Lorsque Bitshoumanou parle de Céli Bitshou
Lorsque Bitshoumanou parle de Céli Bitshou
En 2013, Céli Bitshou avait donné une interview sur sa longue et riche carrière. Dans cet entretien, il livre plusieurs faits inconnus du grand public. Dans les différents groupes musicaux où il est passé, le guitariste s’est distingué comme étant un grand compositeur. Il a signé des titres à succès qui ont enrichi la discographie de la musique congolaise des deux côtés du fleuve majesté et qui ont fait danser l’Afrique entière. L’artiste a par son apport contribué à l’évolution de la guitare basse. Il affirme que c’est bien lui qui l’a façonnée telle qu’on la joue actuellement. Samuel Malonga |
Bitshoumanou Boniface autrement dit Céli Bitshou est l'un des bassistes les plus célèbres de la rumba congolaise. Dernier et plus jeune contrebassiste de l'histoire de la musique congolaise, il déclare être celui qui a révolutionné le jeu de la basse. Auteur-compositeur, il a servi de passerelle entre les anciens comme Roitelet, Brazzos, Taunmani, Mwena, Delalune et ceux qui les ont suivis dans les années 70 notamment : Shaba Kahamba, Mogue de Sosoliso, Jim de Vévé, Bernard de Negro Succès, Adeyo, etc. Évocation de sa carrière et de l'histoire de la basse dans la musique congolaise.
AFRIQU'ÉCHOS MAGAZINE (AEM) : Une carte de visite pour les jeunes générations ? CÉLI BITSOU (CB) : Je m'appelle Bitshoumanou Boniface alias Francis Céli Bitshou. Je suis né au Tchad le 14 mai 1943. Ma famille a regagné Brazzaville vers 1949. Arrivés à Brazzaville nous habitions sur la rue Batéké chez mon oncle paternel Minanou, dans la même maison que mon autre oncle paternel Loubelo Delalune. Cet oncle apprenait la guitare à beaucoup de jeunes qui venaient le voir et chacun était obligé de lui ramener une guitare. Ce qui a fait qu'on avait un lot de guitares à la maison. Je me suis mis tout seul à la guitare. C'est plutôt vers ses apprentis que je me référais pour parfaire ma technique. À l'époque je devais avoir 10 ans.
AEM : À quel moment avez-vous décidé de vous lancer dans la musique ? CB : J'ai attrapé le virus de la musique lorsque je fréquentais l'École des cadres. J'avais des copains qui s'essayaient dans la musique, entre autres Mbatchi François, Jean-Pierre Ngombé, Foundoux Mulélé, et Gérard Madiata. C'est surtout ce dernier qui nous avait influencés. Chaque fois qu'il revenait de Kinshasa, il ramenait des disques de Lucie Eyenga, Grand Kallé, Franco et autres. Certains de ces amis formeront plus tard l'orchestre JMC (Jeunesse musicale du Congo). Après mon renvoi de l'école à cause de mon âge avancé dû à plusieurs mutations de mon père, j'ai intégré le ballet Ngouaka Tour. À l'époque, il y avait trois groupes folkloriques : le ballet Diaboua, le ballet Fina et le ballet Ngouaka Tour. Et j'étais le meilleur danseur de Ngouaka Tour. Quant à la musique dite moderne, je me suis lancé en 1959 comme chanteur, dans Orphée Jazz, un orchestre de Ouenzé. Je suis arrivé à la guitare par un concours de circonstances. Notre accompagnateur étant absent un jour, j'ai pris sa relève en jouant de l'accompagnement. À son retour, j'ai repris le micro. Et chaque fois qu'il absentait, je le remplaçais.
AEM : De la guitare à la contrebasse, comment s'était opérée la transition ? CB : Un jour, lors des répétitions, un de nos musiciens qui jouait le maracas a dit à Sylvère Tsamas, notre président, qu'il savait jouer la contrebasse car il en jouait à Affeinta Jazz. Le président est allé au Studio Ngoma à Kinshasa acheter une contrebasse. Lorsque le président lui a demandé de jouer la contrebasse, au grand étonnement de tous, il a dit qu'il ne savait pas la jouer et qu'il avait menti pour que nous ayons une contrebasse au sein de notre orchestre. Le président n'en a pas fait un problème et il a promis de trouver quelqu'un d'autre qui allait la jouer. Mais comme j'étais curieux, je suis allé la prendre et j'essayais de suivre le rythme. Lorsque j'ai senti que je commençais à la maîtriser, j'ai élevé le ton. Tout l'orchestre était émerveillé. Le président me demanda où j'avais appris à jouer la contrebasse ? Notre accompagnateur lui répondit que j'étais le neveu de Delalune. Il me dit : « À partir d'aujourd'hui, tu n'es plus chanteur ni accompagnateur ; tu deviens contrebassiste. » Afin de parfaire ma technique, j'avais amené cet instrument chez moi. Derrière chez moi, il y avait un bar qui déversait de la musique et j'essayais d'accompagner toutes les chansons que j'entendais. Une semaine après, j'avais maîtrisé la contrebasse.
