Après cette reconnaissance, les choses tournent vite au vinaigre. En 1974, plusieurs ténors (Mavuela, Evoloko, Jules Presley et Bozi Boziana) quittent le groupe. N’ayant plus que deux chanteurs (Bimi et Nyoka), l’orchestre recrute Lengi Lengi Ya Lengos et Likinga pour combler ce vide. Le chanteur pop Mbuta Mashakado, grand danseur et coach d’Evoloko, les joint aussi à l’attaque chant. Plus tard, Yenga Yenga, Shekedan, Otis Mbuta, Dindo Yogo et JP Buse compléteront la liste. En 1981, Koffi Olomide qui n’a pas de groupe fixe place sa chanson Femme noire dans l’abum Oka biso ! Tokangi robinet ! en couplant sa voix à celles de Likinga, Ya Lengos, Bimi et Nyoka.
Zaïko Langa-Langa a largué des chansons à succès dans le marché du disque. Son succès est surtout dû au fait que ses musiciens ont fait fonctionner leur matière grise. Les chanteurs et les instrumentistes de cette formation musicale ont pour la plupart été de très bons compositeurs. Outre sa riche discographie, le groupe a porté plusieurs innovations dans la musique congolaise. D’abord, le doigté de Manuaku apporte une touche nouvelle qui est à la base de la troisième école de guitare à côté de celle de Luambo et du docteur Nico. C’est encore lui qui va utiliser la guitare à deux manches pour la première fois. Ensuite, le beat cavacha appelé masini ya Kauka créé en 1973 par le batteur Meridjo a révolutionné la batterie dans la musique congolaise moderne. L’idée lui est venue lors d’un voyage au Congo-Brazza lorsqu’Evoloko lui lance le défi de reproduire les cliquetis des roues motrices de ce train lancé à vive allure qui les transporte à Pointe-Noire. Ce tempo est aujourd’hui repris par tous les groupes congolais et afro-antillais dont Kassav et Magic System. Enfin, l’introduction des atalaku dont les animations transportent le public et le ngwasuma, cette frénésie de danse et d’ambiance à vous couper le souffle.
En 50 ans d’existence, Zaïko Langa-Langa a collaboré avec plusieurs éditeurs, promoteurs et distributeurs à l’époque des singles. Si des labels connus ont bien servi le groupe : Zaïre Music (Eluzam, Mbeya Mbeya, Chouchouna, Muana Wabi, Zaina, Semeki Mondo), Cover (Ngadiadia, Amando), Mombili (Femme ne pleure pas), Moninga (Ndendeli), Super-Contact (Révélation, Ariya Kefi), Parions (Bisengo na bango, Ashida), Mara (Ando), Somo-Somo (Selika), Mara (Ando), Vévé (C’est la vérité, Vie ya mosolo, Onasis, Bakumba, C’est trop tard Mimi). Certains musiciens du groupe créent leurs propres labels : Wembadio (Miyelele), Ya Lengos (Nadi, Muvaro bis), N’yoch Express (Souvenir Masa), Semeki Liking (Verra) ou Meridjo (Bizita, Ben Betito), Bimi Ombale (Alinga Ntina). etc
A la recherche de son indépendance et pour contrôler ses ventes, Zaïko crée les éditions Langa-Langa (Elo, Zaïko wawa, Nalali pongi), puis plus tard née sa propre maison de production du nom de PROZAL pour Production Zaïko Langa-Langa (Matondo, Antalia). A la fin des années 70, plusieurs artistes-musiciens se font remarquer par leurs nzonzing. Ce système est ici toléré même s’il n’est pas accepté. Certains dont Lengi Lengi, Teddy Sukami voire le fondateur D.V Moanda lui-même qui compose Tika nadondua avec Les Casques Bleus, font partie d’un second groupe en dehors de Zaïko. Ces faits qui font la particularité de cet orchestre sont pourtant prohibés et sévèrement punis dans les autres formations musicales kinoises.
