Témoignage:Profession "pousse-pousseur"
Témoignage : Profession
pousse-pousseur
Par Ifrikia Kengué
Di-Boutandou
Déménagement, transport de marchandise, ramassage d’ordures ménagères,… les pousses-pousses sont, sur les artères de Brazzaville, le troisième moyen de transport. SAYO, un pousse-pousseur à
la quarantaine révolue, transporte quotidiennement en moyenne près de 500 kg de marchandise à chaque course. Nous l’avons accompagné durant sa journée de travail.
Reportage
Un travail de Titan. Voilà ce qu’on peut dire du labeur de SAYO, environ 1,65 m, pour une soixantaine de kilos. C’est devant la Quincaillerie de l’Espérance, sur
l’avenue de l’Unité Africaine, au marché Total, l’un des plus grands marchés de Brazzaville, que son pousse-pousse est garé.
L’armature : un caisson en fer forgé un peu rouillé, décoré de quelques autocollants, des barres de traction à l’avant et à l’arrière, deux roues de voiture pour supporter le tout. Artisanal. Une tige de racine figée dans la bouche qui se fend d'un large sourire à notre vue. Il nous salue chaleureusement.
Il est 7 heures, la
journée s’annonce très chaude et les abords du marché commencent à s’animer. Aucun client ne s’est encore manifesté. SAYO est ressortissant de la RDC. Il vit à Brazzaville depuis une vingtaine
d’années déjà.
Sa clientèle est exclusivement celle d'une quincaillerie qui vend essentiellement des matériaux de construction. En attendant un éventuel client, il nous raconte
son quotidien et ses débuts dans le métier. "Je me lève vers 6h. A 6h30 je me poste devant la quincaillerie, en attendant qu’elle ouvre", raconte-t-il. Le temps d’avaler
un petit déjeuner, généralement une tasse de café, accompagnée d’une tartine de pain ou de petits gâteaux. Les jours fastes, il se permet le luxe d’une omelette à la sardine.
"Je suis arrivé à Brazzaville en
1986. A l’époque, à Kinshasa, MOBUTU était encore l’homme fort du Zaïre. Je trouvais que je n’avais pas d’avenir… Alors je suis venu ici pour essayer de m’en sortir",
explique-t-il.
Lorsqu’il traverse le fleuve, SAYO est d'abord hébergé par un oncle. Après plusieurs petits boulots infructueux, ce dernier finit par le placer dans une
famille malienne comme domestique. Celle-là même qui tient la quincaillerie. Las de cette situation, c’est finalement vers 1999, qu’il va quitter son poste pour devenir
pousse-pousseur.
"Au début, j’ai commencé par louer
le pousse- pousse d’un ami, à qui je payais 2500 francs Cfa par semaine. Puis j’ai fini par acheter mon premier pousse-pousse d’occasion en 2000". 45.000 francs Cfa. Moitié moins cher qu'un neuf. Puis il ne tarde pas à en acheter un autre pour faire louer le premier. Non sans
déboires. "Finalement j’ai dû revendre les deux premiers pousse-pousses, car ceux qui le prenaient en location se faisaient prier pour me payer…et ça m’a brouillé avec des amis.
Celui-ci c’est mon troisième…"
Il est déjà 9h passé. Le marché bourdonne tel un essaim d’abeilles. Plusieurs clients sont déjà passés à la quincaillerie. Mais aucun article acheté ne nécessite de livraison en pousse-pousse.
"Il y a des jours où je ne gagne des courses qu’en fin d’après-midi, il est encore bien tôt", explique-t-il. Pas si tôt que ça. Un téléphone sonne : c’est le sien.
"Allo, oui patron,… combien ?... 20 sacs ? Là-bas ?...oui patron… j’arrive"…clic.
SAYO sourit. Un de ses clients habituels vient de l’appeler pour la livraison d’une tonne de ciment. Destination les environs du commissariat central, à près d’un kilomètre et demi de là. Un à un, SAYO charge seul les 20 sacs de 50 kg chacun. Le pousse-pousse s’ébranle et se faufile sur l’avenue goudronnée où le trafic commence à s’intensifier. Une manœuvre qui lui vaut de copieuses invectives de la part de quelques conducteurs de taxi et de bus "Muyombe, Niama" (Zaïrois, sauvage).
Des clients dans le bus s’esclaffent, probablement à cause de son apparence et du travail qu’il fait. Sa tenue est en guenilles: un pantalon en toile crasseux, déchiré par endroit et une chemise dont le blanc original a viré au beige. Une paire de vieux pataugas troués et rafistolés par endroit à semelle usée, viennent compléter le tableau. Lui reste imperturbable. Tel un capitaine à la proue de son navire, il tire son pousse-pousse, arcbouté de tout son corps. La sueur perle déjà sur son front. Direction le centre-ville.
