2e Hommage à Freddy Ndala Kasheba
2e Hommage à Freddy Ndala Kasheba
Le maestro Ndala Kasheba
Freddy Ndala Kasheba est né à Lubumbashi en 1947 mais il a grandi à Likasi. Avec le temps, il est devenu une virtuose de la guitare solo. Malgré son jeune âge, ses qualités d’auteur-compositeur et d’arrangeur ont fait de lui la figure de proue et le chef de file incontesté de tous les orchestres où il a joué. Pourtant, ce génie de la guitare est quasi inconnu à Kinshasa comme par la majorité des Congolais. Cette méconnaissance de son talent par ses compatriotes est dû au fait que l’artiste a passé une grande partie de sa vie en Tanzanie où il a vécu de façon permanente de 1972 à sa disparition.
Apprentissage de la guitare
Fils de guitariste, c’est son père qui l’initie à la guitare. Le papa joue de cet instrument à la maison après le travail. L’apprenti studieux est à peine âgé de douze ans lorsqu’il commence à gratter sur les cordes de ce qui deviendra son instrument de prédilection. Il apprendra très vite et à 17 ans en 1964, il fait déjà partie du groupe musical lushois Fauvette.
Parcours
Ndala Kasheba a trainé sa silhouette dans plusieurs groupes musicaux. Il débute sa carrière à Lubumbasi dans Fauvette devenu plus tard Safaris Nkoy. Puis, à Dar es Salam, il preste ses services dans l’International Orchestra Safari Sound (IOSS) en y apportant le style "duku-duku". Avec son ami King Kiki, il a fait de ce groupe musical le meilleur de toute la Tanzanie. Il finit dans les années 80 par créer son propre groupe, Zaïta Musica. Partout, il a gagné le respect et l'admiration des mélomanes. Il est un des rares artistes à avoir maintenu sa notoriété de 1970 à 2000.
Guitare acoustique à douze cordes
Ndala Kasheba est perfectionniste, créateur et innovateur. Il a du talent à revendre. L’année 1982 peut à juste titre être considérée comme étant celle qui a révolutionné la vie de l’artiste. Dans son approfondissement de la connaissance de la guitare, il excelle dans ses recherches. A force de travailler, il finit par trouver le filon manquant de sa musique. Il abandonne alors la traditionnelle guitare à 6 cordes. Pour marquer son divorce avec cet instrument devenu vieillot pour lui, il le met en miettes en le cassant devant son public. Désormais et pour toujours, il n’utilisera plus que la guitare acoustique à 12 cordes. Sa virtuosité a payé. Une légende est née. Ses fans lui donnent alors le titre de Maestro Suprême pour ses performances dans le maniement de cette guitare, sa maîtrise du nouvel instrument et l’habileté dans ses accords musicaux. Avec la guitare à douze cordes, Kasheba introduit des nouveaux sons et des nouvelles vibrations pour le plaisir de l’oreille. Aussi donne-t-il une nouvelle touche à la rumba swahilie. Il en a fait la démonstration dans son album Yellow card. Le Congolais qui a conquis le cœur des Tanzaniens et de toute l’Afrique de l’Est est à juste titre considéré comme étant le meilleur guitariste douze cordes que le continent ait connu. Auréolé par cette gloire, le maestro part à la conquête de l’Europe en 1991. Il y fait une tournée triomphale.
Discographie
Maestro Suprême dont la musique porte le timbre de ses origines congolaises fut un compositeur prolifique. Il a mis sur le marché du disque plusieurs chansons. Sa musique est heureuse, houleuse, variée, pleine d’émotion. Kasheba imprime sa marque dans Marinella, Kadi ya njano, Marashi ya Pemba, Nimilie nani, Massamba, Sung’ula weba, Umbeya et dans bien d’autres. Tshala Mwana interpréta illégalement ses compositions Dezo Dezo et Kokolay. Il s’en est même plaint. Cette sorte de plagiat lui priva de précieux dividendes, car il ne vivait que grâce aux revenus tirés par la vente de ses disques. De l’orchestre Fauvette/ Safaris Nkoy à Zaïta Musica en passant par International Orchestra Safari Sound, Ndala Kasheba composa beaucoup de chansons en lingala, français et swahili. Il fut un bon auteur-compositeur. Ses compositions ont cartonné en Afrique orientale et surtout en Tanzanie où "ndala" signifie "sandales". Malheureusement, ces hits sont passés inaperçus au Congo. http://www.youtube.com/watch?v=sH5VRCEoNOg
Refugees
Le Maestro a quitté son Katanga natal pour aller vivre à l’étranger. Quelle que soient les raisons qui l’ont poussé à s’installer loin du Congo, il était marqué par la distance et l’éloignement des siens. Il chante Refugees pour avoir passé 30 ans de sa vie hors du pays de ses ancêtres. Il a dédié ce titre à ses enfants et à tous les refugiés du monde contraints d’errer comme des apatrides d’un pays à l’autre.