AEM : Vous finirez malgré tout à quitter Orphée Jazz... CB : Dans Orphée Jazz, j'avais été rejoint par Champro King et après par Domsis. Nous étions les trois jeunes du groupe. J'ai quitté Orphée Jazz avec Champro et Domsis pour créer l'orchestre Jazz Congo rejoints par Mimi au solo, Samba Mascot à l'accompagnement, Balou Mas au chant, Domsis à la basse. Nous avons fait notre sortie chez Faignond. Ensuite nous sommes allés à Pointe-Noire et à notre retour j'ai claqué la porte parce que notre accompagnateur m'avait qualifié de petit musicien. J'ai intégré le Negro Band où je n'ai fait que deux semaines suite à une incompréhension avec Boyibanda, j'ai quitté l'orchestre en pleine prestation chez Faignond. C'est là où j'ai été contacté par Pandi pour remplacer mon oncle Delalune qui, avec Edo Ganga, était parti rejoindre Franco à Kinshasa. Quelque temps après, j'ai effectué avec les Bantous le voyage de Bruxelles. À notre retour, l'orchestre a éclaté. Papa Noël, Jojo et Jacky sont rentrés à Kinshasa où ils vont intégrer l'African Jazz du Grand Kallé. Mais cette aventure n'a pas duré, Franco pour casser Kallé a remis du matériel à Papa Noël pour créer l'orchestre les Bamboulas. Il fit appel à Dupool et à moi. Le groupe était composé de Papa Noël au solo, moi à la basse, Nago à l'accompagnement ; Dupool aux tumbas ; Jojo, Flamy, Alex, René Moreno aux chants ; Bosmin, Maproco au saxo. C'est en ce moment que Franco m'avait découvert. S'il ne jouait pas, il venait assister à nos concerts et à la fin il nous emmenait, Dupool et moi, dans des boîtes de nuit et nous assistait souvent financièrement à la dislocation de ce groupe.
AEM : Comment vous êtes-vous retrouvés à Brazzaville avec les autres musiciens brazzavillois ? CB : Nous avions été expulsés de Kinshasa par le Premier ministre Tshombé à l'époque à cause des brouilles politiques entre les deux pays. Franco avait proposé qu'on se cache à Binza jusqu'à ce que les relations diplomatiques reprennent ; mais nous avions jugé bon de rentrer à Brazzaville en attendant la reprise des relations. Parmi les musiciens rapatriés, Edo a intégré les Bantous ; moi, Los Batchitchas et les autres ont créé l'orchestre Tembo. Dans Los Batchitchas, j'ai trouvé Dicky Baroza, Lambion, Gérard Kazembe, Sam Mangwana, Théo Bitsikou, Micorason. Dicky et Kazembe seront remerciés et remplacés par Mimi et Django. Sam Mangwana partira après pour intégrer le Tembo.
AEM : Vous avez ensuite regagné Kinshasa ? CB : C'est Boyibanda qui est venu me chercher avec une lettre de Franco qui voulait que j'intègre l'OK Jazz. Il m'a convaincu et on s'est retrouvé à Limete chez Franco. Je l'ai trouvé avec Mujos et un joueur de V Club, Lumumba, un Congolais de Brazzaville. À l'époque Franco était également président de V Club. Il m'a dit qu'il avait besoin de moi. Je lui ai demandé de me laisser le temps de réfléchir. Il a accepté et m'a logé en attendant que je puisse réfléchir.
AEM : Quand est-ce vous avez débuté avec l'OK Jazz ? CB : C'était au Bar « Un, deux, trois ». Pendant mon temps de réflexion, j'étais derrière l'orchestre en train de suivre le concert. Franco envoya quelqu'un avec l'uniforme et me demanda de jouer. Comme je n'avais jamais répété avec eux, j'ai voulu refuser, il m'a convaincu en disant que j'étais un professionnel et que j'allais m'en sortir. Il prit le micro et dit à l'assistance : « Mes chers amis, je vais vous présenter un musicien qui est mofrançais (congolais de Brazzaville), il s'appelle Francis, il va nous jouer un petit morceau ». J'ai joué trois chansons et quand j'ai terminé les applaudissements venaient de partout ; les femmes nouaient des pagnes autour de mon cou.