SAYO garde toujours le sourire. Il est déjà 10 heures et le soleil commence à darder ses rayons. Le commissariat central n’est plus loin.
La chaussée monte, SAYO est en nage. Une vingtaine de minutes plus tard, enfin le terminus. Le client attend sa marchandise devant une maison en construction sur deux niveaux.
Déchargement. Notre pousseur reçoit le prix de sa course : 10 000 francs Cfa. Il est presque 11 heures. La journée commence bien. "Lui au moins ne fait pas de chichi pour me
payer", commente-t-il sur le trajet de retour vers le marché.
Midi: l'heure du déjeuner. Le temps d'avaler un frugal repas, un gâteau très farineux à 300 francs et une cannette de jus à 250 francs, et de nous en dire encore un peu plus sur
lui.
Sa famille, dont il a toujours la charge, vit à Kinshasa. "Quand je peux, je traverse pour aller voir ma femme et mes quatre enfants. Tous mes enfants vont à l’école…",
annonce-t-il, une certaine fierté dans la voix. "Je dois aussi apporter ma contribution au reste de ma famille : tantes, oncles, neveux, cousins… ".
Avec sa compagne, SAYO a
clarifié les choses. "Je lui ai fait comprendre ma situation et lui ai dit de considérer que j’étais en Europe pour chercher un meilleur avenir pour nous. Et donc si elle ne pouvait
plus supporter mon absence, elle était libre de partir. Puisqu’elle a accepté, elle est obligée d’être patiente…". Quant à lui, il occupe seul un studio sans eau ni électricité,
qu’il payait l’année dernière à 5 000 Francs Cfa par mois et qui lui revient aujourd’hui à 1000 francs Cfa de plus. Crise de l’immobilier oblige. Il héberge de temps en temps, un parent de
passage à Brazzaville.
Il est 13 heures, lorsqu’un autre client accoste notre pousseur. La marchandise à transporter n’égale pas la tonne de tout à l’heure, mais la destination est plus lointaine : le rond-point
Mouhoumi, un quartier du 7ème arrondissement, à quelques 7 km de là. Ce n'est pas un client habituel, pourtant il n’accompagnera pas le transporteur. L’indication du lieu suffit, le reste est une
question de confiance. Mais avant, il faut discuter du prix de la course.
"10
000", Lui propose notre pousse-pousseur. Négociations. Finalement la course sera fixée à 8000 francs. Les
barres, tubes de fer, pièces de plomberie, et une dizaine de tôles en aluminium sont chargées en un instant. Et SAYO reprend la route.
L’air est sec, l’atmosphère lourde, la chaleur caniculaire, mais aucune pluie n’est encore tombée sur Brazzaville. Pour ces premiers kilomètres, SAYO ne
semble pas peiner, malgré un chargement de plus de 200 kg. Le trajet est long, les haltes pour se rafraîchir de plus en plus nombreuses. La chemise de notre coursier, trempée, lui colle à la
peau. La sueur ruisselle sur son visage, l’obligeant à cligner et à s’essuyer fréquemment. Embouteillage. Pour dépasser sans encombre les véhicules qui roulent au pas, notre pousse-pousseur fait
grimper sa charrette sur le trottoir. S’il se joue du trafic, il n’échappe pas, en revanche, aux sarcasmes des conducteurs. Au carrefour de l’avenue Maya-Maya, un bus manque de le heurter de
plein fouet. Cette fois, il sort de ses gongs et apostrophe le conducteur qui, pour toute réaction, démarre en trombe, l’abandonnant dans un nuage de fumée. Plus tard, il nous racontera avoir eu
des accidents à deux reprises avec un bus et un taxi-bus.
Le trajet est très long. Au bout de près de deux heures, il arrive enfin au rond-point Mouhoumi. La fatigue se lit sur son visage, mais lui reste étrangement souriant, et assure être en pleine
forme. Il est presque 16 heures. Et il retourne au marché Total. Sa journée ne s’achèvera que lorsque la quincaillerie aura fermé.
A la fin du mois, SAYO arrive à gagner jusqu’à 75.000 francs CFA. Les priorités restent son loyer, sa famille et sa santé. Il rêve d’un lendemain meilleur,
uni avec sa famille. Mais, comme il le dit lui-même "Je n’ai pas à me plaindre. Je ne suis pas allé à l’école,… mais, je me bats pour que mes enfants soient bien plus tard. Je n’ai aucunement
honte de ma situation car c’est Dieu qui nous demande de travailler... "
SAYO a été surpris par notre requête de le suivre pendant ses courses, le long des artères bitumées ou défoncées de Brazzaville. Pourtant c’est avec un évident plaisir qu’il a
partagé son quotidien, véritable leçon de courage, de foi et d’humilité dont beaucoup devrait s’inspirer.
Ifukia Kengué
Di-Boutandou