Rumeurs sur sa mort
Alors qu’il est encore dans Safari Sound, Ndala Kasheba travaille d’arrache-pied. Il veut que son groupe soit le meilleur en Tanzanie car la concurrence est rude surtout avec l’orchestre Maquis du Zaïre. Absorbé par le travail, il ne se nourrit presque pas mais fume beaucoup. En 1983, l’artiste tombe malade. Hospitalisé, des rumeurs les plus folles circulent autour de sa santé. Pour certains, Kasheba souffre de diabète ; Il est fini disent aussi ses détracteurs qui l’enterrent même vivant. Des personnes mal intentionnées propagent des informations selon laquelle il serait atteint du sida. Pour se libérer de toute cette pression, il écrit la chanson Dunia ni msongamano (Le monde est congestionné). Il dit dans ce hit que c’est Dieu qui décide de la mort d’un homme. Il prie afin que le Tout-Puissant lui donne la vie. Une année plus tard, Kasheba fait un long séjour au Congo pour une affaire des droits d’auteur après que Tshala Mwana ait interprété ses chansons sans permission et sans compensation financière. Son absence prolongée à Dar es Salam est comblée par les commérages de toutes sortes. Alors qu’il est déjà rentré et qu’il partage un petit verre avec des amis dans un bar de la place, une de ses chansons passe à l’antenne d’une radio locale puis à la fin le speaker annonce à ses auditeurs que Kasheba est dans un état critique à Kinshasa. Stupéfait, Maestro comme ceux qui se trouvent autour de lui n’en reviennent pas leurs oreilles. Exaspéré, il se rend immédiatement au studio de ladite radio pour confondre l’annonceur de la fausse nouvelle. Puis il dénonce et accuse les médias de relayer des rumeurs colportées par la rue. Le malaise s’installe entre l’artiste et la presse d’une part ; entre le guitariste et les mélomanes d’une autre part. Bouleversé par les racontars dont il est victime, Maestro Suprême va puiser au fond de son âme d’artiste les mots nécessaires et la sauce rythmique convenable pour exprimer son ras-le-bol. Ce contexte particulier lui inspire la chanson Yellow card ("Kadi ya njano" en swahili) dans laquelle, après avoir cité les noms des siens, il les rassure en disant : "Et je suis encore en vie". Puis il ajoute en substance : "Je sais que mon existence aura une fin. Si je dois continuer à jouer, Dieu est le seul juge. Il me donnera un carton jaune pour avertissement. Je ne quitterai ce monde que lorsque j’écoperai d’un carton rouge de sa part. Tout appartient à l’Eternel." Des mots crus sortis de l’abîme de sa douleur et de sa tristesse ; un poème d’un lyrisme singulier dont le fond pousse à la réflexion sur la destinée humaine. Le titre fait mouche et révèle au monde les grandes qualités artistiques de son auteur. "Yellow card" qui est aussi le titre de l’album rappelle la chanson "Les rumeurs" où Luambo Makiadi parle de tous les ragots qui se racontaient autour de sa maladie et de son état de santé. Comme quoi, le commérage et la médisance ne sont pas une spécificité congolaise.
Repos éternel à Kinondoni
Après avoir légué en héritage son inséparable guitare à 12 cordes à la chanson africaine, le Maestro s’en est allé à l’âge de 57 ans le 22 octobre 2004 foudroyé par une crise cardiaque. Ses restes sont enterrés à Kinondoni, une banlieue de Dar es Salam où il vivait. En ce triste jour, dans le firmament de la musique africaine où il avait pourtant gravé son empreinte et sa signature indélébile, l’étoile scintillante de Ndala Kasheba venait de s’éteindre. Pour toujours.
Samuel Malonga