AEM : Qui avez-vous trouvé dans l'OK Jazz ? CB : J'ai trouvé Franco au solo ; Brazzos et Simaro à l'accompagnement ; Piccolo à la basse, Mujos, Vicky et Boyibanda au chant ; Isaac Musekiwa, Delo Pedro et Verckys au saxo ; Christophe Djaly à la trombone et à la trompette, Nestor à la batterie. Et plus tard, Franco m'a demandé de chercher un batteur et j'ai amené Dupool.
AEM : Quel a été votre apport dans l'Ok Jazz ? CB : J'ai beaucoup apporté à l'OK Jazz. J'étais l'un des enfants chéris de Franco. Il m'emmenait presque partout. C'est moi qui ai façonné la basse telle qu'on la joue actuellement. Avant moi, elle était jouée de la même manière, c'était presque linéaire avec quelques variances. Moi, j'ai ajouté de la fantaisie en faisant circuler les doigts sur toute la manche de l'instrument. Je suis le dernier des contrebassistes et le plus jeune. Avant moi il y avait Taumani, Mwena, Roitelet, Brazzos, Delalune. Tous ceux qui ont suivi après sont de mon école et ils essayaient de jouer comme moi, c'est le cas de Shaba Kahamba, Mogue de Sosoliso, Jim de Vévé, Bernard de Negro Succès, Adeyo, etc.
AEM : Combien de temps êtes-vous resté dans l'OK Jazz ? CB : Je suis resté 8 ans. La première chanson que j'ai enregistrée était « Tango ya ba Wendo » de Mujos.
AEM : Quelles sont vos compositions au sein de cet orchestre ? CB : Ma première chanson a été « Nalingaka te balobisa yo », suivie de « Youyou, » « Amour sans soucis », « Mokolo ya Pasi », « Infidélité Mado ».
AEM : Avez-vous sorti des disques en solo ? CB : Après l'OK Jazz, j'ai mené une riche carrière en solo. J'ai sorti une quarantaine de 45 tours aux Éditions Vévé dont les plus célèbres « Mon ami », « Mwana Mburu », « Hélicoptère ». C'est moi qui ai fait connaître Jo Mpoy à travers cette dernière chanson. C'est la toute première chanson de la rumba chantée par Jo Mpoy, avant il ne jouait que de la musique pop. À la sortie de cette chanson, Simaro m'avait demandé qui était ce chanteur qui avait un si beau timbre vocal ? Je lui ai dit que c'était mon petit et que s'il avait besoin de lui, je pourrais le lui envoyer. Un jour, je l'avais envoyé à « Un, deux, Trois » pour passer un message à Diatho ; en le voyant, Simaro le présenta à Franco. Et du coup, Franco le prit, l'intégra dans l'OK Jazz et le lendemain, il l'emmena en tournée en Europe. J'étais contraint de recourir à Madilu sur proposition de Diatho pour finaliser mes enregistrements.
AEM : Après cette expérience en solo, vous vous êtes retrouvé encore à Brazzaville ? CB : J'ai quitté les Écuries Vévé lorsque Verckys a voulu me considérer au même titre que ses musiciens. Cela ne m'a pas plu, j'ai plaqué et je suis rentré à Brazzaville.
AEM : De là vous avez mis fin à votre carrière musicale … CB : Pas du tout ! Malgré mes déboires, j'ai continué à composer des chansons. J'avais fait un album avec Joscky et Simaro et cela a coïncidé avec la guerre de 1997. Plus tard j'ai récidivé avec un autre album avec le concours de Debaba, Nzaya, Ditutala et Fi Carré que j'ai découvert chez Vévé avant qu'il n'intègre Wenge Musica. L'album a marché mais je n'en ai pas récolté les dividendes.
AEM : Quelle est votre appréciation par rapport à l'actuel niveau de la musique congolaise ? CB : Le niveau a considérablement baissé et la musique ne nourrit plus son homme. À l'époque avec les fruits des enregistrements les Franco, Rossignol, Dessoin, Longomba, Dewayon, etc. ont bénéficié de leurs droits auprès des maisons d'édition ; aujourd'hui avec le phénomène de piratage et de manque de producteurs, il devient hasardeux de se lancer dans la carrière musicale. Ce qui fait que bon nombre de musiciens vivent dans la précarité.
Propos recueillis par Herman Bangi Bayo (AEM)