Les années 80 sont celles qui ont connu l’apogée sur le plan international, elles sont aussi celles qui ont entamé son unité. Le départ de Manuaku en 1980 rompt la stabilité de la guitare lead que ce dernier a entretenu la flamme pendant dix ans. Car outre Matima, Zaïko voit défiler plusieurs solistes entre autre Roxy Tshimpaka, Popolipo, Petit Poisson sans oublier Shora Shora, Baroza et Yoto Mayata Nkelani. En 1987, des dissensions éclatent au grand jour. C’est le grand schisme. L’orchestre se scinde en deux, d’un côté Nyoka Longo et quelques fidèles dont Dindo Yogo, Muaka Mbeka, Meridjo, Matima et Zamuangana ; de l’autre, tous les autres conduits par Lengi Lenga, Bimi, JP Buse et Ilo Pablo. Le groupe dirigé par Nyoch prend le nom de Zaïko Langa-Langa Nkolo Mboka, la bande à Ya Lengos reprend une ancienne appellation : Zaïko Langa-Langa Familia Dei. Les deux orchestres vont farouchement s’affronter dans le marché du disque et surtout dans une longue et difficile bataille judiciaire pour la paternité du nom Zaïko. Mais en 1997 pour asseoir son leadership, Nyoka Longo se sépare de ses amis Meridjo et Oncle Bapius pour rester le seul maître à bord du navire.
Si Ngouabin (1970) est la première danse du groupe, plusieurs autres suivent dont certaines subissent des variarions. Il y a lieu de citer notamment Levole, Six ou Motoba (1970), Cavacha/cawacha (1973, cris: cawachééé, cavacha cavachez de l’authenticité), Wondostock (1974), Choquer (1975), Elengi eye (1976), Siatapata (1977), Washa-washa (1977), Sonzo ma (1978, cri : sonzo ma), Silawuka (1979, cri : silawuka..silawuka… situntuka …situntuka nakozua liboma… nakoya mabe…en avant), Disco Tara (cri : pusa kuna, pusa kuna a disco… liboso liboso a tara), Maria (cri : a pubana apubana maria e… Maria yo Maria.o . Maria nza), Volant /Guidon (cri : o volant … o volant … makambo ya mikol’oyo… volant), Funky (cri: funky ….funky…funky…), Zekete zekete ( cri : e ngeye tata e nge ukanika mwana aku ambiance, nani wakwela wo ukanikina diaka …fiona fiona… zeka luketo pusa kuna fiona Fiona kadi fiona mawu), Likwangola (cri: e mbuta Bilongo e wazola dia yaya wazola yukuta ebulumuna pour Famila Dei), Tukuniema (cri: tukuniema… tukuniema, Vimba, Siska etc pour Nkolo Mboka)
Victime de son propre succès, Zaïko a connu plusieurs départs, des va-et-vient des artistes, une scission dans la douleur. Ces départs ont été à la base de nouveaux groupes dérivés dont Isifi Lokole (1974 -1978 : Papa Wemba, Bozi Boziana, Evoloko Jocker, Mavuela Somo), Les Casques Bleus (Lengi-Lenga, Yenga-Yenga Junior, Teddy Sukami), Libanko (1977: Gina), Les Ya Tupas (1976 : Manuaku, Ray Lema, Bopol Mansiamina), Les Casques Verts (1979: Manuaku), Grand Zaïko Wawa (1981: Manuaku Waku), Langa-Langa Stars (1981-1984: Evoloko Jocker, Bozi Boziana, Dindo Yogo, Djuna Djanana, Kisangani Espérant), Zaïko Langa-Langa Familia Dei (1987-1996 : Lengi Lenga, Ilo Pablo, Bimi Ombale, Petit Poisson, JP Buse), Zaïko Langa-Langa Nkolo Mboka (1987 à nos jours : Nyoka, Zamuangana), Basilique Loningisa (1992-1995: Bimi), Ngwaka Aye (1993: Dindo Yogo). Il y a aussi ces rencontres fortuites qui le temps d’un enregistrement marquent ces liens indéfectibles d’amitié qui existent entre les anciens de Zaïko : Clan Langa-Langa, Les Quatro de Langa-Langa et le Trio Nyobiwe (Nyoka, Bimi, Papa Wemba).
Après avoir survécu aux différentes tempêtes et surtout après un long silence de sept ans (2002 à 2009), Zaïko Langa-Langa Nkolo Mboka continue son bonhomme de chemin. Nyoka Longo avec ses 50 ans de carrière musicale porte encore le flambeau allumé en 1969 par quelques irréductibles de la musique. Le demi-siècle d’existence fait de ce groupe mythique le plus vieil orchestre du pays. Zaïko eyi nkisi, eyi magie.
Samuel Malonga